: Reportage Saint-Etienne en Ligue 2, une relégation embarrassante pour le tissu économique et social de la ville
La descente des Verts, actée dimanche soir dans une ambiance de chaos, aura des répercussions importantes sur le tissu économique et social local.
Dans le silence de la nuit stéphanoise, leurs mines déconfites et regards baissés disent beaucoup. L'orage de l'envahissement du terrain passé, les derniers supporters de l'ASSE achèvent leur quatre-vingt-dix-neuvième pas et quittent le parvis du stade Geoffroy-Guichard. Deux heures avant, leur équipe entérinait sa relégation en Ligue 2, en perdant le barrage contre Auxerre (1-1, 4-5 aux tirs au but). Pour ces irréductibles, la gueule de bois risque de se prolonger au-delà de cette soirée du 29 mai.
C’est terminé. Les Verts sont relégués.
— AS Saint-Étienne (@ASSEofficiel) May 29, 2022
Car à "Sainté", le club "est une locomotive pour la ville et son territoire", explique Jean-Michel Roux, enseignant en urbanisme à l'université de Grenoble, originaire du Forez. Arpenter les rues du centre-ville un dimanche après-midi permet de corroborer ses propos. A quelques encablures du match couperet, l'ASSE monopolise les conversations et des maillots verdissent la cité.
Deux heures avant la réception de l'AJA, Thomas Lassablière dresse les tables de son bar niché dans une rue étroite du centre-ville. "D'habitude, je n'ouvre pas le dimanche. Sauf quand il y a un match...", sourit ce supporter des Verts. "La ville s'intéresse au foot, donc ça génère de la passion et de l'emploi, poursuit-il. J'en suis le parfait exemple : une serveuse vient m'aider, alors que je suis normalement fermé." Il espère pouvoir continuer en Ligue 2, "mais ça coûte cher. Un professionnel ne paie pas les abonnements télé comme un particulier. Des emplois risquent de disparaître...", prévient-il.
Dans toute la région, l'AS Saint-Etienne est un objet structurant. "L'agglomération est extrêmement clivée socialement, entre le centre-ville et la périphérie, pointe Vincent Béal, co-auteur de Sociologie de Saint-Etienne. L'ASSE est l'unique point de consensus."
"Le club est un vrai bien commun. Les loges ne sont pas que pour les patrons, ils tournent avec leurs employés."
Jean-Michel Roux, urbanisteà Franceinfo: sport
Mais le rayonnement de l'ASSE dépasse largement les frontières ligériennes. Pour chaque rencontre à domicile, des plaques d'immatriculation de toute la France se rassemblent à Sainté. "Mais viendront-ils en Ligue 2, avec des matchs le lundi soir ?", questionne Julien Jeanroch, patron du bar Les Poteaux Carrés. "Les soirs de match, les restaurants et les commerces autour de Geoffroy-Guichard font le plein, confirme Régis Juanico, député de la Loire. Là, les hôtels vont connaître un vrai manque à gagner, notamment sur les nuitées des gens venus de loin..."
Saint-Etienne est de ces cités fleuries de clichés. On la présente pauvre, austère, morte. "La ville ne sait pas se vendre, indique Jean-Michel Roux. On a encore l'image d'une ville industrielle, alors que les mines ont fermé en 1972 ! Il y a pourtant des PME résilientes et innovantes." "Dans l'imaginaire populaire, Saint-Etienne, c'est l'industrie, mais surtout l'équipe de foot", confirme le sociologue Vincent Béal.
Pour redorer son image, Saint-Etienne mise sur le design. Depuis 1998, une biennale est organisée sur la thématique. Dix ans plus tard, la Cité du design a ouvert ses portes. "On est la seule ville française créative de design reconnue par l'Unesco", pointe le maire (LR) Gaël Perdriau."Dans les années 2000, le maire Michel Thiollière considérait que le foot était trop populaire et a arrêté de le mobiliser comme marqueur d'identité, souligne le sociologue Vincent Béal. Avant, le club était pourtant une marque pour promouvoir la ville."
La vente du club attendue
Même si tous les matchs de Ligue 2 sont diffusés, leur exposition est moindre. Pour un an au moins, Saint-Etienne va se passer de derbies contre l'OL ou de réceptions chaudes de l'OM. "Le design, c'est bien beau, mais qui passe à la télé tous les week-ends ? Le foot", complète Julien Jeanroch, à l'entrée de son restaurant place Jean-Jaurès. Derrière lui, trônent des exemplaires des fameux "poteaux carrés" préjudiciables aux Verts lors de la finale de C1 en 1976. "Mon année de naissance", sourit-il.
Depuis, l'ASSE est rentrée dans le rang. Jusqu'à connaître la Ligue 2 au début des années 2000. "Le public suivait, se souvient l'urbaniste Jean-Michel Roux. Le côté 'ville industrielle' a pu développer une culture de la lose, on était fiers de voir les Verts derniers de L2 contre Gueugnon !".
"Je suis convaincu qu'on va s'en relever. Saint-Etienne est une ville à qui on n'a jamais rien offert, elle va chercher à la fleur de son front ce qu'elle gagne."
Gaël Perdriau, maire LR de Saint-Etienneà franceinfo: sport
Une partie de cette identité pourrait s'envoler avec la probable vente de l'ASSE à David Blitzer, propriétaire américain de Crystal Palace. Le club appartient aujourd'hui à un entrepreneur stéphanois, Roland Romeyer, et un homme d'affaires aujourd'hui basé à Dubaï, Bernard Caïazzo. Le duo est vivement critiqué par une partie des supporters.
"Ca fait plus d'un an qu'ils doivent clarifier leurs intentions", avertit l'édile, qui qualifie la piste américaine de "rassurante". "On a été assez surpris que les pistes locales aient été écartées d'un revers de la main, note le député Régis Juanico. Il ne faudrait pas que l'ASSE devienne la 'réserve' d'un autre club...". En Ligue 2, Saint-Etienne touchera moins de recettes liées aux droits TV et devra baisser son train de vie. Des licenciements sont à craindre. Le chantier sera, quoi qu'il en soit, immense pour redonner de la fierté au peuple vert.
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