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Golf : une Super Ligue dissidente, financée par des fonds saoudiens, sème la tempête

La légende Phil Mickelson, vainqueur à six reprises d'un Majeur, a déclaré, dimanche, qu'il allait rejoindre le projet saoudien, dont le premier tournoi débute jeudi à Londres.

Article rédigé par Julien Lamotte, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Phil Mickelson, lors du championnat PGA, le 23 mai 2021, à Kiawah Island, en Caroline du Sud (Etats-Unis). (PATRICK SMITH / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

La balle est partie tel un swing de Tiger Woods, à la grande époque. En annonçant, dimanche 5 juin, qu'il allait rejoindre la LIV Golf Invitational Series, Phil Mickelson a balancé un pavé sur les fairways, quitte à créer lui-même des trous. Cette compétition constitue de fait un circuit parallèle à celui qui a fait la légende des plus grands joueurs de golf.

Les greens les plus feutrés en ont tremblé. Cette fois, l'opération semble lancée. En gestation depuis plusieurs années, quel est donc ce "monstre" qui ébranle l'un des sports les plus cloisonnés de la planète ? Derrière le projet se cache un homme : Greg Norman. Il y a aussi beaucoup d'argent, celui d'un fonds public d'investissement d'Arabie saoudite. Ce dernier a déjà racheté le club anglais de Newcastle il y a peu. 

Ancienne star du golf, vainqueur de deux Majeurs et admiré de tous pour la pureté de son swing, Norman défie deux institutions séculaires, le PGA tour et l'European Tour. Le pari est osé, mais celui que l'on surnommait "le grand requin blanc" sait qu'il possède une puissance financière inégalée pour renverser la table. Même si, on s'en doute, le squale s'avance en eaux troubles. 

Le dernier gagnera... 120 000 euros

"L'arrivée de la LIV s'est faite de façon brutale et met en péril les circuits traditionnels", estime Ludovic Pont. Le rédacteur en chef de Golf magazine ne voit pas forcément d'un bon œil ce projet, notamment "pour la situation géopolitique très compliquée en Arabie saoudite". 

Ludovic Pont redoute aussi de voir le golf dénaturé par le format proposé. "Les tournois de la LIV se disputeront sans 'cut', ils ressembleront plus à de grandes exhibitions qu'à des vraies compétitions", poursuit-il. En outre, le spécialiste évoque les sommes proposées aux joueurs : "Le dernier de chacun de ces tournois sera assuré d'empocher 120 000 euros..."

Le 16 mars, la LIV a utilisé son plus beau fer pour frapper un grand coup en dévoilant les dates de son calendrier. Les huit tournois (un en Angleterre, quatre aux Etats-Unis, un en Thaïlande, un en Arabie saoudite et un dernier dans un lieu restant à déterminer) seront dotés de 25 millions de dollars chacun (environ 23 millions d’euros) pour les participants. C'est plus du double par rapport aux dotations des compétitions classiques les plus riches. Surtout, les dates se chevauchent avec celles-ci. Bref, le clash est inévitable. 

Le symbole Mickelson

"Il ne faut pas oublier que sans le PGA Tour ni l'European Tour, il n'y aurait pas tous ces champions que la LIV veut arracher", s'emporte Pascal Grizot, le président de la Fédération française de golf (FFG). "C'est mépriser tout le travail de fond qui a été fait en amont par ces instances."

"Les Saoudiens oublient que le golf est un sport de tradition, basé sur des codes. Certains pensent que l'argent peut briser ces codes, mais je considère que c'est commettre une énorme faute de goût."

Pascal Grizot, le président de la Fédération française de golf

à franceinfo: sport

Un énorme moment de flottement s'est abattu sur les club-houses du monde entier après l'annonce en mars. Puis est venue une réplique du premier tremblement de terre, dimanche, avec l'annonce de Phil Mickelson.

Il avait pourtant vertement critiqué la LIV auparavant. "Ce sont d’effrayants put… de meurtriers, avait ainsi proféré le Californien dans une biographie écrite par le journaliste Alan Shipnuck. Ils ont tué le journaliste du Washington Post, ils assassinent les homosexuels. Je ne peux pas imaginer un instant étudier leurs propositions."  Après avoir perdu de nombreux sponsors, il est revenu sur sa diatribe en présentant des excuses aux responsables de la Saudi Golf League. 

Le droit à l'image, nœud gordien

En prenant la décision de rejoindre la LIV, Mickelson entend faire bouger les lignes au sein d'une discipline qu'il estime cadenassée par le PGA, notament sur la question des droits à l'image. Si celui-ci "voulait mettre fin à n'importe quelle menaces, il n'aurait qu'à rendre aux joueurs leurs droits à l'image, expliquait-il à Golf Digest (en anglais) en février. Mais ils préfèrent jeter 25 millions par-ci et 40 millions par-là plutôt que de redonner les quelque 20 milliards d'atouts numériques qu'ils contrôlent, ou qu'ils renoncent aux plus de 50 millions qu'ils font chaque année avec leur chaîne".

Phil Mickelson a également déclaré au journal américain Sports Illustrated (article en anglais) qu'il s'alignerait au prochain US Open, comptant pour le PGA Tour. Les golfeurs engagés dans la ligue dissidente pourront en effet jouer cette compétition qui se tient la semaine prochaine à Brookline (Massachusetts), ont déclaré mardi les organisateurs de ce tournoi du Grand Chelem dans un communiqué.

Si Tiger Woods a évidemment été approché, a affirmé Norman au Washington Post (en anglais), d'autres stars ont déjà choisi leur camp... S'il avait annoncé l'inverse en février, l'ancien numéro 1 mondial Dustin Johnson, vainqueur de l'US Open en 2016 et du Masters en 2020 figurait en tête, la semaine dernière d'une première liste de 42 joueurs participant au tournoi inaugural de la LIV, qui se déroulera du 9 au 11 juin au Centurion Club de St Albans, au nord de Londres. D'autres anciens vainqueurs en Majeurs s'y trouvent également, comme l'Espagnol Sergio Garcia ou le Britannique Ian Poulter. La PGA Tour a, dans un communiqué, pourtant promis "des sanctions disciplinaires" contre ceux qui participeraient à cette nouvelle aventure.

"C'est un immense gâchis"

Pour Ludovic Pont, ces sanctions pourraient aller d'"exclusions de quelques mois jusqu'à des suspensions à vie". Mais le PGA n'a pas encore sévi. Pour le rédacteur en chef de Golf Magazine, la situation n'est pas encore critique car ces golfeurs "sont des joueurs de seconde zone ou bien d'anciennes très grandes gloires sur le retour". "Phil Mickelson a 51 ans et sa carrière, aussi grande soit-elle, est derrière lui. Là, il est assuré de toucher une somme de plusieurs millions de dollars rien que pour s'aligner sur ces tournois. C'est comme s'il était salarié de la LIV finalement. Cela a dû le faire réfléchir..."

Au final, et quelle que soit l'issue de ce bras de fer, toute l'image du golf risque d'en pâtir. "Pour moi, c'est un immense gâchis, regrette Pascal Grizot. Le PGA Tour et l'European Tour doivent aussi se regarder dans la glace et parvenir à trouver un terrain d'entente pour harmoniser leurs compétitions avec celles de la LIV. Sinon, le risque est que l'on ne parle encore de notre sport qu'à travers le prisme de l'argent. Et les clichés sur cette discipline, qui ne serait réservée qu'aux riches, vont de nouveau pleuvoir... Cela n'aide en rien le golf qui a tout fait pour se démocratiser." 

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