Un jour, un club : Comment le Stade de Reims a (en partie) façonné le football moderne ?
Nous sommes en 1956. La France du football vibre. L’un de ses enfants s’est hissé jusqu’au toit de l’Europe. Non, ce n’est ni l’Olympique de Marseille, ni Saint-Etienne, ni le Paris Saint-Germain. C’est le Stade de Reims, qui atteint la finale de la Ligue des Champions de l’époque : la Coupe des Clubs champions. Plus que par le résultat, c’est la manière avec laquelle la bande à Raymond Kopa fait valser les plus hermétiques défenses du Continent qui ravit les pupilles footballistiques. Du pur spectacle, le football-Champagne, sans mauvais jeu de mot.
“Les gens nous aimaient pour notre style” affirmait il a quelques années Just Fontaine à l’Express. Plus de soixante ans plus tard, le Stade de Reims est un club réputé pour son football austère et sa défense de fer. Les passes incessantes des Pierre Sinibaldi et autre Francis Méano, les inspirations géniales de Kopa, semblent n'avoir qu’un vague arrière-goût de passé glorieux. Pourtant, l’héritage de cette mythique équipe est encore bel et bien présent.
Le Barça de Guardiola, l’Ajax de Cruyff...et le Reims de Batteux
Qui parle beau jeu aujourd’hui, convoque toujours les mêmes figures, Pep Guardiola et Johann Cruyff en tête. Le Barcelone de la fin des années 2000 et l’Ajax Amsterdam des années 80 ont proposé, il est vrai, un spectacle unique. Mais avant eux, il y avait eu le Stade de Reims d’Albert Batteux. L’entraîneur champenois (neuf fois champion de France avec Reims puis Saint-Etienne) a, bien avant tout le monde, théorisé ce qu’on pourrait globalement appeler le football esthétique. Entendez : le résultat oui, mais d’abord, le spectacle et la beauté du geste.
« Il demandait du jeu, il voulait que le physique soit au service de la technique et du jeu », s’est souvenu Michel Hidalgo, un de ses successeurs au poste de sélectionneur de l'équipe de France, pour la Croix juste après sa mort en 2003. “Et pour lui, le beau jeu était compatible avec les résultats” ajoute-t-il. Le “meilleur entraîneur de tous les temps” selon les mots de Kopa, n’avait qu’une idée en tête : réussir l’action parfaite. Quitte à perdre un peu en efficacité et en réalisme.“ Il nous avait inculqué ce jeu d'attaque millimétré, à base de une-deux et de démarquages permanents, qui est devenu notre marque” analyse Just Fontaine, attaquant du Stade de Reims pendant six ans. Une-deux, démarquages permanents : voilà une recette qui nous est bien familière aujourd’hui. Jürgen Klopp ou Marcelo Bielsa, pour ne citer qu’eux, l’appliquent à leur manière.
Le corner à la rémoise, symbole de l’héritage global de Reims
La portée historique de ces choix tactiques est alors insoupçonnée. Y-a-t-il un seul supporter du Stade de Reims qui aurait parié, en voyant Raymond Kopa refuser de frapper directement son corner en 1954, que ce geste serait repris par toutes les équipes du monde et ce, jusqu’au siècle suivant au moins ? Très peu probable. Parce que “le corner à la rémoise” n’est devenu vraiment rémois que quand ce sont les autres qui se sont mis à l’utiliser.
Le choix est n’est pourtant pas évident : ne pas frapper directement, c’est faire une croix sur un geste de finition, et privilégier un nouveau mouvement de construction. En d’autres termes, c’est faire de la construction de l’action un élément quasiment plus nécessaire que le but. Hérésie ! Absurdité ! Et pourtant. Combien furent-ils ces dernières années à préférer une nouvelle phase de possession à un corner direct ? L’équipe d’Albert Batteux a bel et bien ouvert une nouvelle porte tactique dans le football moderne. Just Fontaine ne s’y trompe pas : “ Le stade devrait porter son nom. (Albert Batteux) avait vingt ans d’avance sur tous les penseurs du foot” affirme l'ancien buteur français.
“On voit tout de suite que pour les Rémois, c’est la manière qui compte”
Les premiers à s’en être rendus compte, ce sont peut-être les supporters rémois. Fidèles du stade tous les week-ends, ils se sont probablement transmis, de génération en génération, l’idée de ce qu’était l’identité rémoise, la fierté d’avoir produit, un jour, un football d’avant-garde. Car aujourd’hui, il est difficile de ne pas entendre parler de cette période dorée dans les travées du Stade Delaune. L’entraîneur actuel, David Guion, s’en est rendu compte dès son arrivée au club en 2012. “On comprend tout de suite qu’on est dans un club historique, nous explique celui qui en est désormais à sa troisième année consécutive à la tête des Rémois. Alors on s’y intéresse et on voit que, si la victoire est importante aux yeux ds Rémois, mais il y a surtout une fierté par rapport à la manière dont on gagne. On rencontre régulièrement des nostalgiques des années Kopa : quand on est à Reims, il faut cultiver une qualité de jeu, un style”
Il le “faut” parce qu’il y a le poids de l’histoire à gérer. Celui-ci peut être un fardeau. Le jeu défensif et réaliste de Guion la saison passée pouvait parfois pâtir de la douteuse comparaison que certains pouvaient faire avec l’ancien Stade de Reims. Mais cette histoire peut aussi être un levier vers quelque chose de meilleur. “On travaille énormément sur le jeu depuis l’année dernière, insiste David Guion. Je suis pragmatique, je sais de quoi mes joueurs sont capables et ce dont ils ne sont pas capables. Le jeu de possession tel que les Kopa le pratiquaient, ce n’est pas pour nous. Mais on essaye un maximum de travailler des mouvements, des combinaisons. Le but ultime c’est de prendre du plaisir, tous les joueurs vous le diront”
Le Stade de Reims gagne plus qu’il ne fait le spectacle depuis qu’il est remonté en Ligue 1. Mais à Reims, la page n’est jamais blanche. Au contraire, elle est jaunie, dorée par le temps qui passe, comme ces vieux grimoires que l’on ouvre dans les bibliothèques de grand-mère : c’est poussiéreux, ça sent le passé, mais on ne peut s’empêcher d’y replonger avec gourmandise.
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