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Sébastien Joumel, ancien handballeur professionnel : "On m'a dit qu'il était temps que je pose mes livres et que j'arrête d'aller à l'école"

Champion de France avec Dunkerque en 2014, l'ex-arrière gauche a eu bien du mal à lier ses études et le sport de haut niveau. Son club formateur ne l'a d'ailleurs pas encouragé sur cette voie. Il a raconté son parcours à franceinfo: sport.

Article rédigé par franceinfo: sport - Pauline Guillou
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
Sébastien Joumel (gauche), lors de sa victoire en finale de la Coupe du monde des U21, au Brésil en 2015. (SEBASTIEN JOUMEL)

Concilier le handball de haut niveau et les études universitaires, Sébastien Joumel en a rêvé. Installé à Rennes depuis quelques années après des passages remarqués dans les clubs de handball de Dunkerque (D1), Massy (D2) et Saint-Gratien (N1), l'ancien arrière gauche et champion du monde 2015 des moins de 21 ans a fini par s'éloigner du sport professionnel. Désormais coach sportif et préparateur mental, il fait partie des sportifs ayant été confrontés au choix fatidique du sport ou des études. Par sécurité financière, et ambition personnelle, Sébastien Joumel a toujours voulu lier ses études et le handball. Mais en centre de formation, ce double cursus est difficile, voire impossible à mener. Pour lui, comme pour beaucoup de sportifs de haut niveau, les études et le sport ne doivent pourtant pas s'opposer, bien au contraire. Entretien.

Franceinfo: sport : Pourquoi avoir quitté votre club formateur de Dunkerque ?

Sébastien Joumel : Nous étions deux en concurrence pour signer un contrat professionnel après nos années passées au centre de formation. Finalement, le club ne m'a pas gardé. C'est le jeu dans le sport de haut niveau. Mais cette dernière année a été très difficile parce qu'ils ont tardé à me le dire. J'aurais préféré le savoir avant, parce que je devais trouver des études et un nouveau club. J'ai fait un burn out, et je suis parti en deuxième division pour me relancer. Mais jongler entre mes études et le handball devenait trop difficile. Alors que me suis rapproché des clubs qui acceptent ce double projet.

Vous vouliez absolument continuer vos études en plus du handball malgré votre statut de professionnel et votre palmarès déjà prometteur ? 

J'ai commencé le handball à 5 ans, et j'en ai fait toute ma vie. Mais j'ai toujours voulu assurer mes arrières en faisant des études. Une grosse blessure ou une fin de carrière arrive vite. En arrivant à Dunkerque avec de bonnes notes, je ne savais pas trop vers quoi m'orienter, et je ne pouvais m'inscrire qu'en Staps [Sciences et techniques des activités physiques et sportives]. Comme je voulais être kiné, c'était une bonne formation, puisqu'elle me permettait d'avoir un autre aspect de la performance, et cela m'aurait aussi permis de bifurquer vers la kinésithérapie.

Dunkerque remporte le trophée des champions 2012 à Monaco. (ERIC DULIERE)

Ce double projet n'était pas envisageable à Dunkerque ? 

On m'a dit cash : "Il est temps que tu poses tes bouquins et que tu arrêtes d'aller à l'école", alors que j'étais major de promotion. On m'a demandé de m'entraîner encore plus, en me disant que je n'avais pas signé chez eux pour faire des études. J'avais entre deux et trois entraînements par jour et, finalement, c'est pendant cette période que j'étais le moins performant. Avec l'école, les choses étaient bien faites, malgré quelques frictions. Ne pas être en cours ne nous portait pas préjudice. Par exemple, j'ai pu valider mon cycle de voile sans aller aux séances d'entraînement. A ce moment là, j'étais en pleine Ligue des champions et j'avais entre trois et quatre matchs par semaine. Parfois j'ai raté des partiels, mais il y a toujours eu beaucoup de communication. Mais avec le club, c'était autre chose.

"Je pense que seuls 10% des élèves en centre de formation obtiennent un diplôme."

Sébastien Joumel

à franceinfo: sport

Pourquoi pensez-vous que le club vous a empêché de poursuivre ce double cursus ?

Le club est une entreprise, qui investit sur tes performances pour que tu deviennes professionnel. Pendant un temps, je me suis aussi posé une question : est-ce que les clubs n'auraient pas intérêt à avoir des joueurs plus malléables, et qui disent oui à tout ? Je n'en sais rien... Je ne pense pas qu'il y ait de méchant dans ce système. Chacun a sa part de responsabilité. L'université veut avoir un bon taux de réussite, alors elle va tout faire pour qu'un étudiant ait son diplôme, quitte à le brader un peu.

Comment l'avez-vous vécu ?

J'étais d'accord avec le club. Je me suis dit que je venais pour un contrat professionnel. J'étais à 600 km de chez moi et je n'étais pas venu à Dunkerque pour faire une licence de Staps. J'ai tout de suite contacté l'université et le doyen parce que je ne voulais pas saborder mes études. Le choix a été difficile. Je me suis senti pris en tenaille et trahi. Officiellement, quand on signe le premier contrat avec nos parents, le club explique qu'il va veiller sur les résultats scolaires et les études. Mais en réalité, quand ils commencent à s'intéresser à ce qui se passe à l'école, il est déjà trop tard : le retard accumulé ne peut plus être comblé.

Pourquoi ce double cursus n'est-il pas encouragé, selon vous ?

En France, on est un pays d'intellectuels, et le sportif peut être mal vu. Un sportif comme Franck Ribéry a mauvaise presse, par exemple. Alors qu'il a super bien utilisé ses dons. J'ai eu des coéquipiers qui venaient des Balkans et, dans certains pays, comme en Serbie, les sportifs font partie des gens qui font briller la nation au même titre que les médecins ou les chercheurs. Ils peuvent recevoir une indemnité à vie.

"En France, il y a une mauvaise caricature du sportif."

Sébastien Joumel

à franceinfo: sport

Ici, quand tu es en sport-études, tu fais du sport et pas beaucoup d'études. Il y a aussi un lien avec la rentabilité de ton sport. Plus tu peux gagner d'argent avec ta discipline, plus tes études passeront au second plan. Je me rappelle de certains kayakistes que j'ai côtoyés. Ils étaient souvent brillants, parce que c'est rare de gagner de l'argent en kayak. Je trouve regrettable qu'il y ait constamment un choix à faire entre l'école et le sport. L'école m'a apporté beaucoup de choses dans ma pratique sportive, et vice versa. De manière générale, la plupart des travaux montrent qu'un enfant qui fait du sport a plus de chances de réussir à l'école.

Est-ce que vous regrettez d'avoir tourné la page du handball professionnel ? 

Je n'ai pas de regrets, parce que je suis heureux de mon parcours et content d'avoir vu le revers de la médaille. Je sais ce que j'ai dû donner pour arriver à ce niveau. Ça devenait trop coûteux pour moi d'aller chercher d'autres médailles. Je suis heureux quand je vois des amis gagner les Jeux olympiques. En ce qui me concerne, si c'était pour enchaîner des dépressions ou des burn out... Ca n'était pas mon but. J'ai adoré jouer en deuxième division en continuant les études de kinésithérapie, tout en étant coach mental et en ayant des matchs les week-ends. J'avais plusieurs projets à gérer, et je n'avais pas simplement la tête dans le hand. Pour moi, le hand tout seul n'était pas suffisant.

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