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Pas de matchs truqués en France ? "Je ne crois pas au syndrome du nuage de Tchernobyl"

L'Hexagone ne semble pas concerné par les révélations en cascade d'Europol sur le réseau de trucage de matchs de foot en Europe. Une fausse impression ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le match Liverpool-Debrecen du 16 septembre 2009, sur lequel pèsent des soupçons de corruption. Les Anglais l'avaient emporté 1-0 face aux Hongrois, à domicile. (TIM HALES / AP / SIPA)

Près de 400 matchs de foot truqués, 450 personnes impliquées, 15 pays concernés : les chiffres de l'enquête d'Europol sur un énorme réseau soupçonné d'avoir truqué des rencontres pour des paris partout dans le monde donnent le vertige. Et les 8 millions d'euros de gains évoqués ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Au sommet du réseau, le mystérieux Dan Tan, dont le nom était déjà sorti dans l'affaire du Calcioscommesse, l'affaire qui a ébranlé le championnat italien en 2011. Des matchs de Ligue des champions, dont une rencontre de la prestigieuse équipe de Liverpool, seraient concernés. Et la France ? L'Hexagone est-il un petit village d'irréductibles Eliot Ness qui résiste encore et toujours à l'envahisseur ? Un cliché à nuancer.

"Il n'y a pas de ligne Maginot qui protège la France"

Quand il s'agit de parler de matchs truqués en France, on sort les métaphores historiques. "Je ne crois pas au syndrome de Tchernobyl, avec le nuage des matchs truqués qui s'arrêterait à la frontière", balaye Chantal Cutajar, directrice du Groupe de recherches actions sur la criminalité organisée, contactée par francetv info. "Il n'y a pas de ligne Maginot qui protège la France", renchérit Jean-François Vilotte, président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel). 

"On n'a pas d'outil pour mesurer les matchs truqués en France, mais on dispose de plusieurs rapports (l'OCDE, le Groupe d'action financière) qui sont très critiques vis à vis de notre dispositif de lutte contre la corruption, remarque Chantal Cutajar. Donc je m'interroge." L'Arjel consulte les cotes et les mises sur les matchs se déroulant en France, pour détecter toute anomalie. Des cas qui se comptent sur les doigts d'une main. Le match Lens-Istres, décisif pour le maintien en L2 la saison dernière, avait généré un grand nombre de paris pour une victoire de Lens dans le sud de la France. "L'enquête se poursuit", rappelle Jean-François Vilotte. Pour un autre match suspect, un Tours-Grenoble de 2011, l'affaire a été classée. 

Les compétitions de haut niveau pas épargnées

La France ne remplit pas les critères des proies faciles pour les mafias. Dans le championnat de France, les salaires sont bons et versés en temps et en heure, ce qui réduit la tentation. "La France est bien protégée, et peut s'en prévaloir", estime Sarah Lacarrière, spécialiste de la fraude sportive chez SportAccord, jointe par francetv info. "Mais il ne faut pas oublier que des affaires de matchs truqués ont eu lieu dans des compétitions de haut niveau, comme la Serie A italienne. Les mafias sont aussi tentées par des marchés où il y a plus de liquidités."

Autre point positif pour l'Hexagone, les lois punissant spécifiquement la fraude sportive, les articles 445-1-1 et 445-2-1 du Code pénal. Une rareté en Europe. Dans certains pays, la corruption privée n'est pas considérée comme un délit. D'autres estiment avoir un arsenal législatif suffisant pour ne pas rajouter une loi instaurant le délit sportif. Rien qu'en Europe, aucune loi ne se ressemble. D'où le coup de pied dans la fourmilière d'Europol, une institution d'habitude assez discrète, pour faire avancer les choses. Pour preuve, le discours offensif du président d'Europol, dans cette vidéo de RMC Sport.



"Ce qu'il faudrait, c'est déjà une harmonisation des pratiques sur le plan européen, estime Antoine Meunier, du site internet Ruedesjoueurs.com, contacté par francetv info. En France, on ne peut pas parier sur des faits de jeu anodins comme le premier carton jaune, ce qui est le plus facile à truquer, mais au Royaume-Uni, oui. Le jour où il y aura des opérateurs de paris véritablement européens, du niveau des loteries nationales comme la Française des Jeux ou le PMU, ils pousseront pour une législation commune et on aura fait un grand pas en avant."

"Tout est globalisé, sauf la poursuite des criminels"

La France peut voter toutes les lois qu'elle veut, si elle ne dispose d'aucun moyen d'inquiéter les mafias asiatiques, ces protections resteront lettre morte. Personne ne peut arrêter le fameux Dan Tan. Interpol a bien émis un mandat d'arrêt international, mais Singapour refuse obstinément de l'extrader. Et comme le réseau mafieux fonctionne avec des intermédiaires d'intermédiaires d'intermédiaires qui relaient les consignes du chef, rien n'empêche Dan Tan de continuer. "La dernière chose que veut le gouvernement de Singapour, c'est Dan Tan à la barre d'un tribunal révélant qui sont ses puissants soutiens", écrit le journaliste spécialisé Declan Hill dans le journal Ottawa Citizen (en anglais).

Tant que la situation n'évolue pas, la France n'est pas à l'abri. "Il n'y a pas de gouvernance mondiale contre la corruption, regrette Chantal Cutajar. On est en pointe sur le dopage, mais dans le cas des matchs truqués, on ne se donne pas les moyens de chercher. On est dans un monde où tout est globalisé, sauf la poursuite des criminels et leurs sanctions !" Il y a quinze ans, il existait 200 opérateurs de paris sportifs partout dans le monde, désormais, ils sont plus de 10 000, note un spécialiste sur le site de l'association EU Logos Athéna. Un réseau clandestin inextricable ? Pas sûr. "Même si des mafieux parient sur des matchs via des sites clandestins en Asie, cet argent finit bien par arriver dans le système financier où il existe des mécanismes de détection des mouvements atypiques", remarque Chantal Cutajar. Reste à avoir la volonté de traquer les flux financiers suspects. 

Cela se met timidement en place. Le Conseil de l'Europe, institution qui compte 47 membres, prépare une convention internationale qui ne sera pas limitée au continent européen. "C'est un travail compliqué, explique Jean-François Vilotte, qui participe à la rédaction du texte. Il s'agit de convaincre un grand nombre d'Etats. C'est de la même nature que la lutte contre le dopage. Dans les années 80, il n'y avait rien. On peut imaginer que le mouvement sportif posera comme condition la ratification de cette convention pour qu'un pays puisse organiser des évènements sportifs importants. Ça a bien marché pour le code mondial antidopage."

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