Ibrahimovic, Williams, Brady... les secrets de la nouvelle longévité des champions
Serena Williams, Roger Federer, Zlatan Ibrahimovic… Tous les trois fêteront leurs 40 ans en 2021 et tous les trois comptent encore parmi les meilleurs de leur sport. La cadette des sœurs Williams a disputé sa 40e demi-finale en Grand Chelem lors du dernier Open d’Australie. Les ambitions de Federer sur le circuit ATP demeurent toujours intactes malgré une pause longue de treize mois. Quant au géant suédois, il a contribué au retour au premier plan de l’AC Milan et en est déjà à 16 buts cette saison, toutes compétitions confondues. Ibrahimovic effectue même son grand retour en sélection nationale ce jeudi 25 mars contre la Géorgie, quasiment cinq ans après avoir pris sa retraite internationale.
Au-delà de ces icônes, les exemples de carrière prolongée après la barre des 40 ans se sont multipliés. Le footballeur brésilien Vitorino Hilton l'a franchie en Ligue 1 en 2018 et continue d'être performant avec Montpellier à maintenant 43 ans. "Je suis croyant, donc c’est Dieu. Il me bénit tous les jours", a-t-il expliqué dans les colonnes du Midi Libre en février 2020, sans nier l'importance du travail qu'il a fourni pour en arriver là. L'allongement des carrière sportives n'a en fait rien d'un miracle ou d'une coïncidence, elle est une tendance observable et vérifiée.
Des carrières plus longues dans les sports d'analyse
Toutes continuent de suivre la même trajectoire avec un point culminant vers 25 ans, avant un déclin plus ou moins progressif, mais la tendance n'est pas la même en fonction du sport pratiqué. Une augmentation de cette longévité est surtout constatée "dans les sports qui ne demandent pas uniquement des capacités physiques, mais aussi des conduites d'analyse, des perceptions sur le déroulé du match, sur la psychologie de son adversaire, sur le fait d'être en phase ascendante ou non pour le gain du match", décrit Jean-François Toussaint, directeur de l’Institut de recherche biomédicale et d'épidémiologie du sport (IRMES). Ce dernier note que c'est d'autant plus parlant dans "les sports collectifs au cours des trente ou quarante dernières années".
Pour l'illustrer, Jean-François Toussaint se sert du cas du joueur de football américain Tom Brady. Ce dernier vient de remporter en février son 7e Superbowl à 43 ans, un record en NFL. "Il a acquis très tôt cette capacité de lecture. Il est à un poste (quarterback) où il n'a pas besoin de la puissance musculaire des avants ou de la vitesse des ailiers. Il distribue le jeu, il est le maître à jouer, celui qui lit la défense de l’adversaire. Ces qualités-là progressent avec le temps. Brady a aussi échappé à ce qui aurait pu être potentiellement destructeur pour certains, à savoir une blessure grave au niveau de l'épaule. Or, lui, c'est le geste du lancer qui est le point le plus important de son jeu. Il a gardé sa vitesse et sa précision dans cet exercice. Et il sait jouer sur la capacité à rester dans la poche, ce qui lui permet d’être extraordinairement protégé par ses avants. La préservation de son intégrité physique est un des éléments sur lequel il a su mener très intelligemment sa carrière”, explique le professeur en physiologie. Pour que la carrière d'un sportif ou d'une sportive dure longtemps, tout dépend de ses prédispositions physiques, des qualités requises du poste qu'il ou elle occupe et des blessures vécues pendant la pratique.
Une plus longue espérance de vie
L'allongement des carrières sportives est également le fruit de facteurs externes à la pratique spécifique d'une personne. Le docteur Toussaint confirme que l'augmentation de l'espérance de vie est corollaire de celle "de la durée de vie en bonne santé et de celle des durées d'expression des qualités physiques". Ce dernier avait participé à une étude portée sur les athlètes français qui ont participé aux Jeux olympiques entre 1948 et 2010. Cette étude avait conclu que ces sportifs avaient une espérance de vie supérieure de 7 ans à l'ensemble de la population. Ces derniers ont pleinement profité des progrès des conditions de vie pour retarder leur déclin sportif, grâce à une hygiène de vie - et surtout une alimentation - mieux maîtrisée.
"Il ne faut pas se mettre cette barrière de l'âge. On entend tellement qu'arriver à 30 ans complique la carrière d'un sportif. Malheureusement, on finit parfois par l'intégrer", insiste Mélina Robert-Michon. A bientôt 42 ans, l'athlète va défendre sa médaille d'argent en lancer du disque lors des JO de Tokyo. Cette pensée réductrice aurait sans doute empêché le skieur Johan Clarey de profiter de ses meilleures années. Cinq de ses huit podiums en Coupe du monde ont été acquis à partir de ses 36 ans et début février. Il est devenu le premier quadragénaire à justement valider un podium dans la compétition, à Kitzbühel qui plus est. "Mon secret ? Je ne sais pas. On me l'a souvent demandé. Ca me surprend moi-même. Chaque année je me dis que je peux arrêter à tout moment, et puis chaque année je fais encore des très gros résultats, alors pourquoi ne pas continuer ?”, en rigole l'intéressé.
S'il avoue ne pas payer quelqu'un pour lui apprendre à dormir comme Cristiano Ronaldo ou ne pas investir un million de dollars par an dans la préparation physique comme LeBron James, Clarey a trouvé sa formule gagnante. "Ce n'est pas que je m'entraîne plus que les autres, mais je travaille autant que les gamins de 25 ans. Mes périodes de récupération sont plus compliquées mais je suis obligé de me forcer à faire la même préparation qu'eux. Je ne m'endors pas sur mes acquis. Je me remets en question chaque année, que ce soit ma technique ou mon matériel. Si je ne le faisais pas, je ne serais pas au niveau que j'ai aujourd'hui", insiste celui qui confie avoir une hygiène alimentaire "à l'ancienne", intelligente mais pas ascétique.
Plaisir et fraîcheur mentale
Mélina Robert-Michon appuie aussi sur l'importance de la remise en question perpétuelle au niveau des entraînements. Elle rejoint Clarey sur l'importance de ménager le corps et l'esprit, en évitant le surplus d'entraînement et en gardant une fraîcheur mentale qui permette de continuer à prendre du plaisir. "Mes grossesses ont été des bouffées d'oxygène dans une carrière qui est souvent épuisante physiquement et nerveusement. Ca m'a permis de prendre un peu de recul, de faire le point et de me rendre compte que ça me manquait. Je n'avais qu'une envie, c'était d'y retourner", explique la maman de deux petites filles nées en 2010 et en 2018. "Tant que la motivation est là et qu'on a encore le plaisir de s'entraîner, tout va suivre", soutient Johan Clarey.
Tout va suivre parce que le sport d'aujourd'hui n'est absolument plus le même que celui d'il y a 20 ans. "Le traitement des données physiologiques a énormément progressé grâce au suivi médical des athlètes. Tout est beaucoup plus planifié", note le consultant de France Télévisions Thomas Voeckler. "Même au niveau de la gestion de son propre corps. Tout ça permet de durer dans le temps. On sait où on va", assure celui qui avait terminé quatrième d'un Tour de France (2011) à l'âge où Bernard Hinault était déjà passé à autre chose (32 ans). Pour illustrer cette progression, l'actuel sélectionneur de l'équipe de France de cyclisme sur route évoque un nouvel équilibre dans la vie du coureur : moins de courses et des entraînements plus ciblés, pour "mieux ménager sa monture au fil des années".
"On sait où on va"
Avant, pendant mais c'est aussi après l'effort que la donne a changé. Aujourd'hui, beaucoup de sportifs ne jurent que par la cryothérapie. Le défenseur d'Angers Ismaël Traoré a par exemple ouvert son propre salon où d'autres athlètes viennent faire leur travail de récupération, comme la nageuse handisport Claire Supiot, qui participera aux JO de Tokyo à 53 ans. "Les connaissances ont effectivement avancé, notamment dans la récupération post-blessure. Elle est maintenant beaucoup plus contrôlée par l'ensemble des options médicales qui sont proposées, comme la récupération post-chirurgicale", ajoute Jean-François Toussaint, citant le travail de pointe effectué à Lyon dans le traitement des blessures des skieurs français touchés aux ligaments du genou. Johan Clarey la connait d'ailleurs très bien, lui qui a été opéré trois fois des ligaments croisés dans la première partie de sa carrière. Il salue le travail effectué par la cellule de réhabilitation de la Fédération dans son processus de retour en forme, signe d'une transformation jusque dans les arcanes des organes directeurs.
Le natif d'Annecy sait par contre qu'il est un peu un OVNI dans sa discipline, inversant le cours logique du poids des années à la Benjamin Button. S'il a développé sa capacité de lecture des courbes dans un "sport de pilotage" au fil des années, sa trajectoire a été faussée par des premières années chaotiques. "Mon corps ne m’a laissé tranquille qu’à partir de 30 ans. Alors, forcément, les choses se sont mises en place assez tard et ça m’a peut-être permis d’avoir encore pas mal de fraîcheur à 35 ans", explique-t-il. Son exemple ne saurait être le témoignage d'une vérité générale, tout comme celui de Mélina Robert-Michon, qui de son côté dit ne pas du tout sentir de déclin, à bientôt 42 ans.
"Tout ce que je fais, je le fais depuis longtemps. En fait, je rajoute une couche chaque année. Je pense sincèrement que je continue de progresser. Je coupe chaque année, trois semaines-un mois, suivant comment ça se passe. Je repars certes plus bas qu'au moment où je me suis arrêtée mais plus haut que celui où j'ai commencé l'année d'avant", assure la recordwoman de France du lancer du disque (66.73m). Peu d'athlètes peuvent se targuer de ressentir une telle sensation à l'âge ou certains ont déjà franchi le Rubicon de l'encadrement sportif depuis plusieurs années. Et ce caractère exceptionnel, lié à des prédispositions physiques, à un caractère spécifique et à un certain facteur chance, fait que la nouvelle longévité des champions n'est pas un phénomène uniforme, ni même connu de tous.
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