Ligue des nations : de pionnière du football féminin à monument déclassé, la déliquescence de la Norvège
Si le froid polaire peut congeler des sédiments pendant plusieurs dizaines de milliers d’années, la Norvège n'a, en dépit de son climat, pas su conserver ce qui avait fait son succès dans les années 1990 et 2000. Dans une mauvaise passe, la désormais 13e nation mondiale reçoit les Bleues, vendredi 27 octobre à Oslo, pour le compte d'une Ligue des nations qu'elle a fort mal débuté avec un nul contre l'Autriche (1-1) et une défaite au Portugal (2-3). Une performance loin des standards d'un pays vainqueur de la deuxième Coupe du monde féminine de football de l'histoire en 1995 et des Jeux olympiques 2000 à Sydney, mais qui témoigne de son déclin.
"En Norvège, l'égalité femme-homme dans l'obtention des droits a toujours été une préoccupation majeure et à ce titre, les réussites de l'équipe féminine sont toujours une grande fierté du pays. Désormais, le temps est plutôt à la frustration", glisse Jonas Adnan Giaever, journaliste sportif norvégien. Depuis maintenant dix ans, les Scandinaves courent après un podium en compétition majeure. Lors du dernier Mondial, l'équipe est sortie dès les huitièmes de finale contre le Japon (1-3), après avoir peiné à assumer son statut de favorite dans une poule plus qu’abordable. Pas de quoi laver l’affront d’une élimination au premier tour de l'Euro un an plus tôt avec, en prime, une humiliation 8-0 contre l’Angleterre.
Un virage professionnel manqué
Encore aujourd'hui, la Norvège compte dans ses rangs certaines des meilleures joueuses de la planète. Outre la Lyonnaise Ada Hegerberg, sacrée Ballon d'or en 2018, Caroline Graham Hansen enchaîne les titres à Barcelone, tandis que Guro Reiten brille à Chelsea. Diminuées, les trois têtes d'affiche seront absentes face à la France, mais la liste des Norvégiennes évoluant dans les meilleures formations du continent reste longue. "Ce n'est pas une question de talent, c'est une question d'attitude. Tout le monde ne semble pas tirer dans la même direction, analyse le journaliste. On paie le fait que la plupart des joueuses jouent toute l'année dans les meilleurs clubs, où les conditions de travail et le professionnalisme sont à des années-lumière de ce qui se fait en sélection."
"Quand je jouais à Liverpool, il y avait une large différence au niveau des infrastructures et du personnel, confirme Ingrid Ryland, internationale de 2010 à 2018 (25 sélections). On n'avait pas de préparateur physique en équipe nationale et il y avait des manques, notamment sur les connaissances médicales du staff." Si la situation a quelque peu évolué, l'ex-latérale devenue consultante pour la chaîne norvégienne TV2 a du mal à se réjouir de l'annonce de la construction d'un centre d'entraînement dédié aux différentes sélections. "Certes, la fédération norvégienne prévoit de livrer un équipement de grande qualité d'ici à quatre ou cinq ans, mais on aurait dû l'avoir il y a dix ans", regrette-t-elle, alors que les joueuses sont jusqu'ici contraintes de se déplacer sans cesse pour préparer les rencontres.
Depuis une décennie, et davantage récemment, le niveau du football féminin international se resserre, comme l'a encore prouvé la dernière Coupe du monde. Combiné à des investissements tardifs, ce facteur a engendré un déclassement progressif de la Norvège, qui ne compte que 5,4 millions d'habitants. "Si on compare à d'autres nations, nous avons de moins bonnes académies et il est donc plus difficile de garder de hauts standards pour notre championnat local. Résultat, on a désormais du mal à rivaliser avec des pays comme la Nouvelle-Zélande, l'Autriche ou le Portugal", détaille Ingrid Ryland.
Un projet rebâti de zéro
A ces problèmes structurels, sont venues s'ajouter plusieurs conjonctures. Sans résultat à faire valoir à l'Euro 2022 malgré le retour d'Ada Hegerberg – qui avait refusé la sélection pour des questions de traitements égalitaires entre femmes et hommes depuis 2017 –, le sélectionneur suédois Martin Sjögren a été limogé et remplacé par Hege Riise, une des plus grandes gloires norvégiennes. Si la qualification pour la Coupe du monde a été assurée, l'incapacité des Nordiques à appliquer leur jeu a rapidement posé problème.
"Il n'y a pas d'identité claire dans le jeu. Dans les années 1990, on jouait sur des longs ballons et cela fonctionnait. Mais avec le développement du football moderne et vu les talents dont on dispose, la Norvège se devrait sûrement d'être bien plus dominatrice. Il nous faut des fondations collectives solides et un onze titulaire établi", juge Ingrid Ryland, alors que les questions de hiérarchie ont créé de la tourmente cet été, comme le rappelle Jonas Adnan Giaever.
"Lors de la Coupe du monde, on s'est aperçu qu'il y avait beaucoup d'égos dans cette équipe."
Jonas Adnan Giaever, journaliste sportif norvégienà franceinfo: sport
A commencer par la leader d'attaque Caroline Graham Hansen, revenue avant le tournoi d'une pause d'un an loin de la sélection pour préserver son corps et sa santé. Pas titularisée face à la Suisse, elle avait critiqué le choix de son entraîneuse face à la presse, déclarant qu'elle avait l'impression "d'avoir été piétinée", avant de s'excuser quelques jours plus tard.
Pour Leif Gunnar Smerud, un coach intérimaire dégoté aux U21 norvégiens après la démission de Hege Riise, l'objectif est désormais de reconstruire "un environnement propice à la confiance". La Norvège ne compte que trois victoires sur ses 14 rencontres disputées depuis douze mois (dont un nul et une défaite contre la France). A défaut de viser une qualification olympique via le Final Four qui semble désormais inaccessible, cela passe déjà par une lutte pour éviter la relégation en division B à l'issue de cette Ligue des nations, et donc par un résultat positif contre les Bleues.
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