Assignation en justice, lots à vendre, poker menteur : à quoi joue Canal + avec les droits TV de Ligue 1 ?
En assignant la LFP devant la justice ce lundi, Canal+ a abattu une nouvelle carte dans la lutte pour les droits TV de Ligue 1. Cette décision fait partie d’une stratégie commerciale bien établie, comme l’explique l’économiste du sport Pierre Rondeau à France tv sport.
"Du bon sens économique"
Aujourd’hui, Canal + diffuse 20 % des rencontres de Ligue 1, pour 330 millions d’euros par an. Il s’agit de son "lot" de droits TV, négocié en 2018 lors de l’appel d’offres originel lancé par la LFP, et à l’issue duquel Mediapro avait raflé la grande majorité des droits TV – c’est-à-dire les autres lots. Comme Pierre Rondeau l’explique, "les droits TV sont segmentés en différents lots depuis 2003, pour éviter les situations de monopole".
Or, la LFP refuse aujourd’hui de remettre sur le marché l’ensemble de ces lots : seuls ceux anciennement détenus par Mediapro le seront. Ce qui amène Canal à parler de procédure "anticoncurrentielle" et "discriminatoire" car le lot détenu par la chaîne cryptée garderait sa valeur initiale. "Or, la valeur du football français a largement baissé depuis 2018, avec la crise du coronavirus et tout le contexte actuel", estime Pierre Rondeau.
Concrètement, compte tenu de la baisse de la valeur des droits TV, le matches phares de chaque week-end – remis en jeu lors de l’appel d’offre - pourraient être achetés moins cher que les matches secondaires détenus par Canal – non remis en jeu. "C’est du bon sens économique", conclut Pierre Rondeau. De son côté, la LFP estime qu'elle n'est pas contrainte à cette remise en concurrence globale.
Poker menteur
L’action judiciaire de Canal ne stoppe pas pour autant la procédure. L'audience est prévue le 19 février seulement, et l’appel d’offres aura tout de même lieu, comme prévu, le 1er février prochain. Un timing loin d’être anodin d’après Pierre Rondeau : "Canal mise sur le fait que les concurrents éventuels (Amazon, par exemple, ndlr) pourraient ne pas se lancer, car l’ensemble du processus pourrait finir par être retoqué quelques semaines plus tard". Cette situation est en plus déjà arrivée en 2014, pour le Top 14. Canal était d'ailleurs – déjà – dans les négociations. "Ce précédent, ainsi que le contexte actuel, pourraient effectivement inciter les concurrents à se retirer", ajoute Pierre Rondeau. Auquel cas, Canal serait seul sur le marché et raflerait l’ensemble des lots, certainement à prix moyen.
Si, en revanche, les concurrents se présentaient et que Canal venait à perdre l’appel d’offres, il resterait la voie judiciaire et une éventuelle annulation de la procédure. "Canal pourrait alors se remettre dans le jeu, avec son propre lot remis sur le table en plus", estime Pierre Rondeau. Le seul scénario qui verrait Canal totalement perdant serait celui où l’appel d’offres et la procédure seraient manqués. "C’est un poker menteur auquel joue Canal", estime Pierre Rondeau.
Le foot français : un "produit" bien particulier...
Il ne faut cependant pas oublier qu’il ne s’agit pas d’un appel d’offres classique, mais d’une négociation fatidique pour l’avenir du football français dans son ensemble. C’est-à-dire que la valeur finale des droits TV aura un effet direct sur le produit acheté. "Concrètement, si les droits TV sont trop bas, les clubs seront en situation de faillite, et seront donc moins compétitifs, explique Pierre Rondeau. Or un championnat moins compétitif est un produit TV moins rentable".
En d’autres termes, en cherchant ainsi à maximiser son profit, Canal risque de faire baisser la valeur du produit qu’il finira par acquérir. "Il me semblait qu’il y avait deux camps chez Canal depuis la prise de parole de Maxime Saada : d’un côté on veut maintenir à flot le foot français en négociant des droits tv conséquents, de l’autre on a ceux qui souhaitent maximiser le profit et payer le moins cher possible, estime Pierre Rondeau. Toutes ces décisions semblent indiquer que c’est le camp du profit à tout prix qui est en train de l’emporter".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.