KGB, propagande et "araignée noire" : le Dynamo Moscou, le nouveau club maudit de Mathieu Valbuena
Le meneur de jeu des Bleus sait-il qu'il a signé dans un club haï depuis toujours et maudit depuis trente ans ?
"Il y a un esprit maléfique qui plane au-dessus de ce club". Constat d'un ancien entraîneur du Dynamo Moscou, Iouri Siomine, en 2006. Après avoir longuement hésité, Mathieu Valbuena, le meneur de jeu de l'équipe de France, a pourtant rejoint le Dynamo, samedi 2 août. A-t-il pris le temps de se renseigner sur l'histoire tourmentée de son club et de la malédiction qui pèse sur lui ?
Le club du KGB et du fisc
Dès sa fondation, le Dynamo n'est pas promis à un grand soutien populaire. C'est Félix Djerzinski en personne, le patron de la Tchéka, ancêtre du KGB, qui crée le club en 1923 pour maintenir les officiers en bonne condition physique. Des joueurs exerçant des professions impopulaires, comme collecteurs d'impôts, y participent. Alors forcément, ils héritent en quelques mois du surnom de "musor", un mot russe qu'on peut traduire par "racaille", mais qui signifie aussi "flicaille" en argot.
Le lien entre le Dynamo et les services secrets est organique. De Lavrenti Beria (des années 30 à son exécution en 1953) jusqu'à Sergueï Stepachine (2006-12), les patrons du club exercent aussi la fonction de directeur des services secrets. Beria, le plus célèbre et le plus sanguinaire de tous, n'hésitait pas à utiliser son pouvoir pour favoriser son club, face à la concurrence des autres clubs moscovites : le Spartak, le club des syndicats, du Lokomotiv, l'équipe des cheminots, ou du CSKA, celui de l'armée.
Nikolaï Starestin, le meilleur joueur des années 30, qui évoluait au Spartak Moscou est envoyé dix ans au Goulag parce que son équipe jouait de façon "bourgeoise", rapporte Voice of Russia (en anglais). Volodia Strepikhleev, qui a eu le malheur d'arbitrer en 1935 un match amical entre le Dynamo et une sélection basque, perdu 7-4, est déporté, raconte l'universitaire anglais Jim Riordan dans sa thèse. Le tout-puissant Beria ménage ses arrières : alors que le Dynamo et le Spartak doivent disputer un match d'exhibition sur la Place Rouge, son équipe déclare forfait au dernier moment... de peur qu'un ballon envoyé en tribune n'atteigne le dictateur soviétique, raconte la BBC.
Âge d'or et "araignée noire"
Après la Seconde guerre mondiale, l'heure est à la détente. Quand il faut choisir une équipe soviétique pour faire une tournée au Royaume-Uni en 1945, c'est naturellement le Dynamo qui est choisi. "Comme c'était l'équipe de la police secrète, le Dynamo pouvait être envoyé à l'étranger pour une campagne de propagande", remarque dans le Moscow Times (en anglais) Ronnie Kowalski, universitaire auteur d'un livre sur l'évènement. Le Dynamo remplit parfaitement son rôle : les joueurs distribuent des bouquets de fleurs à leurs adversaires au moment d'entrer sur le terrain, et la supériorité tactique des Soviétiques leur permet de terminer invaincus... même contre une équipe de Chelsea qui avait payé une fortune pour acquérir les meilleurs joueurs du pays pour la rencontre, note Russian Football News (en anglais).
C'est le début de l'âge d'or du Dynamo. Après avoir décapité le Spartak, Staline fait démanteler l'équipe du CSKA dont les meilleurs éléments... échouent au Dynamo. Le club a aussi la chance de voir éclore à cette époque Lev Yachine, le meilleur gardien de l'histoire du jeu. L'"araignée noire", unique gardien à avoir décroché le Ballon d'Or, joue 22 saisons au Dynamo. Tout sauf un choix par défaut. "Si je pouvais, je jouerais au Dynamo pendant des siècles", confie Yachine, cité par le site spécialisé In Bed with Maradona (en anglais). Le club est sacré champion d'URSS à quatre reprises entre 1954 et 1959. Le poète Lev Ochanine en rajoute quand même un peu quand il écrit : "tout Moscou soutient obstinément le Dynamo, en oubliant la pluie qui tombe". Le club décroche son dernier titre de champion d'URSS en 1976. Et puis, plus rien. Des places d'honneur dans les années 1980. Un lent enlisement en milieu de tableau depuis.
"Pour ce prix-là, on pouvait envahir la Géorgie"
Au palmarès, le Spartak et le CSKA le dépassent. Conscient d'avoir raté le virage du foot-business, le club croit avoir misé sur le bon cheval en se rapprochant de Mikhaïl Khodorkovski en 2001, dont la compagnie pétrolière Ioukos devient son principal sponsor. Pas de chance : l'oligarque tombe en disgrâce en 2003, Khodorkovski est envoyé en prison.
Deuxième tentative pour le Dynamo avec l'arrivée au capital de l'équipe d'Alexei Fedorichev, patron de Fedcominvest, très proche de la mafia russe en 2005. Le magnat des engrais met 100 millions de dollars sur la table et décide de recruter grosso modo l'équipe du FC Porto, championne d'Europe quelques mois plus tôt. Une douzaine de joueurs lusophones débarquent, et les rares joueurs russes restants sont priés d'apprendre la langue, sous peine d'être mis dehors. "Je me fiche d'avoir 20 joueurs portugais, tant qu'ils sont prêts à mourir pour ce club", déclare alors Andreï Kobelev, l'entraîneur. C'est loin d'être le cas : tête de gondole du recrutement, Maniche déclare dans la presse, trois mois après son arrivée : "Je n'aime pas ce pays, je n'aime pas ce championnat et je n'aime pas la météo !" Les résultats ne suivent pas.
Quelques semaines plus tard, Kobelev est remercié pour faire place à un entraîneur brésilien. Sans amélioration au classement : le club échappe de justesse à la relégation. "Pour ce prix-là, Alexei Fedorichev aurait pu faire quelque chose de plus constructif, comme acheter une flotte de tanks et aller envahir la Géorgie", ironise Dima, fan jusqu'au-boutiste du Dynamo, citée dans Football Dynamo : Modern Russia and the people's game (en anglais).
"Vous paierez pour ses fautes"
Depuis, le club a encore changé d'oligarque, avec Boris Rotenberg, un personnage haut en couleurs. Côté business, c'est le patron de la banque VTB. Sinon, Rotenberg fait jouer son fils dans l'équipe première du Dynamo, cultive une longue amitié avec Vladimir Poutine depuis qu'ils ont appris le judo ensemble dans les années 1960. Il est tellement proche du président russe qu'il figure sur la liste des personnalités russes sanctionnées par les Etats-Unis et l'Union européenne après l'intervention de Moscou dans la crise ukrainienne.
Rotenberg a l'intention de bâtir un stade ultra-moderne pour le club. En attendant, c'est toujours dans le rétroviseur que les fans regardent. En 2006, les supporters du Dynamo déploient lors d'un match un grand portrait de Beria, avec comme légende : "il voit tout". Réponse des fans du Zénith Saint-Pétersbourg : une effigie de Beria tout aussi imposante, avec inscrit : "vous paierez pour ses fautes". Et si c'était ça l'explication ?
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