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Paris truqués, matchs arrangés : quand le football devient le terrain du crime organisé

DECRYPTAGE | Pas moins de 380 matchs truqués à travers le monde, depuis 2008, chiffre auquel il faut rajouter 300 rencontres faisant l'objet de gros doutes. L'annonce d'Europol lundi a fait du bruit, beaucoup de bruit dans le monde du football. Cette enquête révèle surtout à quel point ce sport est devenu un terrain de jeu lucratif pour les mafias criminelles.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
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  (Superstock SIPA)

Et dire que les enquêteurs d'Europol parlent de la "face émergée de l'iceberg" ... Le marché mondial des paris sportifs
en ligne – plus de 2 milliards d'euros sont placés chaque jour – attise les
convoitises, celles de mafias tentaculaires qui n'hésitent pas à s'adresser
directement aux acteurs du jeu. Face à ce phénomène, aussi grave, voire plus, que
le dopage selon l'Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS), auteur d'un livre blanc sur le sujet, le football est en danger. Car les
affaires révélées au public, au-delà de jeter une lumière crue sur le sport le
plus populaire de la planète, dessinent une grande carte du monde des réseaux
criminels investis dans le football.

L'Allemagne à la pointe

Jusqu'en 2009, la ville de Bochum était connue des amateurs
de football pour son club, l'obscur Vfl Bochum, vivant dans l'ombre dévorante
de son puissant voisin, le Borussia Dortmund. La cité industrielle de la Ruhr fait désormais la une en matière de lutte contre la corruption.

C'est en effet le parquet de Bochum qui est en pointe depuis
trois ans sur l'enquête monumentale révélée lundi par Europol depuis son siège
de La Haye, aux Pays-Bas. 380 matchs truqués depuis 2008, 300 autres dans le
viseur, pour un bénéfice net de huit millions d'euros, principalement des
rencontres des championnats allemand, turc et suisse.

Mais le panel de pays
impliqués est bien plus large : Hongrie, Autriche (le match ayant entraîné
le plus grand bénéfice, 700.000 euros, serait une rencontre entre le Red Bull
Salzbourg et Hartberg), mais aussi deux rencontres de la prestigieuse Ligue des
Champions ou encore des matchs de qualification pour la Coupe du Monde 2010.
Environ 425 arbitres, entraîneurs, joueurs ou dirigeants de clubs seraient
impliqués. Le président d'Europol, Rob Wainwright, l'explique bien :

"Un seul match truqué peut impliquer jusqu'à cinquante
suspects dans dix pays de plusieurs continents."

Dans cette affaire, on parle de sommes pouvant aller jusqu'à
100.000 euros remises aux protagonistes pour s'assurer du résultat. On y retrouve
le nom d'Ante Sapina, un Allemand d'origine croate, condamné l'année dernière
pour avoir parié sur 23 matchs après avoir graissé la patte de deux arbitres.

A lire > Démantèlement d'un vaste réseau de corruption

Mais les cerveaux de l'affaire, eux, sont à rechercher beaucoup
plus à l'est.

Singapour et l'Asie : chez les commanditaires

"La Suisse de l'Asie", une place forte
financière, un pays réputé pour son inflexibilité vis-à-vis de la corruption...
Singapour est pourtant devenue en quelques années la tête de pont d'une
industrie bien peu recommandable.

L'un de ses ressortissants, Wilson Raj Perumal, est passé à
table ; il vit aujourd'hui en résidence surveillée en Hongrie. L'homme,
bien sous tous rapports au premier abord, s'assurait de la coopération de
personnes sur place, que ce soit en Turquie, en Allemagne ou ailleurs, au gré
des paris en ligne affichant des cotes juteuses sur Internet. Une passe ratée
qui se transforme en but, un gardien qui "se troue" subitement, un
arbitre qui siffle un penalty bien généreux... rien n'est trop voyant pour ce
réseau criminel qui voit là un bon moyen de blanchir l'argent de la drogue ou d'autres trafics. Mais il n'est qu'une pièce parmi d'autres au sein d'un réseau possédant des ramifications jusqu'en Europe de l'Est.

La logique du pari arrangé va même très loin, puisque l'homme
en question était capable d'organiser des matchs fictifs. C'est lui qui est
notamment à l'origine d'une rencontre entre Bahreïn et le Togo, le 7 septembre

  1. La faiblesse des joueurs africains interpelle, ils s'inclinent sur le
    score de 3-0. Une faiblesse bien compréhensible quand on sait qu'aucun des
    joueurs alignés sur la feuille de match n'a jamais joué une seule rencontre
    avec la sélection nationale : tous sont inconnus, recrutés pour
    l'occasion.

En Asie toujours, et d'abord en Chine, toujours plus
puissante et qui tente depuis des années de construire une puissante ligue de
football, certains hommes d'affaires lorgnent sur les championnats européens. Le
meilleur exemple étant celui de Zehyun Ye, actionnaire de plusieurs clubs, en Belgique
notamment, qui s'est payé quelques joueurs lors de matchs sans intérêt pour s'assurer un résultat conforme à ses attentes financières.

Retour à Singapour, où Wilson Raj Perumal ne recule devant aucune
astuce ; il faut dire qu'il a été à bonne école.

En Italie, le "calcio" au cœur des scandales

Le Singapourien est tombé, car victime, selon lui, de la dénonciation d'un
compatriote. Son nom, Dan Tan, claque au cœur de l'affaire du Calcioscommesse ,
un tremblement de terre dont les répliques se font sentir depuis le printemps dernier de l'autre côté
des Alpes.

Les enquêteurs soupçonnent ce chef d'un syndicat du crime
organisé bien connu à Singapour d'avoir entretenu des liens avec les
protagonistes du scandale en Italie. Un scandale, un de plus dans le Calcio,
qui touche directement au cœur du jeu. Une vingtaine de personnes ont été arrêtées,
dont plusieurs joueurs. Parmi eux, Stefano Mauri, le capitaine de la Lazio
Rome, Domenico Criscito, cueilli lors d'un entraînement de l'équipe nationale
italienne juste avant l'Euro en juin dernier, ou encore l'ancien capitaine de l'Atalanta
Bergame, Cristiano Doni. Tous sont suspectés d'avoir levé le pied, ou touché de
l'argent, dans le cadre de paris clandestins. L'une des institutions de Serie
A, la première division italienne, a également été touchée : Antonio
Conte
, entraîneur de la Juventus Turin vient de revenir sur le banc après une
suspension de quatre mois. Les enquêteurs le soupçonnent de ne pas avoir
dénoncé des faits qu'il connaissait alors qu'il entraînait l'équipe de Sienne.

L'affaire, tout sauf close en Italie – un ancien joueur s'apprêterait
à donner des noms – fait une nouvelle fois trembler le football italien sur ses
bases. Pour Alessandro Grandesso, correspondant de la Gazzetta Dello Sport à
Paris :

"Cela met en doute la moralité de certains joueurs."

Car malheureusement le pays n'en est pas à sa première
affaire de tricherie. En 2006, la Juventus Turin, à peine le titre de
championne en poche, est envoyée directement en Serie B ; son directeur
général Luciano Moggi avait la fâcheuse habitude de "choisir" quels
arbitres allaient officier pendant les matchs de sa Juve. Et il n'était pas le
seul en Serie A : la Lazio Rome, le Milan AC et la FIorentina, reléguées
elles aussi en première instance en Serie B, écoperont finalement de pénalités
de points au classement.

Et si l'on remonte encore plus loin, on retrouve la trace de
cette drôle de manie, le Totonero , littéralement le "pari noir",
assez répandue dans le Calcio des années 1970-1980. Beaucoup de joueurs du
championnat avaient alors l'habitude de parier sur le résultat des matchs ;
le scandale coûtera deux ans de suspension à Paolo Rossi, accusé de tricherie.
L'avant-centre italien reviendra sur les terrains juste à temps pour remporter
la Coupe du Monde 1982, et en finir meilleur buteur.

Et la France dans tout ça ?

A priori, le championnat de France ne revêt pas moins d'attrait
que les autres pour les criminels étrangers. On trouve en effet dans toutes les
divisions du football français des joueurs peu payés, au regard des salaires
moyens en Ligue 1 (environ 50.000 euros mensuels), susceptibles de devenir des
cibles "faciles" pour les criminels.

Mais en France, le gendarme a un nom, l'Autorité de
régulation des jeux en ligne
(Arjel), qui émet des alertes quand des sommes
anormalement élevées sont enregistrées pour des paris.

L'Arjel adapte également
son règlement en permanence. Par exemple, en novembre dernier, elle a interdit
les paris sur les rencontres de TOP 14 et de Pro D2, en rugby, concernant des
clubs déjà relégués en division inférieure, et donc susceptibles de "lâcher" une partie.

Mais l'Arjel ne peut pas tout ; il faut également que les
fédérations sportives prennent en main le problème. D'ailleurs, immédiatement
après les révélations d'Europol lundi à la Haye, le président de la Ligue de
football professionnel
(LFP) Frédéric Thiriez a écrit à l'organisme pour lui
demander si des matchs français faisaient partie de la liste : "si
tel était le cas, je saisirais immédiatement les autorités disciplinaires
compétentes et me porterais partie civile devant toute juridiction"
,
écrit-il, ajoutant que "dans le cas contraire, je pourrais mettre un terme
publiquement aux interrogations que votre conférence de presse a légitimement
fait naître."

En réalité, l'alarme a retenti récemment en France. En avril
2011 d'abord : les rencontres d'une soirée de Ligue 2 avaient été retirées des grilles
après la constatation de mouvements d'argent inhabituels autour d'un
Grenoble-Tours. Presque un an plus tard, en mai 2012, à l'occasion d'un match
entre Lens et Istres, un nombre de paris suspect avait été enregistré, en
faveur des Nordistes, en provenance de la Corse. L'enquête est toujours en
cours.

Encore une fois, dans un pays où les paris sportifs en ligne
ont représenté en 2012 un marché de 705 millions d'euros (59 % pour le
football), le "risque zéro" n'existe pas, comme l'a dit lundi le
sélectionneur des Bleus Didier Deschamps.

Le football, sport-roi déjà fragilisé par des affaire de corruption présumée pour l'attribution de la Coupe du Monde 2022 au Qatar, va devoir rapidement se saisir du problème. Les autorités sportives, conscientes de leur faible marge d'action dans le démantèlement de réseaux criminels très bien organisés, semblent avoir pris la mesure du phénomène. Car même si le football n'est pas le seul sport concerné (pensons par exemple aux soucis actuels du handball français), il reste le plus observé, et donc le plus critiquable.

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