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Edito : Face au coronavirus, l'UEFA d'imprudente à écœurante

Jeudi, l'UEFA a brandi la menace d'une exclusion des compétitions européennes à tout pays qui déciderait de mettre fin prématurément à sa saison de football, comme l'a recommandé la ligue belge il y a quelques jours. Une réaction aussi surprenante qu'affligeante qui montre une fois de plus où se situent les intérêts de l'instance du football européen, totalement hors-jeu face la menace du coronavirus infiniment plus grande qu'elle.
Article rédigé par Loris Belin
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
  (FABRICE COFFRINI / AFP)

"Les Belges et d’autres qui pensent peut-être maintenant les imiter risquent leur participation aux Coupes européennes de la saison prochaine." Face au Covid-19, il y a ceux qui font front pour faire face à une pandémie comme l'humanité en a rarement connue. Et puis il y a les autres, comme l'UEFA. Le grand patron du football européen a joué les chiens de garde de ses si lucratives Ligue des champions et Ligue Europa, corrigeant les rebelles comme ceux d'Outre-Quiévrain qui auraient l'outrecuidance de préférer la santé publique à l'intérêt économique du football. La ligue belge a ainsi préconisé de mettre fin à sa saison, alors que la crise du coronavirus laisse le sport comme tout le monde entre anxiété et incertitude. L'UEFA et son président Aleksander Ceferin ont, eux, choisi leur camp.

La Ligue des champions et la Ligue Europa, ce sont les compétitions de l'UEFA, qui invite donc qui bon lui semble. Ceferin est ainsi dans son droit le plus absolu après tout ! Un privilège aux allures de droit divin, alors que la C1 tend, année après année, vers une ligue fermée à laquelle seuls les puissants auront le droit au chapitre. "Nous croyons que toute décision d'abandonner les compétitions domestiques est à ce stade prématurée et non justifiée", a annoncé l'UEFA dans sa missive envoyée jeudi à toutes les grandes ligues. Aurait-elle des informations sur le déconfinement que les autres n'auraient pas pour être si sûre de son fait ? La même UEFA qui a tant tenu à ce que les huitièmes de finale aller Atalanta – Valence et Lyon – Juventus aient lieu alors que la crise avait déjà montré des signes plus qu'inquiétants, notamment en Italie. Elle avait pourtant dans un bref éclair de lucidité reporté l'Euro d'un an, face à l'impossibilité de pouvoir garantir une compétition aussi tôt dans le calendrier estival, qui plus est dans plusieurs pays.

"Une importance primordiale"

Elle a même dans un élan de "bonté" consenti à retarder un peu son calendrier pour permettre aux compétitions nationales de se finir en premier lieu. "Les groupes de travail (...) sont en contact quotidien pour assurer que l'objectif primordial de mener les compétitions à leur terme soit atteint (...) incluant la possibilité que les compétitions de l'UEFA reprennent après l'issue des ligues domestiques." A se montrer si gentiment prête à attendre son tour, l'instance européenne évite aussi de voir ses grandes échéances jouées par des équipes en manque de rythme pour un niveau au rabais. C'est aussi le meilleur moyen de s'assurer que la Ligue des champions reste le clou du spectacle, le moment où tous les regards seront braqués, à la place de l'Euro 2020 repoussé en 2021. Et l'UEFA voit par la même occasion les droits des retransmissions tomber comme prévu dans ses caisses. Car ne nous y trompons pas, l'instance n'avait, à proprement dit, rien à craindre sportivement avant sa missive. Son seul intérêt était de continuer à faire gonfler son compte en banque pourtant déjà bien rondouillard.

"Il est d'une importance primordiale (...) que les titres sportifs soient décernés sur la base de résultats (...) Nous devons l'assurer tant qu'une dernière possibilité existe et tant que des solutions de calendrier, d'opérations et de règlement sont disponibles." Que l'UEFA se rassure, le football européen, dans sa conjoncture actuelle, a d'ores et déjà amplement fait le boulot pour ne pas avoir à faire face aux cas de conscience. Le PSG vit seul sur sa galaxie en Ligue 1, Liverpool n'attendait plus que quelques jours pour célébrer son sacre. Il ne reste guère qu'en Espagne ou en Italie où deux équipes se tirent encore la bourre à entretenir le suspense. Et ô miracle, même un arrêt prématuré de la saison ne viendrait pas perturber les desseins d'une Europe des puissants du foot. A l'instant T, la Juventus, le Bayern et le Barça seraient champions. Pas un heureux trublion voué à être dévoré en phase de poules de la Coupe aux grandes oreilles à la rentrée prochaine. Ceferin voulait déjà l'Europe des gros, il en a poussé les excès crasseux à l'écœurement.

Un geste suffisamment fort d'une menace insuffisamment dangereuse

Dans cette course à qui aura la plus grosse (coupe), l'UEFA a sans doute cru voir en l'annonce de la ligue belge de mettre un terme avant la fin de la saison, une aubaine pour asseoir son autorité. "La solidarité n’est pas une rue à sens unique", a asséné Ceferin vendredi dans l'émission Aktuelles Sportstudio de la chaîne allemande ZDF. "Vous ne pouvez pas demander de l’aide et puis juste décider par vous-mêmes de la manière dont il convient de l’appliquer." Le président de l'UEFA a, semble-t-il, considéré que cette recommandation - qui n'est donc pas encore actée, faut-il le rappeler - était un geste suffisamment fort venant d'un championnat au poids limité pour pouvoir brandir son courrier. Abjection votre honneur !

Que l'Ecosse songe à lui emboîter le pas fait visiblement une belle jambe aux grandes pontes, alors que les clubs écossais sont ceux qui comptent le plus sur les recettes de billetterie des vingt plus grands championnats européens et souhaiteraient certainement aussi reprendre le jeu. Le directeur sportif de l'Ajax Amsterdam, Marc Overmars, a beau  accuser frontalement le président de la fédération néerlandaise de "se cacher derrière l'UEFA" pour ne pas prendre de décision sur le sort de la saison d'Eredivisie, les Pays-Bas du si flamboyant demi-finaliste de la C1 2019 s'offusquent eux aussi sans doute en vain. Les dirigeants de l'UEFA auraient-ils réagi ainsi si le Royaume-Uni avait annoncé son confinement jusqu'à la fin de l'été, mettant fin à la si lucrative Premier League anglaise ? Ou si l'Espagne ordonnait à ses habitants de rester cloîtrés chez eux jusqu'en juillet, coupant l'herbe sous les crampons madrilènes et catalans ? Permettez-moi d'en douter.

L'avenir donnera peut-être des éléments de réponse, en fonction de l'évolution du coronavirus, qui n'est pas synchronisée à l'ensemble des Etats touchés, ce dont l'UEFA ne semble guère tenir compte. D'éventuelles prolongations de confinement prises par les Etats - bien au-delà des ligues et fédérations - auront peut-être raison des espoirs d'importance "primordiale" des patrons du football européen. Ceferin l'a d'ailleurs finalement admis dans un nouveau passage à la ZDF samedi. "Nous dépendons des gouvernements nationaux" a-t-il concédé dans une intervention visiblement destinée à apaiser la situation, quelques heures après que la ligue belge ait annoncé avoir finalement trouvé une "solution constructive" avec l'UEFA, des recommandations pour "stopper le championnat". Cela ne l'a pas empêché de revenir sur une des promesses, vieille d'à peine 48 heures de sa propre institution. Désormais, ce sont les championnats nationaux qui vont devoir montrer patte blanche. "Nous allons devoir jouer aux mêmes dates et aux mêmes horaires que les championnats, ils vont devoir être flexibles.Rien n'est décidément gratuit dans ce monde-là.

Si en ce qui concerne le ballon rond, l'instance est le carnassier qui dirige les manœuvres, face au Covid-19, elle n'a pas le moindre contrôle, contrairement à ce qu'elle voudrait faire croire. Un gros poisson dans une petite mare alors que la vague n'a pas encore atteint son pic sur le Vieux Continent. Et c'est bien là la seule primordialité qui compte.

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