"On doutait de la possibilité d'être joyeux" : comment Bergame, épicentre du virus, s'est reconstruite autour du football
"Bergame, c’est pour toi !" Inscrits en grand sur le maillot des onze joueurs de l’Atalanta Bergame après leur victoire lors du match retour de Ligue des Champions face à Valence le 10 mars dernier, ces mots disent tout, à la fois du drame qu’a vécu ces derniers mois la ville de Lombardie, et du lien indéfectible et salvateur qui la lie à son club de football. Pendant deux mois, Bergame a été l’une des villes les plus touchées d’Italie avec 6 000 morts (pour 120 000 habitants). Son club, l’Atalanta, a été un temps accusé d’être le premier foyer du virus en Lombardie, lors du match aller face à Valence le 19 février. Ce qu’aucune étude n’a à ce jour démontrée.
L’atmosphère était si morbide qu’une bonne partie de la population bergamasque ne souhaitait pas que la Serie A reprenne, après le déconfinement. Le président des Ultras s’était joint à d’autres groupes de supporters pour demander l’annulation pure et simple de la saison. Cinq mois plus tard, le club se prépare à affronter le Paris Saint-Germain en quart de finale de la Ligue des Champions, après avoir bouclé la Serie A par une formidable dynamique de victoires, et relancé la ferveur de la ville. "L’Atalanta est ce qui a, en partie, permis à Bergame de se relever" nous assure aujourd’hui le président des Amis de l'Atalanta, et membre du conseil d'administration du club, Marino Lazzarini.
"Bergame est l’Atalanta, et l’Atalanta est Bergame"
Mais comment des joueurs du Pays-Bas, d’Argentine ou d’Espagne pourraient-ils participer à la remise à pied d’une ville meurtrie, par la seule force de leurs buts et d'une certaine affection locale ? D’abord, l’attachement des joueurs à la ville de Bergame n’est pas feinte. La pancarte "Bergame c’est pour toi" n’était visiblement pas qu’un geste de communication. Au moment où les stars internationales de Serie A désertaient le territoire pour rentrer au bercail après la suspension du championnat début mars, la plupart des étrangers de l’Atalanta ont choisi de passer le confinement à Bergame. Le Néerlandais Marten de Roon, par exemple, a demandé à sa famille, restée aux Pays-Bas, de le rejoindre à Bergame, alors que la ville devenait un épicentre du virus.
"Les joueurs étrangers adoptent l'esprit de la ville très vite après leur arrivée, explique Matteo Magri, un journaliste local du Corriere Della Sera, spécialiste de l'Atalanta Bergame. Papu Gomez a déménagé au centre-ville et il a tenu à rester pendant le confinement. Il a assisté au désastre. Il n'est pas le seul. Il faut en général maximum six mois pour que les étrangers adoptent totalement la ville et s'y sentent chez eux".
L'histoire de la ville y est pour beaucoup dans ce lien spécial entre la ville et ses footballeurs. Bergame ne fut pas toujours l'une des villes moyennes les plus prospères d’Italie. Grâce à une industrie dynamique, et notamment à un savoir-faire en maçonnerie réputé dans toute l’Italie, il s'agit d'une des perles de la Lombardie. Mais "jusqu’aux années 60, Bergame était pauvre, explique Gigi Riva, écrivain et grand reporter natif de Bergame, vieux supporter du club. Il y avait peu de prétextes à l’enthousiasme. Sauf le football. Les matches de l’Atalanta ont été, pour des générations entières, des bouffées d’oxygène". Surtout, le club devient un motif d’orgueil pour les Bergamasques, leur atout face aux autres villes de province de taille équivalente mais à l’économie plus solide. A tel point qu'ils se mettent à s'identifier à l'Atalanta : "A l’étranger, les Bergamasques se reconnaissent entre eux grâce à trois choses : la polenta, la vieille ville et l’Atalanta".
Si les années 70 ont vu la consécration des grandes familles d’industriels locales, et ainsi, de nouveaux motifs de fierté, l’Atalanta reste, au fil des années, l’un des principaux moyens d’identification. Ce lien ne s’est jamais rompu. "L’année où l’Atalanta est tombée en Serie C (troisième division italienne), il y avait 20 000 personnes tous les dimanches", se souvient Gigi Riva.
Se reconstruire un sourire
La réussite récente de l'Atalanta a rendu plus enthousiastes encore des supporters déjà parmi les plus fidèles. Couplé à une économie plus rayonnante que jamais, Bergame se portait très bien jusqu'à l'arrivée du virus. D’après Gigi Riva, les conséquences de la crise y sont d'ailleurs beaucoup plus psychologiques qu’économiques, et c'est en partie la raison pour laquelle l'Atalanta peut effectivement contribuer au redressement de la ville. "Le tissu économique est solide, même si le chômage a augmenté comme partout ailleurs. Par contre, psychologiquement, c’est difficile. Tous les jours, je rencontre des gens qui sont en train de se demander pourquoi ils sont encore vivants alors que leur frère, leur ami, leur mère, n’est plus là. Nous avons une sorte de tristesse dans le cœur. C’est là que le club peut agir".
Lors du retour de la Serie A, l’état d’esprit était plutôt au scepticisme. "Les morts avaient marqué la plupart des supporters. On ne voulait plus entendre de football", explique Marino Lazzarini, le président des Amis de l'Atalanta. Les chiffres morbides égrénés tous les jours dans les médias sonnent comme des rappels à l'ordre. Comment imaginer le retour des chants de supporters ou des bières d'avant-match, à l'heure où Bergame se vide chaque jour un peu plus de ses habitants ? "On doutait de la possibilité d'être joyeux", résume Gigi Riva.
Mais le club se remet à gagner. Plus fort, plus vite, plus joliment encore qu’avant l’arrêt des matches. "Même sans la ferveur du stade, les victoires ont eu un effet sur le moral des habitants, affirme le journaliste Matteo Magri. Devant leur télé, devant leur téléphone, les sourires sont revenus, rien que pour deux, cinq, ou 90 minutes, peu importait finalement". Le club se sait vecteur d'espoir. Avant chaque match, résonnent au stade les notes de "Rinascero, Rinascerai" (Je renaîtrai, tu renaîtras), une chanson composée pendant le confinement par Roby Facchinetti, un musicien natif de Bergame. L'Atalanta finit 3e de Serie A, un podium historique pour le club. Dans le même temps, la situation sanitaire s'améliore. Les derniers chiffres, donnés par le maire de Bergame dans une interview ce samedi, indiquent 15 cas sur 22 000 tests effectués.
Face au PSG, le miracle à portée de main
Plus que le championnat, c'est la perspective de la Ligue des Champions qui fait rêver les Bergamasques. "On sait depuis longtemps qu'on sera au moins qualifié pour la prochaine Ligue des champions, donc la 3e place, à la limite, on l'avait plus ou moins digérée, explique Gigi Riva. Et ça fait quelques années qu'on s'est inscrits comme des candidats crédibles aux places d'honneur en Italie. Par contre, jouer un quart de finale de Ligue des Champions pour notre première participation, c'était tout simplement improbable, d'autant plus dans une telle période". Une victoire contre le PSG, une belle cerise sur le gâteau de la reconstruction pour les Bergamesques ? "A vrai dire, on n’ose même pas y penser... Si ça arrivait, ce serait comme la culmination d’un rêve pour nous", suggère Marino Lazzarini, le président des Amis de l'Atalanta. Gigi Riva, lui aussi, est songeur : "On est comme sur une balance : d’une part la réalité, de l’autre, le miracle. Et l’Atalanta, ces dernières années, nous a appris qu’on pouvait croire aux miracles".
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