Ligue des champions : "d'équipe du peuple" à pionnier de la Superligue, comment l'Atlético de Madrid a changé de monde
L'Atlético, qui reçoit Manchester City mercredi en quart de finale retour de Ligue des champions, a changé de dimension au cours des dernières années.
Des miettes. Voilà ce que laissent, à peu de choses près, le FC Barcelone et le Real Madrid au reste du paysage footballistique espagnol. Traditionnellement troisième club du royaume, l'Atlético de Madrid joue pourtant depuis une décennie dans la cour des plus grands. Sacré deux fois en sept ans, "l'Atléti" a échoué deux fois en finale de Ligue des champions, en 2014 et 2016. Le club madrilène est une nouvelle fois au rendez-vous des quarts de finale de la compétition, contre Manchester City, mercredi 13 avril (1-0 pour les Skyblues à l'aller). Parallèlement, ce "club populaire", comme aime tant à le rappeler le coach Diego Simeone, a pris un virage prononcé menaçant son identité singulière. Est-ce irrémédiable ?
"L'Atlético, ce n'est pas seulement une équipe de football, c'est un sentiment", expliquait l'ancienne vedette rojiblanca Fernando Torres, dans un entretien pour Sofoot en 2009. Fondé au tournant du XXe siècle, le club s'est historiquement appuyé sur un fort ancrage local et populaire. "C'est l'équipe du travailleur. Vu la situation du pays, voir les joueurs laisser leur vie sur chaque action augmente l'identification du public", pointait en 2014 Gabi, capitaine des Colchoneros au moment où l'Espagne pâtissait des effets de crise des subprimes.
Ha sido un orgullo, un honor y un privilegio vestir esta camiseta. Me habéis hecho la persona más feliz del mundo . Gracias Atleti!! #ForzaAtleti pic.twitter.com/vITwVKvJJy
— Fernando Torres (@Torres) May 20, 2018
L'opposition avec un Real Madrid considéré comme "élitiste" - même si le roi Felipe VI supporte ouvertement l'Atléti - accouche, de fait, d'un clivage social plus que politique. Souvent accusé d'avoir été protégé par le pouvoir franquiste, le club compte une frange de supporters catégorisée à l'extrême droite. En 2014, le groupe Frente Atlético a été banni du stade après qu'un de ses membres a roué de coups jusqu'à la mort un membre des Riazor Blues, groupe ultra du Deportivo se revendiquant d'extrême gauche. L'UEFA avait d'ailleurs fermé une partie du Wanda Metropolitano contre Manchester City, après que des images ont montré des supporters du club effectuant des saluts nazis à l'aller, mais le Tribunal arbitral du sport (TAS), saisi d'urgence, a suspendu cette décision.
Le Wanda Metropolitano, source de discorde
Mais contrairement au Rayo Vallecano, équipe issue du quartier populaire de Vallecas clairement estampillée à gauche, "le club n'a pas vraiment d'image politique", pointe Fran Castillo, journaliste spécialiste de l'Atlético. Cette zone du sud de Madrid, le capitaine Koke en est justement originaire. Lui comme personne incarne cette identité colchonera. En 2017, il a prolongé son bail de sept ans, une durée exceptionnelle.
"Petit, j'allais au stade avec mon grand-père, mon frère et mon père", se remémore-t-il pour la revue Libero. L'enceinte en question, le bouillant Vicente-Calderón, a disparu, au sens propre. Théâtre de nombreuses gloires européennes, son architecture singulière comme la proximité des tribunes avec la pelouse en faisaient un volcan unique. Depuis 2017, l'Atlético évolue au Wanda Metropolitano, écrin ultra-moderne de 68 000 places éloigné du centre-ville, quand le Calderón était à un quart d'heure à pied de la Puerta del Sol.
"Le changement de stade a été très radical pour beaucoup de supporters. Mais le Metropolitano a déjà connu des matchs historiques et récupère, petit à petit, l'ambiance du Calderón."
Fran Castillo, journaliste spécialiste de l'Atléticoà franceinfo: sport
Quique, supporter invétéré des Colchoneros, nous le confirme : "Je préférais le Calderón. Mais le Wanda est un symbole de la nouvelle image du club, qui n'est plus une 'équipe de quartier'". Ce déménagement s'est accompagné d'un changement de logo décrié par une partie du peuple rojiblanco. "Personne ne s'y attendait", confirme Fran Castillo. La pilule a eu du mal à passer, au point que les boutiques ont été prises d'assaut lors de la sortie d'un maillot avec l'ancien blason, au mois de janvier.
Vota: ¿Te gusta el nuevo escudo del Atlético? https://t.co/pA3J5wFTEL pic.twitter.com/V2MCdMk0IA
— ABC Deportes (@abc_deportes) December 9, 2016
Déraciné, l'Atlético l'a été encore plus en faisant partie des membres fondateurs de la Superligue européenne, en avril dernier. "Cela m'a beaucoup surpris", se rappelle Fran Castillo. De nombreuses peñas (groupes de supporters) ont exprimé leur défiance vis-à-vis du projet, forçant le club à un rétropédalage en règle. Il va sans le dire, ce projet de ligue fermée entre écuries les plus fortunées d'Europe s'inscrit aux antipodes des valeurs prônées par ce club. A ce petit jeu, les déclarations molles de l'emblématique Diego Simeone ("Notre club prendra la meilleure décision pour son futur") en avaient déçu plus d'un.
Le Cholo, dernier garant de l'identité colchonera ?
Est-ce à dire que ces valeurs ne sont qu'un mirage ? "Cholo" Simeone apportait un élément de réponse en 2019 : "On ne peut pas se réclamer du peuple quand on a un des meilleurs stades du monde ou que l'on achète un joueur pour 120 millions d'euros, indiquait-il à La Nación, en référence au transfert du jeune portugais João Félix. Mais on peut quand même dire que socialement, moralement et émotionnellement, nous restons l'équipe du peuple. Ce sont nos racines, le club ne le changera pas malgré sa croissance économique."
Le salaire du technicien argentin tempère tout de même ses propres propos : il est un des coachs les mieux payés de la planète. Son style de jeu, basé sur une grosse rigueur défensive et une intensité incessante, agace. L'Argentin est régulièrement remis en question, malgré un mandat couronné de succès. Son caractère et sa hargne collent à merveille à l'identité de l'Atlético, où il a également joué dans les années 1990.
Surtout, dans un football moderne où les transferts sont légion, de nombreux joueurs restent fidèles au maillot rojiblanco. Les indéboulonnables José Maria Giménez, Koke et Jan Oblak sont par exemple là depuis une décennie. "De toute façon, l'Atlético reste tel quel malgré tous ces changements, conclut Fran Castillo. L'essence même du club continue, même s'il est désormais connu mondialement."
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