Ligue 1 : en l'absence de matches, comment les clubs entretiennent la flamme sur les réseaux sociaux
“Un club, c’est une entreprise qui occupe souvent une place centrale et qui joue un rôle social important. Ce n’est pas parce qu’il n’y avait plus de foot que le club était en sommeil”, pose d’entrée Philippe Lyonnet, directeur de la communication de l’AS Saint-Etienne. Il poursuit : “On produit des contenus comme un média, sauf que notre ligne éditoriale est très cadrée : c’est le club. Même quand l’équipe ne joue pas, il y a des choses à dire”. Privés de matches depuis début mars, les services de communication des clubs de Ligue 1 ont ainsi dû s’adapter et se réinventer pour garder le lien avec les supporters, couvrir l’actualité. “On est dans un contexte particulier, on ne peut pas non plus communiquer à outrance”, rappelle Jean-François Thermoz, directeur de la communication du RC Strasbourg.
Les réseaux sociaux, nouvelles chaînes TV des clubs
En plein essor depuis quelques années, la communication des clubs sur les réseaux sociaux occupe une place centrale dans leur stratégie : “Notre rôle, c’est d’être le premier intermédiaire entre le club et les supporters, de recueillir des demandes, des avis, et d’informer. Il y a une grosse part aussi de coulisses, pour faire vivre aux supporters les choses auxquelles ils n’ont pas accès”, précise Lucas Hervouet, community manager (CM) du FC Nantes. De fait, les comptes Twitter ont peu à peu remplacé les chaînes TV des clubs. La différence avec un CM d’une entreprise classique ? “Toutes les semaines, on a un évènement qui complète la semaine et qui la rythme : le match. Tout peut changer selon le résultat”, précise Lucas, “Mais pas depuis trois mois…”.
Concrètement, le CM relaie les contenus produits par les équipes de communication des clubs, de plus en plus structurées, et qui ont continué à tourner à plein régime pendant le derniers mois. “Pendant le confinement, on devait être à 2 posts par jour, au moins 1 sur Instagram. En temps normal, dans des semaines de match, ça peut vite grimper à 4-5 par jour, et les jours de match ça monte à 15-20”, éclaire Boris Calabrin, CM du RC Strasbourg. A Saint-Etienne, Philippe Lyonnet ajoute : “Notre capacité à produire régulièrement des contenus détermine la fréquence. Certains contenus sont plus faciles à produire que d’autres. L’idée c’est que plus on publie, plus on a d’audiences, plus on contente nos supporters”.
“Le confinement ne nous a pas fait reculer, n’a pas remis en question ce qu’on voulait faire, mais il manquait les matches qui sont la raison d’exister du club”
Avec l’arrêt du championnat et sans matches, les services de communication ont donc dû faire preuve d’ingéniosité depuis début mars. “Quasiment tout a changé puisqu’on a perdu le cœur de notre travail : le match. On a dû réfléchir pour voir comment animer la communauté. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de matches que les supporters ne veulent pas de nouvelles”, témoigne le Nantais Lucas Hervouet. A Strasbourg, Jean-François Thermoz ajoute : “On a essayé de donner des rendez-vous réguliers à notre communauté et de les faire participer via des quiz, ou en les faisant chanter depuis chez eux. Par exemple, on a d’abord fait une série ‘joue la com’ où on demandait aux joueurs de faire un exercice de renforcement musculaire qu’ils proposaient aux supporters. Pareil avec la série “le café crème”, où ils proposaient un geste technique à reproduire chez soi”.
Finale virtuelle, faux-live et échappatoire
Ainsi, en dehors des rétrospectives classiques sur les grandes heures du club, les comptes ont dévoilé jour après jour des contenus voulus originaux : “On a fait beaucoup de jeux. Par exemple, on mettait des photos de tifo et il fallait retrouver le match auquel ça correspondait, ou bien des photos de ballon cachés. Des choses simples pour faire vivre des images de foot”, raconte Boris Calabrin. Pour Philippe Lyonnet, l’idée était aussi de ne pas créer une rupture : “Dans l’approche, la volonté d’être créatif, on a toujours été animé par le même état d’esprit. On a continué à travailler sur nos projets en cours. Le confinement ne nous a pas fait reculer, n’a pas remis en question ce qu’on voulait faire, mais il manquait les matches qui sont la raison d’exister du club”.
Privé de leur matière première, les services de communication ont alors cherché à créer l'événement, pour remplacer celui qui n’avait pas lieu : “Le meilleur exemple, c’est notre finale virtuelle contre le Covid au Stade de France”, avance Philippe Lyonnet, avant de développer : “On a mis en vente des places à un euro pour remplir virtuellement le Stade de France, et reverser les dons pour lutter contre la pandémie”. Véritable succès (80 000 places écoulées), l’opération a permis au club de créer l'évènement, de l’alimenter, et d’en rendre compte. Dans un autre style, Saint-Etienne et Strasbourg ont aussi collaboré début mars : “On devait jouer contre l’ASSE. On s’était mis d’accord pour faire un faux live tweet à deux, on a écrit un scénario. C’était comme un live de match classique, sauf qu’on a arrêté le match à la mi-temps. Ensuite, c’était aux gens d’imaginer la suite”, se souvient Boris Calabrin.
Plus qu’une volonté de faire de l’audience, il s’agissait aussi pour les clubs de jouer leur rôle habituel d’échappatoire : “On voulait changer les idées des gens, surtout dans ce contexte. On se devait de proposer des choses joyeuses”, résume Jean-François Thermoz. Ainsi, à Nantes, le club n’a pas hésité à relayer une opération dont il n’était pas à l’origine : “Quand les supporters se sont organisés pour acheter aux enchères la médaille de champion de France de Denoueix, on a apprécié le mouvement. C’était un grand moment”, se remémore Lucas Hervouet, qui a également apprécié les rediffusions de match : “Voir comment ça prenait, 2000 personnes par match, ça m’a marqué, touché”.
Heure du bilan et retour à la normale
Etonnamment, cette période de disette sportive est passé relativement vite, à en croire les acteurs interrogés. “Au tout début, on pensait qu’on serait à court d’inspiration à un moment”, reconnaît Lucas Hervouet, “Mais on n'a eu aucun mal à remplir les semaines par des contenus. Bon, aujourd’hui on est impatient de retrouver le foot, et on commence à être un peu à court. On ne peut pas tenir indéfiniment comme ça, nos supporters non plus”. Même son de cloche du côté de Saint-Etienne et Strasbourg. “C’est sûr qu’on n’alimentait pas à la même fréquence, surtout avec les contraintes techniques, mais en terme de contenu ça a été”, apprécie Boris Calabrin.
Les contraintes dont parle Boris, ce sont celles qui se sont appliquées à beaucoup de métiers : “Ce n’était pas facile de travailler chacun de chez soi, avec des connexions internet moins bonnes qu’au bureau”, poursuit le Strasbourgeois : “On télécharge beaucoup de choses assez lourdes, quand on n’a pas la connexion internet adéquate, il faut trouver des solutions. On échange beaucoup entre nous aussi sur nos contenus, là c’était moins naturel”. Son collègue Jean-François Thermoz abonde : “Forcément les échanges sont moins fluides que lorsqu’on est à deux mètres l’un de l’autre”. Du côté du Forez, Philippe Lyonnet préfère positiver : “Parfois le fait d’être isolé peut rendre plus concentré et productif”.
“C’était une période très stimulante parce qu’il fallait se réinventer. Les événements n’étant pas au rendez-vous, il fallait les créer, virtuellement, et en rendre compte”
Et il n’est pas le seul. Car si tous se languissent du retour du ballon rond, tous saluent aussi “l’utilité” des derniers mois. “C’était une période très stimulante parce qu’il fallait se réinventer. Les événements n’étant pas au rendez-vous, il fallait les créer, virtuellement, et en rendre compte”, résume Philippe Lyonnet. Jean-François Thermoz, son confrère strasbourgeois, approuve : “Ça nous a forcé à imaginer des contenus inédits, novateurs. Et on va en garder quelques uns”. A Nantes, Lucas Hervouet partage cet avis : “On a testé. On a remis au goût du jour des live d’anciens matches. On a aussi pas mal joué sur des “on this day”, je pense qu’on va garder ça parce que ce sont des contenus intemporels”.
En ce début juin, alors que l’Hexagone se déconfine, cette page inédite de l’Histoire de la Ligue 1 semble déjà derrière les clubs, et l’heure est au bilan. “On a passé le plus dur, il est temps que l’actualité sportive reprenne. Mi juin, on va basculer dans une période un peu plus classique, avec la reprise des entrainements, et on va enfin pouvoir créer du contenu temporel avec les joueurs”, s’impatiente Lucas Hervouet, qui prépare en attendant l’élection du onze et des plus beaux buts de la décennie. “On est dans la préparation de la saison à venir, avec de nouveaux contenus à proposer et la nouvelle charte graphique”, confirme Boris Calabrin. Jean-François Thermoz conclut : “Comme tout le monde, on a vécu des semaines inhabituelles et là, on revient peu à peu à la normale”. Et bientôt, le ballon roulera de nouveau sur les terrains et les réseaux sociaux.
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