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PSG-Liverpool : accolades, câlins, caresses... Tuchel-Klopp, un coaching de Bisounours

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
L'entraîneur de Liverpool, Jürgen Klopp (à gauche), embrasse son homologue du PSG, Thomas Tuchel, lors de la confrontation entre les deux clubs, en Angleterre, le 18 septembre 2018. (PAUL ELLIS / AFP)

Les entraîneurs allemands de Paris et de Liverpool, qui se rencontrent mercredi en Ligue des champions, sont des adeptes de la câlinothérapie. Une tendance de fond dans le football.

Au match aller de la phase de poules de la Ligue des champions, le 18 septembre, ils s'étaient salués par une accolade appuyée avant le coup d'envoi, et par une poignée de main à la fin du match. La volonté de ne pas trop en faire pour Jürgen Klopp, le coach de Liverpool, qui venait de faire un câlin à chacun de ses joueurs comme il en a l'habitude.

Une pointe de déception chez Thomas Tuchel, l'entraîneur du PSG, dont l'équipe venait de s'incliner (3-2) dans les dernières minutes chez un concurrent direct à la qualification en huitièmes de finale. Lui consolera ses joueurs en les prenant dans ses bras. Mais pas de doutes. En plus de leur mise en place tactique, les deux techniciens allemands vont de nouveau miser sur la câlinothérapie, mercredi 28 novembre, pour tenter de gagner ce match retour décisif. Et ça n'a rien d'anecdotique. 

Klopp le "câlineur fou" 

A Liverpool, c'est devenu un gimmick. Quand il revient de ses vacances estivales, Jürgen Klopp salue tout le monde au camp d'entraînement de Melwood. Tout le monde, de l'attaquant star de son équipe, l'Egyptien Mohamed Salah, à la personne qui tient le bar à salades au réfectoire du club.

Si ce préposé de la cantine ne s'est pas exprimé dans la presse, les joueurs des Reds ne disent que du bien de cette câlinothérapie XXL. "Tout le monde y a droit", sourit le milieu de terrain Naby Keïta. "Il adore ça, c'est clair. Mais il sait aussi quand mettre un coup de pied aux fesses", nuance James Milner, transfiguré depuis l'arrivée du coach allemand. "Ça représente beaucoup pour un joueur, abonde l'attaquant Adam Lallana, cité par le magazine FourFourTwo. Ça témoigne du fait qu'il apprécie notre boulot."

Celui que le Times a surnommé "le câlineur fou" s'amuse des montages vidéos de ces embrassades (il existe une version avec Despacito en bande-son) "Tout le monde a besoin d'aide dans la vie, un conseil par là, un petit mot gentil ici, et un bon câlin de temps en temps", tempère-t-il sur la BBC. "Jürgen crée une famille, a confié son assistant Pepijn Lijnders au journal néerlandais De Volksrant l'an passé. On dit toujours dans le foot, 30% de tactique, 70% de team building."

"On peut faire passer beaucoup de choses sans ouvrir la bouche, insiste Raphael Honigstein, auteur de la biographie Bring the Noise, consacrée au coach allemand. Jürgen Klopp qui vous étreint, c'est une masse, un colosse de 1,93 m, ça a un impact sur les joueurs. Pas sûr qu'un poids plume comme Leonardo Jardim [l'ancien entraîneur de Monaco] fasse le même effet."

Klopp est devenu l'un des entraîneurs les plus cotés du moment, tant sur le plan tactique que sur le plan tactile. De là à ce que son management par le câlin fasse école, il y a un pas que ne veut pas franchir Raphael Honigstein : "Là où ça fonctionne chez Klopp, c'est que c'est sincère, authentique. Je n'imagine pas un Pep Guardiola [actuel entraîneur des rivaux de Manchester City] qui s'est toujours montré un peu froid, un peu cérébral, s'y mettre." Cela dit, il semble bien que Thomas Tuchel se soit un peu inspiré de la méthode Klopp.

Tuchel le "solaire"

Thomas Tuchel est arrivé au PSG cet été précédé d'une réputation de dictateur après des fins de règne houleuses à Mayence, puis à Dortmund. Les joueurs parisiens ont été surpris de découvrir un entraîneur câlin et aux petits soins. "Il dégage quelque chose de solaire", confie dès le mois de juillet un membre du staff à L'Equipe. Deux mois plus tard, Tuchel confie au journal sportif : "Je crois dans les relations de proximité avec les joueurs, je crois dans l’importance d’entretenir une ambiance positive au quotidien."

C'est même plus que ça : Tuchel a théorisé la bonne ambiance et le respect pour tous comme mode de fonctionnement, sous la houlette de son mentor, l'entraîneur Ralf Rangnick, qui n'a certes pas gagné grand-chose, mais influencé tous les techniciens de Bundesliga : "Peu importe l'immensité de votre talent : si vous avez une mentalité de merde, laissez tomber." 

Dans son livre Edge : Leadership Secrets from Footballs’s Top Thinkers, le journaliste Ben Lyttleton retranscrit un discours de Thomas Tuchel devant un club d'entrepreneurs innovants, le Rulebreakers Club, alors qu'il dirige le modeste club de Mayence, avec des résultats surprenants

Si je me rends à l'entraînement sans avoir hâte de dire bonjour à tout le monde, c'est un premier problème. Je ne les lâche pas là-dessus. S'ils ne savent pas dire bonjour, ça pose problème.

Thomas Tuchel

dans le livre "Edge : Leadership Secrets from Footballs’s Top Thinkers" de Ben Lyttleton

"Ce sont mes valeurs. Certains joueurs ont du mal à s'y adapter, à remercier le préparateur physique, à dire bonjour le matin, constate Thomas Tuchel. Pour eux, c'est même parfois plus dur que de jouer au football. Mais dans la vie, il n'y a pas que le terrain. Pour être le meilleur, il faut se forger une personnalité." Et ne pas arriver en retard à l'heure des rassemblements, comme Kylian Mbappé et Adrien Rabiot en ont fait l'amère expérience avant le match face à l'OM, dimanche 28 octobre, en débutant la rencontre sur le banc.

Même exigence à l'heure du repas. Défense de finir sa soupe en 10 minutes, le nez plongé dans son assiette. Le coach tient à ce que cette pause devienne un moment où les coéquipiers nouent des liens de confiance. Connu pour étudier à la loupe le profil de ses joueurs, Tuchel s'est révélé très tactile avec les nombreux Brésiliens de l'effectif du PSG, qui en redemandent. Comme Thiago Silva, qui est tombé dans les bras du nouveau coach qu'il connaissait à peine, au début de la tournée asiatique du PSG cet été.

Le câlin est tendance

Une tendance de fond dans le foot mondial ? Pour l'ancien attaquant de Liverpool Emile Heskey, ça ne fait pas un pli : "Je crois que les joueurs d'aujourd'hui sont en demande d'entraîneurs qui les aiment et qui le montrent, analyse-t-il sur Eurosport. Demandez-vous pourquoi Klopp est l'entraîneur qui parvient à tirer le plus de ses joueurs." Avec un effectif limité en comparaison des ténors européens, il est parvenu en finale de la Ligue des champions l'an passé, seulement battu par le Real Madrid de Zidane et le vice de Sergio Ramos. Finie l'ère des techniciens glacés, comme Fabio Capello ou Louis van Gaal dans les années 1990 ou José Mourinho lors de la décennie suivante ?

Pour Rolland Courbis, qui a toujours appartenu à l'école des câlineurs, "tout est une question de dosage". "J'ai passé de longues heures de réflexion à me demander si j'avais fait preuve de suffisamment de confiance à l'égard de mes joueurs, sans pour autant me laisser bouffer par le vestiaire", explique à franceinfo le technicien qui a notamment entraîné Bordeaux, l'OM et Montpellier lors de sa riche carrière.

Une main de fer dans un gant de velours, c'est un beau proverbe, mais difficile à appliquer.

Rolland Courbis

à franceinfo

Quelques techniciens ont même poussé la promiscuité plus loin, sans cependant avoir fait école. Prenez Miroslav Blazevic. Quand il dirigeait l'équipe de Bosnie-Herzégovine, il avait demandé à ses joueurs de s'embrasser sur les lèvres pour créer un lien spécial entre eux. "Le secret du succès, c'est l'unité au sein de l'équipe. On ne peut rien créer sans ça", explique-t-il dans une chronique publiée par le site d'info croate Net.hr (en partie traduite par le Daily Telegraph). La méthode Blazevic avait du bon : sous sa houlette, l'équipe a manqué d'un rien de se qualifier pour le Mondial 2010, ne s'inclinant que face au Portugal en barrage.

Même dans le très viril milieu du football américain, les bisous ont la cote. Dans l'équipe de la Houston University, l'entraîneur Tom Herman embrasse tous ses joueurs (un chaste bisou sur la joue) et impose que tout joueur inscrivant un touchdown se jette dans les bras d'un autre joueur offensif. L'utilisation des deux bras est obligatoire. Et on ne rigole pas avec ces pratiques. "Comment motiver les êtres humains à faire des choses contre sa nature ? Deux solutions : l'amour ou la terreur. Pour moi, l'amour gagne à chaque fois", insiste l'entraîneur, cité dans le New York Times. N'y voyez pas des lubies de tacticiens illuminés. Quantité d'études (ici, ici, ici) montrent que ce qui motive les joueurs, au-dessus de leur rage de vaincre, c'est le désir d'être connecté aux autres. 

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