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Les ultras d'Auxerre méritent-ils votre colère ?

Dimanche, contre Montpellier, les supporters auxerrois ont protesté de façon organisée et originale contre la relégation de leur club. Mais les dirigeants, qui ont dénoncé ces actions, ont du mal à engager le dialogue avec eux...

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un gendarme mobile fait face aux supporters auxerrois qui protestent contre la direction du club, le 20 mai 2012, au stade de l'Abbé-Deschamps, à Auxerre.  (JEFF PACHOUD / AFP)

"Des petits campagnards qui mettent le bordel dans le multiplex de Canal+, ça n'arrive pas tous les jours", en rigole encore Mathieu, ultra d'Auxerre. Dimanche 20 mai, les pontes du football français n'avaient pas de mots assez durs pour condamner les mouvements d'humeur des supporters auxerrois lors du dernier match de la saison de Ligue 1, match remporté par Montpellier qui devenait ainsi champion de France. Un match qui cristallisait surtout leur mécontentement face à la relégation de leur équipe et à la mauvaise gestion des dirigeants du club. Dans un premier temps, du papier toilette, des balles de tennis, des tomates pourries et même un melon ont volé sur le terrain du stade de l'Abbé-Deschamps, à Auxerre. Dix minutes d'interruption. 

En seconde période, un fumigène entraîne l'évacuation de la tribune d'où il est parti. Vingt minutes d'arrêt. Les Montpelliérains ont été sacrés bien après que le match de leur concurrent direct, le PSG, s'est terminé. Ces actes justifient-ils les sanctions évoquées contre l'équipe d'Auxerre et ses supporters les plus impliqués, qui vont de l'amende au match à huis clos, voire au retrait de points ? 

• Des précédents plus violents qui ont fait moins de bruit

Des supporters furieux alors que leur club, historique du foot français, est relégué en Ligue 2 : le cas s'est déjà produit à Nantes et à Lens ces dernières années. Jets de fumigènes, envahissement du terrain, projectiles en tous sens, intimidation des joueurs au centre d'entraînement le lendemain... Ça a été bien plus loin qu'à Auxerre dimanche soir.

"Ce qui s'est passé à Lens lors des deux relégations, en 2008 et 2011, il ne faudrait pas que ça devienne une tradition, explique Cédric, à l'époque membre du groupe des supporters ultra lensois, les North Devils. Mais la réaction des supporters auxerrois ne me choque pas. Comme nous, c'est un club historique qui descend en Ligue 2. En 2011, on avait interrompu le match en balançant des fumigènes sur le terrain. Quelques jours plus tard, on avait vu Gervais Martel, le président du club, qui nous avait dit : 'Vous avez fait les cons, on a fait les cons [sur le terrain], on est quittes'. Je ne suis pas sûr que le président d'Auxerre défende autant les supporters."

• Une action "à la Act Up" mûrement réfléchie

Outre les balles de tennis, les tomates et les fumigènes, les amoureux de l'AJA fourmillaient d'idées pour marquer le coup. "On a pensé d'abord à défiler dans les rues d'Auxerre avec un cercueil aux couleurs de l'AJA, révèle Jonathan Ernie, patron des Ultras Auxerre. Mais il y a des travaux en ce moment en centre-ville, sans parler de la fête foraine, donc ça n'était pas l'idéal. On voulait aussi tous s'habiller en noir mais il aurait fallu une communication énorme pour prévenir tous les spectateurs [du stade de] l'Abbé-Deschamps en amont." Une communication qui a quand même eu lieu : dans le journal L'Equipe, le matin du match, des supporters avertissaient qu'une action serait organisée.

Ludovic Lestrelin, sociologue spécialiste des supporters, explique que "quoi qu'ils fassent, les supporters sont attendus au tournant. Là, les Auxerrois ont importé dans les tribunes des modes d'action originaux, empruntés aux associations comme Act Up ou Droit au logement. C'est le signe d'une certaine maturation, une professionnalisation de l'action des supporters."

• Manuel Valls + Canal + le stéréotype du supporter = la polémique

Comme le résume Jonathan Ernie, "il n'y a pas eu mort d'homme, pas de blessé. Les balles de tennis n'étaient pas dirigées sur les joueurs et le fumigène sur le terrain est un acte isolé. On avait décidé qu'aucun fumigène n'irait sur le terrain, mais bon... Enfin, l'évacuation de la tribune par les forces de l'ordre s'est très bien passée. Ils ont été courtois avec nous, on l'a été avec eux. Il faudrait que les dirigeants du foot français revoient leur définition du hooliganisme." Le terme devenu générique englobe tous les mouvements d'humeur des supporters, de la banderole à la bagarre générale dans les tribunes. Mathieu, qui était au match dimanche soir, note même que "le gardien montpelliérain a tapé dans la main des dirigeants de l'association des supporters [auxerrois], signe qu'il a bien compris qu'il n'était pas visé par le fumigène".

Les joueurs du match Auxerre-Montpellier lors de la seconde interruption du match, à cause d'un fumigène, le 20 mai 2012, à Auxerre.  (JEFF PACHOUD / AFP)

Pour eux, la présence dans les gradins du nouveau ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, dont c'était le premier déplacement, la présence du futur champion montpelliérain sur le terrain et les caméras de Canal +, qui avait fait du match le fil rouge de son multiplex, jouent beaucoup dans la surmédiatisation de l'affaire. "Si ça avait été Auxerre-Sochaux, le battage médiatique aurait été bien moindre, remarque Mathieu. Quand on a envahi la tribune présidentielle contre Nancy, en janvier, c'était très vite retombé."

• Entre supporters et dirigeants, le dialogue impossible ?

Les joueurs d'Auxerre et de Montpellier ramassent des balles de tennis jetées par des supporters lors du match entre les deux équipes, le 20 mai 2012, à Auxerre. (JEFF PACHOUD / AFP)

"Je suis convoqué jeudi au commissariat", soupire Jonathan Ernie. La police a enquêté pour savoir comment les balles de tennis, les tomates, le melon et les fumigènes ont pu pénétrer dans le stade. Dans un club où les supporters n'avaient jamais fait parler d'eux, les dirigeants ont publiquement dénoncé le fait d'"une minorité". "Les réactions des dirigeants de l'AJA montrent qu'ils ont du mal à comprendre qu'un supporter n'est pas simplement là pour payer sa place, se lever et chanter", analyse Ludovic Lestrelin. 

"Le message qu'on adresse aux supporters est contradictoire, relève Nicolas Hourcade, autre spécialiste de ces mouvements. Quand il faut encourager l'équipe, on dit qu'ils sont le 12e homme, mais quand ils veulent exprimer un point de vue sur la gestion du club, on leur répond qu'ils n'ont rien à dire." 

De trop rares clubs organisent un dialogue avec les supporters, en leur donnant la parole lors de réunions, histoire qu'ils ne le fassent pas dans le stade. Nicolas Hourcade conclut : "La question, c'est de savoir si les stades sont amenés à être des lieux exemplaires du comportement en société, un peu aseptisés, clean, ou si on les considère comme un lieu d'expression collective avec quelques débordements comme des jets de kiwis sur la pelouse." Et d'ajouter : "Il faudrait se demander où placer le curseur dans ce qu'on considère comme inacceptable plutôt que de tout interdire."

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