Gagner le coeur des supporters marseillais : une mission périlleuse pour les entraîneurs phocéens
Que ce soit Rudi Garcia ou André Villas-Boas, les deux derniers entraîneurs à avoir dirigé durablement l'Olympique de Marseille, aucun des deux n'a réussi faire l'unanimité auprès des supporters du club. Ils ont prouvé que des belles performances ne suffisent pas à garder une réputation immaculée.
Si le premier a mené l'OM jusqu'en finale de Ligue Europa en 2018, ses choix tactiques et sa communication ont suscité l'ire des supporters. "On est content de ne plus l’entendre, de ne plus subir ses conneries d’après match (...) Le stade le haïssait. On avait honte de lui", réagissait même Rachid Zeroual, le chef des South Winners lors de son éviction au printemps 2019.
Pour le second, ramener Marseille en Ligue des champions, maintenir le club phocéen dans le top 5 en Ligue 1 ou encore battre le rival parisien pour la première fois depuis 10 ans sont autant d'accomplissements qui n'ont pas suffi à gommer son manque d'audace dans le jeu ainsi que la trace laissée par une campagne européenne complètement ratée.
Devise et valeurs
Des 19 entraîneurs passés sur le banc sur l'Olympique de Marseille au XXIe siècle, seuls trois noms reviennent dans la bouche des supporters phocéens lorsqu'ils doivent choisir ceux qui sont entrés dans leur coeur : Didier Deschamps, Eric Gerets et Marcelo Bielsa.
"Deschamps, c'est autant pour sa carrière en tant que joueur et le fait qu'il ait permis à l'OM de regagner des titres. Je n'ai pas forcément trop regardé la beauté du jeu. Gerets et Bielsa, eux, n'ont peut-être rien gagné, mais ils prônaient un jeu offensif qui respectait la devise du club, 'Droit au but'. J'ai aimé leur franchise. Ils ne se cachaient jamais derrière l'arbitrage. Leur charisme, leur personnalité et leurs valeurs ont coïncidé avec celles du club", résume Jérôme, supporter de 34 ans, initié par son père marseillais dès le plus jeune âge.
Pour qu'un entraîneur fasse l'unanimité, "il faut que le style de jeu de son équipe soit offensif, agréable à regarder, et que les résultats suivent. Mais tout retombe quand un des deux critères n'est pas réuni. Avec André Villas Boas, les résultats étaient là jusqu'en décembre, on pouvait même être mathématiquement premiers avec nos matches en retard à un moment, mais il n'y avait pas de jeu et on s'embêtait", explique Maxime, abonné au Vélodrome depuis 2015, qui a même trouvé un travail à Marseille "en grande partie pour l'OM". Même si son travail est salué de tous, Didier Deschamps a lui-même essuyé des banderoles hostiles jusqu'à son départ en 2011/2012. Au-delà de l'exigence, c'est la pression de toute une ville qui pèse sur l'entraîneur.
"À Marseille, rien n'est pareil un lendemain de défaite. Moi, quand on perd, ça me touche et ça peut durer pendant une semaine jusqu'au prochain match. J'y repense chaque soir en me couchant", développe Maxime qui a vu sa passion s'enflammer lors de la finale de Coupe UEFA perdue contre Valence en 2004. Comme le décrit le philosophe Thibaut Leplat dans les colonnes de SoFoot, l'OM n'est pas un simple objet de passion pour le supporter, il "est une religion, transmise de génération en génération, c'est un membre à part entière de chaque famille". Lorsqu'il n'est plus reconnu comme tel, la fracture est douloureuse.
Ne pas faire tache sur la photo de famille
La pression des supporters est telle que les entraîneurs, s'ils veulent laisser une trace, doivent "entrer dans une forme de compromission", explique Jean-Michel Verne, auteur de OM : Enquête sur le club qui rend fou en 2017. Pour celui qui a disséqué les luttes d'influences au sein de l'OM, avec un souci accordé à l'ère Robert-Louis Dreyfus, "il ne faut pas non plus jouer avec les enjeux sportifs et financiers, mais avec l'ambiguïté de la relation avec les supporters et cela pose problème parce qu'ils ne sont pas tous que des supporters".
Si la passion est réelle, certains peuvent instrumentaliser le rôle des supporters à des fins politiques. D'après le journaliste d'investigation, l'intervention récente de la ministre des Sports "dans la gestion d'une entreprise privée", scandalisée par les heurts de la Commanderie de début février, prouve l'exacerbation de tout ce qui touche à l'OM, encore plus visible actuellement.
La tâche s'annonce compliquée pour Jorge Sampaoli, qui va reprendre un club en situation de crise. "Je ne suis pas sûr que ce soit lui rendre service de lui confier une équipe aussi nulle et dans ce contexte, d'autant qu'il ne parle pas français et que sa seule expérience en Europe n'a pas duré longtemps à Séville. Ça peut le faire parce qu'il a du caractère, il prône un jeu offensif et il est moins jusqu'au-boutiste que Bielsa. Il sait admettre ses erreurs et les corriger en cours de match", synthétise Jérôme.
Pablo Longoria, nommé président de l'OM vendredi 26 février en lieu et place de Jacques-Henri Eyraud, a eu la main sur le dossier Sampaoli. Disciple de Bielsa, amoureux d'une conception du football qui paraît compatible avec la passion marseillaise, l'Argentin trouvera un premier soutien de poids lors de son arrivée. "Nous souhaitons contribuer à la construction d'un style de jeu qui corresponde à la passion de nos supporters", expliquait Longoria dans son communiqué. Reste à voir si l'alchimie est encore possible.
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