Ça s'est passé un 27 mai 1987 : Rabah Madjer, un but pour la légende
Qui ne se souvient pas des feintes de Garrincha, du sombrero du jeune Pelé en 58 puis du grand pont du roi face à la Tchécoslovaquie en Coupe du Monde 70 ? Qui n’a jamais vu la Panenka du joueur tchèque du même nom en 76 et osée par Zidane en finale de Coupe du Monde ou les virgules d’Okocha et Ronaldinho ? Qui ne s’est pas délecté des roulettes de notre Zizou national, des reprises de Van Basten, Trezeguet ou Ibrahimovic ? Des intérieurs du droit de Thierry Henry, du double contrôle de Berkamp en 98, des coups francs de Platini, Messi ou Neymar ? Tous ces gestes qui nous font aimer le football et nous amènent aussi, à le considérer comme un art à part...
Rabah Madjer, né à Alger en 1958, héros national et premier buteur en Coupe du Monde 82 en Espagne lorsque l’Algérie a battu l’Allemagne 2-1, entre au Panthéon des artistes le mercredi 27 mai 1987. Dans une finale européenne prestigieuse des Clubs Champions : Porto-Bayern Munich, sur la pelouse du Prater de Vienne.
"Pourquoi vous n’osez pas ?!"
Les Allemands, qui ont tout écrasé sur leur passage, sont favoris. Lothar Matthaus, Andreas Brehme , Klaus Augenthaler, Dieter Hoeness et Rummenigge se voient déjà champions d’Europe. La pression athlétique du Bayern, entraîné par Udo Lattek, son pressing permanent, sont impressionnants en première période. C’est une tête plongeante de l’habituel remplaçant, Ludwig Kogl, qui permet aux Allemands de mener 1-0 au repos.
Arthur Jorge, l’entraîneur du FC Porto, célèbre moustachu ayant entraîné le Paris St Germain, s’emporte contre ses joueurs : "Pourquoi vous n’osez pas ?!" Et le coach portugais, diplômé de l’école des entraîneurs de Liepzig et détenteur d’un doctorat d’allemand, va être entendu au-delà de ses espérances. Car il voulait opposer à la percussion du Bayern, le jeu court, vif , inspiré du FC Porto. La philosophie de l’intellectuel Arthur Jorge, scientifique instinctif, se résume dans cette formule : la capacité de surprendre. Cette 78e minute entre alors dans la légende et dans les esprits du monde entier.
Sur un centre venu de la droite de Juary, un Brésilien arrivé du calcio et juste rentré, le fantasque mais brillant gardien belge du Bayern, Jean-Marie Pfaff, détourne à peine le ballon. Madjer comprend qu’il ne peut pas reprendre logiquement du pied droit ce ballon... Car il est presque dos au but. Il laisse alors filer la balle entre ses jambes et frappe aussitôt de l’intérieur du talon droit. Une talonnade qui vient mourir dans le but vide de Pfaff, médusé, comme les 62 000 spectateurs du Prater. Porto égalise 1-1. Mais les ralentis se multiplient pour comprendre comment l’international algérien a pu marquer dos au but, en accompagnant la trajectoire du ballon grâce à une talonnade magique. Madjer vient de médiatiser un geste technique qu’il ne serait pas le premier à tenter. Mais il est sacrément audacieux pour le réussir dans un match de cette importance. Sur sa ligne de but, le défenseur allemand Hans-Dieter Flick, sans réaction, voit filer Rabah Madjer et son numéro 7 vers ses coéquipiers, fous de bonheur, Sousa, Futre et le capitaine Joao Pinto.
Deux minutes plus tard, Madjer, blessé au mollet mais encore dans l’euphorie, déborde et centre pour Juary qui marque le deuxième but victorieux des portugais. 2-1 ! Porto, dans son maillot rayé bleu et blanc, terrasse le grand Bayern et s’offre sa première Coupe d’Europe des Clubs Champions , alors que les Anglais sont toujours exclus de la compétition , deux ans après le drame du Heysel.
"C’est important de montrer qu’on peut gagner avec des qualités différentes" confie ce soir-là Arthur Jorge. Porto devra patienter 17 ans pour reconquérir l’Europe. En 2003 en UEFA puis en 2004 en Ligue des Champions, sous la conduite de José Mourinho.
"Il a réussi une Madjer" dit-on maintenant couramment
Rabah Madjer, lui, vit une année 87 féerique : un but en lob splendide de 35m et une victoire en Coupe Intercontinentale, puis un Ballon d’Or africain pour l’international aux 87 sélections et 40 buts pour l’Algérie.
Il entre dans le gotha des meilleurs joueurs africains, aux côtés de Roger Milla, Georges Weah, Abedi Pele, Salif Keita et Lakhdar Belloumi, son complice face à l’Allemagne en 82. Sa talonnade-but va même entrer dans le vocabulaire du footballeur amateur, du dirigeant, du journaliste, du coéquipier. « Il a marqué d’une Madjer. Il a réussi une Madjer » dit-on couramment depuis ce 27 mai 1987. Comme on parle d’une Panenka, ce tir au but victorieux, en feuille morte, réussi en finale de l’Euro 76 par le diabolique Antonin Panenka, le milieu des Bohemians de Prague, champion d’Europe face à l’Allemagne de l’Ouest.
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