“Gang of Brussels” : immersion dans le petit monde des hooligans d'Anderlecht
1er novembre 1981, stade Constant Vanden Stock d’Anderlecht, commune de la région de Bruxelles-Capitale. Les locaux affrontent les rivaux du FC Bruges en 16es de finale de la Coupe de Belgique. Alors que sur le terrain les débats tournent vite à la leçon, victoire 5-0 des “Mauves”, surnom donné aux joueurs du Royal Sporting Club Anderlecht (RSCA), les regards se tournent vers les tribunes. Des centaines de supporters prennent d’assaut le virage où siègent les fans adverses. Dépassés, débordés, les hooligans brugeois subissent un lourd revers. C’est l’acte de naissance du “O’Side” - du nom du bloc O occupé par leurs adversaires ce soir-là - premier groupe de hooligans de la commune du sud-ouest de la capitale belge.
Le club d’Anderlecht connaît alors son âge d’or et tutoie les sommets sur le Vieux Continent, comme en témoignent ses deux victoires en Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe (1976, 1978). C’est autour du football que se retrouvent différentes bandes de jeunes, à la base rivales mais fonctionnant avec les mêmes codes - ceux de la rue. Tous sont unis derrière les mêmes couleurs. Et avec une même appétence pour la castagne, héritage d’années de guerres de quartiers marquées par la violence. Un cocktail qui se structure à travers le “O’Side”, qui deviendra ensuite le BCS (pour “Brussels Casual Service”).
À l’été 2017, deux journalistes français réalisent leur premier sujet sur ce groupe de hooligans sulfureux. Leur volonté ? Comprendre comment ces hommes expriment leur violence gratuite. La rencontre se passe suffisamment bien pour que les membres les invitent à en savoir plus. Une invitation qui donnera lieu à une enquête de plus d’un an et demi parmi les gaillards belges et qui aboutira sur un livre : “Gang of Brussels, l’histoire vraie des hooligans d’Anderlecht, entre foot et banditisme” (éditions Le Cherche Midi). “On a eu la chance de pouvoir parler à des gars en fin de carrière, qui ont entre 40 et 50 ans et sont dans une démarche nostalgique, presque testamentaire", explique Barthélémy Gaillard, l’un des deux coauteurs.
Du toit de l’Europe au drame du Heysel
La remise en contexte historique en introduction de cet article est nécessaire pour saisir l’évolution du “O’Side”. À mesure que le RSCA brille en Europe, les bagarres contre des groupes rivaux s’enchaînent et la réputation des “gars de Bruxelles” se crée et se cimente. “À l’époque, la législation est assez négligente en matière de sécurité dans les stades, donc ce n’est pas très compliqué de se réunir à 300 aux abords des enceintes et d’organiser des combats”, détaille Louis Dabir, qui cosigne l’ouvrage.
Sauf que la Belgique va connaître un drame : le 29 mai 1985 au stade du Heysel à Bruxelles, lors de la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions entre la Juventus Turin et Liverpool, la prise de tribune des hooligans anglais contre leurs homologues italiens conduit à une bousculade tragique. Des grilles de séparation et un muret s’effondrent. La catastrophe fera 39 morts et 454 blessés. “Certains des membres du O’Side étaient présents au stade à Bruxelles ce soir-là”, poursuit Louis Dabir. “Ils ne prennent pas conscience des changements que ce drame va engendrer dans leur pays les années suivantes.”
Sanctions pénales, mesures de sécurité et trafics illégaux
Le temps des bagarres rangées est révolu. Les pouvoirs publics belges, qui se rendent compte que le football peut être dangereux, mettent en place des mesures nettement plus strictes. Alors que le pays s’apprête à accueillir l’Euro-2000 avec les Pays-Bas, la loi “football” sur la sécurité lors des matchs entre en vigueur début 1999. Celle-ci est l’une des plus exigeantes d’Europe - et toujours à l’oeuvre aujourd’hui. Les fichages de hooligans se multiplient et ceux-ci sont suivis par des policiers spécialisés appelés “spotters”. Dès lors, les bagarres s’éloignent des stades, se font en plus petits groupes et conduisent les membres à se fondre dans la masse. Le début d’un autre monde pour eux.
C’est dans cette période que des marginaux sans lien avec le football rejoignent les rangs du “O’Side”. Le code d’honneur des “hools” devient parfois accessoire tandis que la délinquance de quartier évolue vers du banditisme plus organisé. Les “Brussels Casual Service” (BCS) prennent le relais au milieu des années 1990, avec son lot de combattants expérimentés qui jurent avec les ventres parfois bedonnants de certains membres historiques. En parallèle, la Belgique devient un carrefour inévitable pour le monde de la nuit. Les "nightclubs" se multiplient, drainant toute une coopérative de trafiquants et d’arnaqueurs bien organisés. Les copains de bastons deviennent des complices de business.
“À aucun moment quand on les voit, on se doute qu’ils ont mis en place des réseaux et ont des affaires illégales à côté”, précise Louis Dabir. “Le truc qui nous a mis la puce à l’oreille, c’est le téléphone qui sonne tout le temps et le fait que le mec est censé être au chômage et habite dans un 90m2 flambant neuf…”
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“Ce que nous avons trouvé fascinant, c’est leur faculté à re-créer leur propre société au travers de liens presque fraternels”
Ce qui fait tout le sel de “Gang of Brussels”, c’est la galerie de personnages et de profils atypiques qui sont présentés. Chacun en fonction de son milieu, de son origine, vient tirer quelque chose de ce groupe de hooligans. Certains vont en retirer de la camaraderie, d’autres des plans de business illégaux et de trafics en tous genres, pour d’autres encore c'est l’occasion de montrer les muscles… “Ce que nous avons trouvé fascinant, c’est leur faculté à re-créer leur propre société au travers de liens presque fraternels”, explique Barthélémy Gaillard. Une microsociété d'ultraviolents mais qui semble paradoxalement reposer sur des notions de respect, d’entraide et de famille presqu'ancestrales.
“Ce qu’ils veulent, c’est se battre peinards”, ajoute Louis Dabir. “Si tu n’es pas dans leur championnat de hooligans ou leur compétition parallèle, ils vont te laisser tranquille. Ce sont des frères d’armes qui se défendent, créent leur propre univers cloisonné et se viennent en aide quand l’un d’entre eux est en galère.”
Aujourd’hui, des combats dans les bois qui s’éloignent du football
Reste que pour beaucoup d’entre eux, les meilleurs moments font partie du passé. La saison dernière, pour la première fois depuis plus de 50 ans, les Mauves ne sont pas parvenus à décrocher une place en Coupe d’Europe. Un gros coup de bambou pour le BCS. Les obscures rencontres des premiers tours de Ligue Europa, en Ukraine ou en Estonie, faisaient jusqu’alors office de défouloir pour continuer à vivre leur hooliganisme comme dans les années 1980 - une mission impossible sur le sol belge. Des sortes de voyages RyanAir low-cost avec drogue, fêtes et bagarres dans le fin fond de l’Europe de l’Est.
Désormais les combats entre “hools” ont pris une forme plus organisée. Place au free fight à 10 contre 10 avec catégories d’âge, vérification des équipements… Le tout dans des forêts excentrées de la civilisation. Les auteurs de l’ouvrage donnent la parole à Luc, 46 ans, père de famille rangé mais aussi l’un des plus vieux participants à ces joutes consentantes. “Il fait de la musculation quatre fois par semaine et prend son Kangoo le samedi, fait 600 kilomètres pour se rendre dans un bois sombre d’Allemagne de l’Ouest, se fait casser le nez, rentre chez lui et se fait engueuler par sa femme”, glisse Barthélémy Gaillard. Une vie à la marge. Son monde à lui.
“Gang of Brussels, l’histoire vraie des hooligans d’Anderlecht, entre foot et banditisme” (éditions Le Cherche Midi), par Louis Dabir et Barthélémy Gaillard
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