Ingérence de la FIFA, tractations diplomatiques : comment l'élection de Patrice Motsepe à la tête du football africain a été un enjeu géopolitique
• Infantino et la FIFA plus impliqués que jamais
Si Patrice Motsepe, milliardaire sud-africain dont la fortune est estimée à 2,5 milliards de dollars selon le magazine Forbes, a été élu à la présidence de la Confédération africaine de football (CAF), ce vendredi 12 mars, il le doit en partie à Gianni Infantino. Ces dernières semaines, le patron de la FIFA a oeuvré ouvertement pour obtenir l'unité du football africain et une seule candidature à la présidence de la Confédération.
Après de nombreuses tractations, Patrice Motsepe a été choisi et dirigera donc la CAF pour les quatre prochaines années. Pour Lassana Camara, rédacteur en chef du site PanafricanFootball et journaliste influent sur le continent africain, l'ingérence d'Infantino dans cette élection est loin d'être étonnante : "La CAF, c'est 54 voix pour les élections à la FIFA, donc c'est un continent qui compte dans cette élection." En s'impliquant dans cette campagne, le président Infantino est parti à la chasse aux voix en vue d'une réélection en 2023 à la tête du football mondial.
Sur les 211 membres de la FIFA qui voteront dans deux ans, le dirigeant suisse a donc tenté d'en rallier le plus à sa cause sur le continent africain. L'élection de Motsepe concerne directement la gouvernance du football mondial. Selon Lassana Camara, "les pays africains sont aussi des partenaires stratégiques. La FIFA investit beaucoup d'argent sur le continent pour le développement du football et donc ils sont obligés de s'intéresser à ces élections." Quitte à le faire de manière abrupte lors des dernières semaines. "La forme dérange un peu", concède le journaliste africain.
• Des désistements en cascade en faveur de Motsepe
Car il y a encore quelques semaines, trois candidats étaient encore en lice pour affronter dans les urnes Patrice Motsepe. Le Mauritanien Ahmed Yahya, le Sénégalais Augustin Senghor et l'Ivoirien Jacques Anouma. Face à ces candidatures multiples, l'unité a donc été recherchée sur le continent africain. "Il y a eu énormément de tractations politiques, c'est bien plus qu'une affaire de sport. Le football africain a traversé une crise monumentale ces dernières années, les caisses de la CAF sont vides, il faut reconstruire la maison. Donc tout le monde a cherché une manière d'éviter un éparpillement qui aurait fait mal au football africain", explique Lassana Camara.
Fin février, les quatre candidats à la présidence ont conclu ce que la presse africaine a dénommé le "pacte de Rabat", dans la capitale marocaine où s'est déroulée l'élection ce vendredi. Avec cet accord, Senghor, Yahya et Anouma ont accepté de se désister pour laisser la place à Motsepe. En contrepartie, Senghor deviendra premier vice-président de la CAF, et Yahya le deuxième vice-président. Anouma, qui avait dénoncé des "pratiques pas très démocratiques", deviendra le conseiller spécial de Patrice Motsepe.
L'annonce de ce ralliement à Motsepe a eu lieu le 6 mars dernier à Nouakchott, dans la capitale mauritanienne. Mais dans les faits, le milliardaire sud-africain, très occupé par ses affaires, ne pourra pas occuper la présidence de la CAF au quotidien. "C'est pour ça qu'ils ont proposé les postes à Yahya, Senghor et Anouma, pour qu'ils puissent travailler au développement du football africain à la Confédération", souligne Lassana Camara. Un président absent, une décision absurde ? Pas totalement, car elle permet d'entériner au niveau diplomatique certains rapprochements.
• Des enjeux diplomatiques au cœur des discussions
Parmi les pays qui ont le plus poussé pour obtenir une candidature unique : le royaume du Maroc. Selon Lassana Camara, "le Maroc veut organiser la Coupe du monde et devenir l'un des plus grands pays d'Afrique en matière économique et sociale. Et tout ça, ils ne peuvent pas le faire sans le soutien de l'Afrique du Sud." Historiquement, le Maroc s'oppose à l'Afrique du Sud sur le Sahara occidental. Le royaume marocain revendique la souveraineté de ce territoire, tandis que les Sud-Africains soutiennent la revendication de souveraineté de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), reconnue depuis 1982 par l'Union africaine mais pas par les Nations Unies.
C'est là qu'entre en jeu la candidature de Patrice Motsepe. Cyril Ramaphosa, président de l'Afrique du Sud, est le beau-frère de Motsepe, et président de l'ANC (Congrès national africain), le parti au pouvoir qui soutient le RASD. Selon Lassana Camara, "les Marocains ont obtenu des garanties (de la part de l'Afrique du Sud) de moins politiser la question du Sahara occidental en acceptant de soutenir Motsepe. Ils ne se seraient pas mouillés de la sorte si ce n'était pas le cas." Une alliance d'autant plus étonnante que l'Afrique du Sud avait voté contre la candidature du Maroc pour accueillir la Coupe du monde 2026, finalement attribuée au trio États-Unis-Canada-Mexique.
"Il y a énormément d'enjeux diplomatiques et géopolitiques" derrière cette élection, explique le journaliste africain, qui souligne qu'avec la nomination de Motsepe, "chacun a eu ce qu'il voulait". Désistements, négociations en coulisses, interférences de la FIFA, discussions diplomatiques et géopolitiques... La campagne de Patrice Motsepe n'aura pas été de tout repos. Son mandat ne devrait pas l'être non plus, comme l'affirme Lassana Camara : "Il y a du boulot, et on espère qu'il va y avoir du changement avec une nouvelle vision et de la confiance, parce que l'avenir du football mondial se jouera en Afrique."
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