Gwen Berry a levé son poing pendant l'hymne américain : sa carrière est désormais en danger
Que reste-t-il du poing levé de John Carlos et de Tommie Smith, brandi lors des Jeux de 1968 pour protester contre la ségrégration raciale aux Etats-Unis ? Peut-être d'autres poings levés, toujours aussi peu acceptés par le CIO - qui avait durement sanctionné les deux sprinters américains pour leur geste à l'époque. Celui de Gwen Berry, lanceuse de marteau américaine de 31 ans, brandi l'été 2019 sur le podium des Jeux Panaméricains, a eu des conséquences désastreuses pour l'athlète. Sanctionnée par le CIO, lâchée par ses sponsors, elle estime avoir perdu 50 000 dollars dans l'affaire ; une fortune pour une lanceuse de marteau. Elle s'est depuis lancée dans un combat pour faire changer la règle 50 du règlement du CIO, qui interdit aux athlètes d'user de la scène sportive pour montrer leur opinion politique.
Un geste qu'elle "ne regrettera jamais"
Ce 18 juin 2019, debout sur le podium, devant le drapeau américain qui s'élevait peu à peu, Gwen Berry ressent soudainement le besoin montrer son désaccord. Elle n'avait rien prévu. Rien planifié. Ni discours politique ni geste. "J'ai juste ressenti quelque chose. Je ne sais pas ce que c'était. Juste quelque chose qui m'a submergée. Je ne peux pas le décrire" s'est-elle souvenue pour CBS Sports. Après quelques secondes d'hymne national, elle baisse la tête, et soulève le bras. Le poing fermé, jusqu'à la fin de l'hymne."C'était comme une énergie. Je ne peux pas le décrire mais je ne l'oublierai ou ne le regretterai jamais".
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Pourtant, très vite, les mauvaises nouvelles s'enchaînent. Le comité international olympique la réprimande par courrier, lui signifiant une "période de probation de douze mois" pendant lesquels tout autre acte de protestation manifeste pourrait être durement réprimandé. "J'ai perdu tous mes sponsors en un an, et l'équivalent de 50 000 dollars de revenus. Ma carrière a été assassinée. Ou en tout cas ils essaient de l'assassiner".
Identification aux Noirs victimes de violences policières
Le geste de Gwen Berry n'était pas un coup de tête. Les affaires de violences policières qui frappent les Etats-Unis ces dernières années gravitent autour de l'univers de son enfance. L'athlète a grandi à Ferguson, là où Michael Brown a été tué par un policier l'été 2014, là où les premières manifestations "Black Lives Matter" ont eu lieu. Elle avait d'ailleurs quitté une compétition d'athlétisme à l'étranger pour rejoindre les manifestants. "J'ai grandi dans les mêmes rues que Mike Brown, je traînais avec les mêmes personnes, j'étais à la même école. Ça m'avait vraiment marquée". Depuis ce jour, dit-elle, elle est devenue une "rebelle".
C'est à son fils de 16 ans qu'elle pense lorsqu'elle s'engage et s'exprime pour la cause noire-américaine. "J'ai l'impression que le meilleur moyen pour moi de préparer mon fils à la vie, est de lui montrer comment gérer ce qui se passe actuellement, et de lui raconter la véritable histoire des Etat-Unis, lui dire comment les gens le perçoivent vraiment ici".
Comme la plupart des athlètes olympiques, Gwen Berry ne roule pas sur l'or. Pendant sa préparation pour les Jeux de Rio, elle a été contrainte de faire deux jobs à la fois, en journée, un la nuit après son entraînement; afin de financer sa saison, son voyage à Rio, et de subvenir aux besoin d'une famille de 10 membres.
La mort de George Floyd lors d'une interpellation, filmée pendant de longues minutes, l'a horrifiée, et confortée dans sa position. "Au début je ne voulais pas voir, je savais ce qui allait arriver. Et puis finalement, j'ai regardé. Ça m'a mortifiée. J'ai pleuré. Ensuite je me suis demandé ce que je pouvais faire". Elle a rejoint les manifestants après la mort de George Floyd, a défilé tout en poursuivant son entraînement pour les Jeux Olympiques.
"Hypocrisie" du CIO
Dans sa tribune vidéo au New York Times, Gwen Berry épingle précisément le règlement du CIO, qui selon elle, empêche le sport olympique de suivre les pas des autres sports comme le basket, qui, à travers la NBA, permet aujourd'hui aux sportifs de manifester leur opinion. La règle 50 est une "ineptie", dit-elle. Celle-ci établit : "C'est un principe fondamental qui veut que le sport soit neutre et hors de la politique, de la religion, ou de tout type d'interférence".
Pour Berry, il est absurde de limiter le sport au sportif. "Tous les sportifs vivent et grandissent dans un contexte, dans un monde qui les façonne. Pourquoi les demander de sortir de ce monde ?" Elle dénonce l'hypocrisie du CIO. "Le comité olympique adore les belles histoires. 'Regardez cette athlète a grandi sans père ! Cet athlète a grandi dans le ghetto ! Celui-là a vécu pendant des mois sans nourriture !' Mais dès que ces athlètes veulent dire ce qu'ils pensent des discriminations, ils disent : 'ah non, garde ça pour toi, ça ne nous intéresse pas'. C'est hypocrite, car son histoire est le produit même du système qu'il voudrait dénoncer".
Gwen Berry ne perd pas de vue son épreuve. Elle s'entraîne toujours pour participer aux Jeux de Tokyo. Mais elle a un objectif très précis : "Mon but est d'être sur le podium à Tokyo 2021. Mais surtout, je veux être en mesure de lever mon poing sur un podium, sans me faire sanctionner".
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