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Barrière effondrée au stade de la Licorne : comment une enceinte a pu autant dérouiller en vingt ans ?

C'est l'histoire d'un stade construit en 1999 qui est rongé par la rouille moins de vingt ans plus tard.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Une barrière s'est effondrée au stade de la Licorne, à Amiens (Somme), le 30 septembre 2017. (FRANCOIS LO PRESTI / AFP)

Jusqu'au 30 septembre dernier, l'Amiens SC, bizuth de Ligue 1 et plus petit budget du championnat, monté à la dernière seconde de la saison 2016-2017, ne s'était pas invité à la une des médias nationaux. Jusqu'à la 15e minute du match face au Losc, quand une barrière a cédé emportant des supporters qui se sont écrasés 1,50 m plus bas sur du béton. Les 29 blessés sont tous sortis de l'hôpital depuis, mais la polémique enfle sur l'état du stade de la Licorne.

"Je n'ai pas fait un stade pour qu'il serve un an"

Quand il sort de terre, à l'été 1999, le stade de la Licorne est salué comme une réussite. Johnny Hallyday l'inaugure par un concert, ce qu'on pourrait voir rétrospectivement comme une erreur. L'"idole des jeunes", crinière blonde mais profil de chat noir, a également été le premier artiste programmé au MMArena du Mans, inauguré en 2012 et devenu depuis un "éléphant blanc".

Une architecture légère, quatre verrières qui s'envolent vers le ciel, un "dirigeable amarré" pour le cabinet concepteur du projet qui n'a coûté qu'une quinzaine de millions d'euros (aujourd'hui, un nouveau stade, c'est 80 millions minimum). "A l'époque, c'était une fierté, une jolie vitrine pour la ville qui en avait bien besoin", se souvient Morgan, inconditionnel de l'ASC depuis sa plus tendre enfance. La Licorne s'inscrit dans une série de grands travaux menés par le maire UDF de l'époque Gilles de Robien, soucieux d'apposer sa patte sur une ville restée dans son jus depuis les années 1950 et les constructions d'Auguste Perret. 

Le stade de la Licorne, surplombé par la cathédrale d'Amiens et la tour Perret (à droite), le 1er octobre 2017. (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

Au moment de son inauguration, le stade n'est pas fini. L'enceinte contient 12 000 places en configuration basse, mais peut être agrandie à 20 000 par l'ajout de tribunes légères le long de la structure en verre. "C’est là que le stade prendra sa véritable dimension, d’un point de vue visuel et acoustique", déclarait à l'époque Pascal Gossart, architecte (mais qui n'a pas participé à la conception du stade) et ancien président du club. Ces tribunes supplémentaires qui donneraient un supplément d'âme à une enceinte qui semble un peu vide, les Picards les attendent toujours.

S'il s'offre une finale de Coupe de France en 2001 (perdue aux tirs aux buts face à Strasbourg), l'ASC fait l'ascenseur entre D2 et National. Gilles de Robien apostrophe le président d'alors, Pascal Pouillot : "Je n'ai pas fait un stade pour qu'il serve un an ! Si vous descendez, il ne servira plus." L'anecdote, rapportée par Libération, est révélatrice : la mairie a les yeux de Chimène pour la Ligue 1, moins pour les bas-fonds du football hexagonal. En 2007, Amiens est à la lutte jusqu'à la dernière journée pour monter en L1, mais échoue finalement à une terrible 4place. Le plan pour procéder au lifting et au fameux agrandissement du stade restera dans les cartons de la mairie.

Deux ans plus tard, le club picard descend en National. C'est le début d'une période de vaches maigres, entre L2 et National, loin des feux des projecteurs. Alain Gest, patron d'Amiens Métropole, brandissait l'argument de la rationalité économique en janvier 2015 dans Le Courrier picard"On ne va pas faire 7 millions d’euros de travaux dans un stade pour une équipe qui joue en National." Commentaire de Raphaël Gervais, suiveur du club sur son site InfoASC : "On lui aurait fait le procès inverse s'il avait investi la somme. Encore aujourd'hui, beaucoup d'Amiénois considèrent que le club coûte trop cher au contribuable."

Des crapauds dans les crampons

Il n'y a pas que le club qui s'embourbe, le stade aussi. Dans la mythologie médiévale, la licorne, symbole de la ville d'Amiens, repousse tous les poisons. Mais ne peut manifestement rien contre les marécages, sur lesquels le stade est construit. Dès 2001, certains joueurs retrouvent des crapauds dans leurs crampons. Un des piliers s'enfonce légèrement, malgré les nombreux pilotis disposés sous terre. La structure de la toiture en verre et les sièges rouillent. Les nacelles qui devaient être installées au sommet des tribunes ont été rabotées pour faire des économies, rendant astronomique tout remplacement d'un panneau de la verrière. Le site Chroniques d'architecture.com raconte que peu après l'inauguration, quelqu'un a tiré deux coups de carabine sur la toiture du stade. Deux panneaux sont troués par les balles. Il a fallu dix-sept ans pour qu'ils soient remplacés. Commentaire lapidaire de Guy Roux : "La Licorne, c’est une véranda avec un mauvais terrain dessous."

Ce n'est que lorsqu'Amiens arrache son accession en Ligue 1 que les élus se réveillent. Quelques mois plus tôt, l'ancien adjoint aux sports de Gilles de Robien avait reconnu sur France Bleu : "Je vous mentirais si je vous disais que je savais qu'il fallait faire l'entretien annuellement." Ce n'est pourtant pas faute d'avoir été prévenu.

Deux ans après les premières rencontres, on découvre de la rouille sur la structure du stade. La société sous-traitante chargée de la peinture est traînée devant la justice pour avoir mégoté sur la quantité. En 2005, rappelle Le Courrier picard, un accord financier est trouvé avec la municipalité, de l'ordre de 600 000 euros, selon le quotidien local. Sans qu'on constate d'amélioration notable : en 2009, le rapport d'un expert judiciaire est sans appel. "La charpente métallique ne présente aucun risque d’effondrement si on n’attend pas une trentaine d’années pour traiter les pannes [le terme technique donné aux panneaux de verre de la toiture]. Une telle situation ne pourrait avoir lieu que dans un très long terme avec une absence totale d’entretien, comme c’est le cas actuellement", soutient l'expert. "On pouvait passer la main à travers la structure rongée par la rouille !", décrit Alain Gest à franceinfo.

Le remplacement des panneaux de verre débutera en 2016, le coup de peinture tant attendu sur la charpente en 2017. Le tout pour 11 millions d'euros, dont 8,5 rien que pour la verrière. Quasiment autant que ce qu'avait coûté l'enceinte dix-sept ans plus tôt. Vous avez dit gâchis ?

"Pas l'épave du foot français"

Dans le monde des enceintes flambant neuves de Ligue 1, le stade ed la Licorne fait-il figure d'ovni venu du passé ? Loïc, supporter d'Ajaccio qui a sacrifié ses week-ends pour se rendre dans une cinquantaine de stades du continent, se souvient d'avoir interpellé un stadier amiénois sur la rouille qu'il apercevait. "Il nous avait dit 'à l'époque, ils ont fait les travaux à la va-vite'." Greg, un supporter strasbourgeois, garde un autre souvenir de son déplacement en Picardie en janvier dernier : "Un pan entier du portail coulissant est sorti de son rail et est tombé à l'entrée du secteur visiteurs." Un vantail de 3 mètres de haut, qui devait bien peser 150 kg que "les stadiers ont remis en place en rigolant, comme si c'était normal."  Contactée, la métropole, gestionnaire du stade, trouve trace d'"une patte de maintien cassée" ce jour-là, réparée dans la semaine. "Après, si vous voulez trouver des incidents sur un stade, vous en trouverez toujours en remontant à Mathusalem, critique Alain Gest, qui trouve qu'on s'acharne sur son stade. Je ne plaisante pas avec la sécurité. Quand il a fallu fermer le stade pour des raisons de sécurité, alors que l'ASC jouait la montée [en Ligue 2 en février 2016], je l'ai fait."

Faut-il pour autant condamner la Licorne sans autre forme de procès ? Loïc toujours : "ce stade est unique en son genre, donc c'est difficile à comparer avec les autres. La position du parcage visiteurs, l'architecture, on n'en voit pas ailleurs des comme ça. C'est loin d'être le plus vétuste du foot pro français. A Laval, on trouve du bois dans le parcage visiteurs par exemple. Je ne me suis en tout cas jamais senti en danger à la Licorne."

Parole à la défense encore avec Fabien, supporter amiénois, qui tous les quinze jours s'adosse aux grilles – les mêmes qui ont cédé face à Lille – avec son grand drapeau. "La Licorne, ce n'est pas l'épave de la Ligue 1. J'y emmène mon fils à chaque fois et je n'ai jamais ressenti d'insécurité. On a déjà accueilli des parcages visiteurs bien garnis, notamment contre le PSG en 2008, et à l'époque, les supporters parisiens étaient autrement plus turbulents qu'aujourd'hui, et l'ambiance avait été formidable." 

Un tel incident s'est déjà produit, dans une moindre mesure, à Bordeaux, à Tours et à Lens, pour un retentissement médiatique bien moindre, souligne encore Fabien qui s'emporte. "En fin de saison dernière, on sentait bien que les télés voulaient que ce soit Lens qui monte. Bollaert, c'est autrement plus télégénique que la Licorne. Gervais Martel [alors président du club nordiste] a même tenté un recours judiciaire pour nous empêcher de monter, en vain. Et là, on fait un bon début de saison et patratras ! On nous colle ça sur le dos. On est le Petit Poucet qui emmerde le monde !" On le coupe, et on lui demande s'il n'est pas devenu un peu parano. "Je suis loin d'être le seul ici."

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