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Handball : coups de poker, "Matrix" et cheveux gris... Le gardien des Bleus, Omeyer de sa forme

Il a l'âge d'être le père de la bleusaille des Experts, mais le Mulhousien demeure incontestable à son poste, tant en équipe nationale qu'en club. 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Thierry Omeyer, gardien de l'équipe de France de handball, à l'issue de la demi-finale du Mondial France-Espagne, le 30 janvier 2015. (SAMPICS / CORBIS SPORT)

Thierry Omeyer, c'est une silhouette familière dans les buts de l'équipe de France de handball. D'un Mondial organisé en France à l'autre, de 2001 à 2017, il n'y a guère que son crâne qui s'est dégarni et quelques rides qui sont apparues. Le gardien des Experts, quadragénaire au palmarès XXL (deux titres olympiques, quatre titres mondiaux, trois titres européens et une flopée d'accessits), participe à sa 20e compétition d'affilée sous le maillot bleu. Peut-être la dernière. Ça valait bien le coup de se pencher sur son immense carrière. 

"Une cible sur ma tête"

Le Mulhousien tombe dans la marmite du handball très jeune. Ses parents y jouent, son frère jumeau, Christian, aussi. Un jour où il faut dépanner dans les buts, Thierry s'y colle. Avec bonheur. "Soit tu es fait pour être gardien, soit tu vois assez vite que c'est pas ton poste", résume-t-il, interrogé par Sport24.

Il faut avoir la vocation pour entendre les balles siffler à 130 km/h près de sa tête. Quand elles n'atteignent pas leur cible, elles provoquent leur lot de nez cassés et autres hématomes sanguinolents sur le visage. Il faut attendre son passage à Sélestat, où un coach roumain l'immunise pour de bon contre la peur du ballon - "il me frappait avec un ballon de handball accroché à une corde" - pour qu'il saute dans le grand bain de l'élite. Un apprentissage nécessaire, comme Thierry Omeyer a pu le constater lors d'un match de Coupe d'Europe, en 2009, face aux Espagnols de Ciudad Real. "L’entraîneur adverse fait des signes, comme pour dessiner une cible sur ma tête, raconte-t-il à L'Equipe. Et ses joueurs m’ont visé. Mais jamais je n’enlèverai la tête… " 

Le gardien de l'équipe de France de handball Thierry Omeyer, lors du match France-Qatar en finale du Mondial 2015, le 1er février à Doha. (CHRISTOF KOEPSEL / BONGARTS)

Rien ne le prédestinait, pourtant, à affronter les redoutables Espagnols. Adolescent, il termine cinquième sur six d'un test de détection organisé dans l'Est. "On m'a dit que je n'étais pas assez bon sur les tirs de l'aile, rumine-t-il encore. Ça m'a énervé !" Plus incroyable encore, il décroche son bac en section sport-études à Strasbourg en récoltant seulement 15/20... dans l'épreuve de handball. Et, en plus, son club de Sélestat finit par être relégué. "Le pire souvenir de [sa] carrière", souffle-t-il.

Mais Thierry Omeyer prend son envol : direction Montpellier et l'équipe de France, qu'il rejoint à l'orée du Mondial 2001, organisé dans l'Hexagone. C'est le moment où il coupe le cordon avec son frère, qui fera une très honnête carrière à Sélestat, sans franchir de palier. "Par pudeur, raconte son frère dans La Grande Saga du hand français, il ne savait pas comment m'annoncer qu'il était retenu en équipe de France."

Un compétiteur acharné

Originaire d'Alsace, Thierry Omeyer n'y retourne plus que deux fois par an, pour les vacances. "A chaque fois, mon père me prépare un baeckeoffe, confie-t-il à un journal régional. C'est mon plat préféré et il le cuisine très bien." Loin de Mulhouse, il grimpe quatre à quatre les échelons de la gloire, cumulant les titres en sélection, puis en club. Il s'offre le luxe de refuser le Barça pour aller à Kiel en Allemagne et découvrir la bouillante Bundesliga et ses stades pleins : "En France, à l'extérieur, s'il y avait 600 spectateurs, c'était bien." Une des premières questions de la presse d'outre-Rhin porte sur son surnom, "Titi", qui signifie "nichons" en argot allemand. Les supporters du club le scanderont pendant plus d'une heure, à l'issue de son dernier match en Allemagne, au printemps 2013...

Car Thierry Omeyer est un gagneur, qui laisse à peine sa fille le battre au Monopoly – "le seul cas où ça ne me met pas en rage". "S’il existait un championnat du monde de la descente des poubelles, Thierry terminerait encore premier", raconte au Monde Bruno Martini, ancien concurrent dans les cages à Montpellier et en Bleu. Mais ce perfectionniste met toutes les chances de son côté, en étudiant minutieusement le jeu des adversaires. Une heure de vidéo avant chaque match, et des fiches sur certains joueurs. "Parfois, je prends des notes, mais la plupart du temps c'est dans ma tête. J'ai plutôt une bonne mémoire." 

Thierry Omeyer face au Croate Igor Vori, en quarts de finale du Mondial 2007 de handball, à Cologne (Allemagne), le 30 janvier 2007. (FRANZ-PETER TSCHAUNER / DPA / AFP)

"Comme dans Matrix" les bons jours

"Il sait où le type va tirer huit fois sur dix. C'est effarant, je n'ai jamais vu ça", s'émerveille Claude Onesta dans L'Equipe Magazine. Dans le livre Onze mètres, consacré aux penalties dans le foot, il explique avoir changé d'approche. Fini le chien fou qui, au début de sa carrière, était très démonstratif pour décontenancer l'adversaire. "J'essaie de lire ses pensées. J'essaie de le piéger, de le forcer à tirer là où je veux qu'il le fasse." Un effet secondaire du poker, qu'il pratique assidûment en équipe de France ? "Je gagne souvent, concède-t-il à un site spécialisé. Et je tairai le nom des fish [les blancs-becs qui se font plumer, dans le jargon] !"

Avant la demi-finale olympique face à la Croatie, Thierry Omeyer avait demandé à Luc Abalo de l'entraîner aux penalties à la manière de la vedette croate Mirza Dzomba. Le jour J, "Titi" sort deux jets de 7 m, et la France s'impose de deux buts (25-23). "Les jours où tu es chaud, tu sors toutes les balles, comme si tu étais dans Matrix." Et même les jours où il est tiède, Thierry Omeyer demeure un remarquable compétiteur. De l'avis général, il n'est passé à côté que d'une poignée de matchs en bleu. Diesel en poule, il enclenche le turbo dans les rencontres couperet.

Quand les grands matchs sont là, il ressort sa panoplie de Superman.

Claude Onesta

dans son livre

Ne lui parlez pas de l'âge du capitaine

Les Suédois ont tenté de le titiller sur son âge, avant un quart de finale du Mondial 2011. Un ancien joueur l'enfonçait dans un journal suédois : "C'est le gardien du passé. Tout le monde a décrypté ses trucs. La plupart des attaquants adverses ont pris sa mesure." L'international Magnus Jernemyr en remettait une couche en le traitant ouvertement de "bâtard""Omeyer est un sale type à la mentalité pourrie." Claude Onesta lui colle les articles sous le nez, et glisse : "Bah, c'est vrai que, sur les derniers matchs, tu as montré tes limites actuelles." Le coach est roué aux techniques pour piquer au vif son joueur. Thierry Omeyer sort une partie exceptionnelle.

N'empêche que va fatalement se poser la question de la retraite, d'autant plus qu'il a entamé une formation pour devenir coach. S'il a laissé entendre qu'il arrêterait la sélection à la fin janvier, "Titi" est sous contrat avec le PSG jusqu'en 2018, et il peut toujours brandir l'exemple du gardien russe Andreï Lavrov, médaille de bronze aux Jeux d'Athènes à 42 ans, à tous ceux qui le somment de laisser la place aux jeunes. S'il s'éloigne des buts, il aura l'occasion d'installer enfin ses médailles et ses trophées dans une salle à part. Aux dernières nouvelles, elles dormaient dans un carton.

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