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Gourcuff malmené, Domenech insulté, Deschamps informé... Les "dossiers" autour du naufrage de l'équipe de France à Knysna

Le désastre de la Coupe du monde 2010 et la grève des Bleus dans le bus sont encore dans toutes les mémoires dix ans plus tard. Franceinfo revient sur les histoires marquantes (mais pas toujours exactes) qui entourent la catastrophique campagne sud-africaine de l'équipe de France de football.

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 17min
Le sélectionneur de l'équipe de France Raymond Domenech lit la lettre écrite par les joueurs pour justifier leur grève de l'entraînement durant la Coupe du monde en Afrique du Sud, à Knysna, le 20 juin 2010. (FRANCK FIFE / AFP)

Ultime match de la phase de groupes. L'équipe de France de football sombre contre l'Afrique du Sud. Raymond Domenech refuse de serrer la main de Carlos Alberto Parreira, le sélectionneur adverse, à qui il reproche une déclaration contre les Bleus. Il s'agit là du dernier soubresaut d'une débâcle mémorable. La défaite (1-2), ce 22 juin 2010, au Free State Stadium de Bloemfontein, a scellé un fiasco exposé aux yeux du monde deux jours plus tôt. Sur leur camp de base, à Knysna, les joueurs français n'ont alors pas voulu s'entraîner et sont restés enfermés dans leur bus pour protester contre le sort de Nicolas Anelka, exclu du groupe la veille parce qu'il aurait insulté Raymond Domenech.

Dix ans plus tard, et tandis que Le Monde (article payant) a révélé lundi 15 juin que le rapport d'enquête de la Fédération française de football (FFF) sur ce flop retentissant a étrangement disparu, franceinfo revient sur ce naufrage aussi historique que pathétique. Un naufrage aux causes multiples (comme l'expliquait franceinfo il y a quelques années avec un "Bluedo"), et riche d'idées reçues, d'invérifiables légendes, mais aussi de faits avérés.

Thierry Henry a fait des pieds et des mains pour aller au Mondial

Difficile à affirmer. Cette saison-là, l'attaquant vedette de l'équipe de France passe plus de temps sur le banc de son club, le FC Barcelone, que sur le terrain. Au printemps 2010, Raymond Domenech ne peut nier l'évidence : le recordman de buts sous le maillot bleu, dont l'image a été sévèrement entachée après qu'il s'est aidé de la main pour faire la passe à William Gallas, auteur du but décisif pour la qualification contre l'Irlande, n'a pas sa place parmi les 23 joueurs qui disputeront le Mondial. En avril, le sélectionneur français se rend en Catalogne pour signifier à Thierry Henry qu'il ne sera pas du voyage en Afrique du Sud. C'est en tout cas ce que révèlent, fin mai, le "Canal Football Club" (Canal+), puis Le Parisien (article payant). Selon l'émission et le quotidien, le joueur aurait finalement convaincu son entraîneur de le sélectionner, en acceptant un rôle de remplaçant.

Interrogé le soir même où est dévoilée l'information, Raymond Domenech évoque des "ragots". Quelques jours plus tard, Thierry Henry confirme pourtant cette entrevue catalane : "Oui, le coach est venu me voir à Barcelone. Il m'a dit que je ne commencerai pas la Coupe du monde, une chose que j'ai acceptée et c'est tout à fait normal. J'ai terminé la saison sans jouer à Barcelone". L'ex-icône d'Arsenal n'a toutefois jamais indiqué que le sélectionneur avait envisagé de l'évincer de la liste finale.

Les Bleus résidaient dans un hôtel hors de prix

Vrai. La polémique naît juste avant le début de la compétition. L'équipe de France vient d'arriver au Pezula Resort, à Knysna, un établissement cinq étoiles situé tout près de l'océan Indien. Rama Yade, à l'époque secrétaire d'Etat aux Sports, critique au micro de Radio J le choix de ce luxueux hôtel : "Je n'aurais pas choisi cet hôtel. L'Espagne, par exemple, a choisi un campus universitaire. J'attends que l'équipe de France nous éblouisse par ses résultats plutôt que par le clinquant des hôtels. Moi, je les ai appelés à la décence en temps de crise."

Le prix des chambres oscille entre 589 et 1 000 euros la nuit, soit les tarifs les plus élevés parmi les délégations présentes en Afrique du Sud. En comparaison, il en a coûté 359 euros aux Japonais, 319 euros aux Camerounais, 270 euros aux Allemands, 123 euros aux Espagnols, 115 euros aux Algériens, 90 euros aux Portugais, ou encore 74 euros aux Honduriens, rapporte alors La Dépêche.

Nicolas Anelka a insulté Raymond Domenech

Vrai. A ce jour, on ignore toujours les mots exacts prononcés par l'attaquant français. Après sa défaite contre le Mexique (0-2) lors du deuxième match de poule, le 17 juin, l'équipe de France est très mal embarquée. Deux jours plus tard, la fameuse une de L'Equipe met le feu aux poudres. On y lit les insultes que Nicolas Anelka aurait proférées à l'encontre de son entraîneur : "Va te faire enculer, sale fils de pute". Selon le journal, le joueur n'a pas supporté les reproches de Raymond Domenech à la mi-temps de la rencontre. Si les deux hommes ont bien échangé des mots, Nicolas Anelka niera toujours avoir prononcé les paroles rapportées par le quotidien sportif.

Différentes versions des injures circuleront durant les semaines et mois suivants. Dans son livre L'implosion (août 2010), l'ancien médecin des Bleus Jean-Pierre Paclet donne une version proche de celle du quotidien sportif. La Commission fédérale de discipline de la FFF, chargée d'enquêter sur les événements de Knysna, attribue au joueur, le 17 août 2010, une formule assez voisine.

Enfin, dans son livre Tout seul, paru en novembre 2012, Raymond Domenech relate la scène. La phrase prononcée par Nicolas Anelka serait "Enculé, t'as qu'à la faire tout seul ton équipe de merde ! J'arrête, moi..." L'ancien sélectionneur des Bleus confirmera peu ou prou cette version en 2018 dans le documentaire de Canal+ Sélectionneurs.

Jérémy Toulalan est l'unique auteur de la fameuse lettre

Faux. Pour protester contre l'exclusion de Nicolas Anelka, les joueurs décident de faire la grève et de ne pas s'entraîner, dimanche 20 juin. Cloîtrés dans leur bus, ils refusent d'en descendre et ont préparé une lettre pour expliquer leur geste. Ce texte, que l'on retrouve en intégralité dans un article très documenté du Monde, est lu par Raymond Domenech face à de nombreux journalistes. "Par ce communiqué, tous les joueurs de l'équipe de France, sans exception, souhaitent affirmer leur opposition à la décision prise par la Fédération française de football d'exclure Nicolas Anelka", indiquent les grévistes. Cinq ans après, Raymond Domenech (licencié en septembre 2010 par la FFF pour "faute grave") affirmera au Monde savoir "que la lettre a été rédigée par les agents de trois joueurs".

Parmi ces trois-là, on retrouve bien Jérémy Toulalan. Quelques semaines après le fiasco, le milieu de terrain des Bleus raconte au Journal du dimanche les événements : "Avec quelques joueurs, on a couché des idées pour expliquer notre démarche. Puis avec nos conseillers, on a essayé de mettre ça en forme pour être bien compris". En 2013, le joueur reviendra une nouvelle fois sur cette affaire dans France Football : "Pour en revenir à la lettre, c'est bâtard puisqu'il n'y a pas eu que mon conseiller à l'écrire (...) Si je donne un nom, ça fera mal à cette personne. Et je pense qu'en plus, ça ferait pas mal de bruit (…). J'ai assumé ma part. Les autres ? J'aurais pu en tuer, je ne l'ai pas fait." Outre Toulalan, quels joueurs ont participé à l'écriture de cette lettre ? Personne ne le sait vraiment. Les noms qui sont sortis dans la presse n'ont jamais été confirmés.

Patrice Evra et Robert Duverne ont failli en venir aux mains

Faux. Avant que Raymond Domenech ne lise le communiqué des joueurs, les caméras ont pu capter une discussion houleuse entre le capitaine Patrice Evra et le préparateur physique Robert Duverne. Les deux hommes ont même dû être séparés par le sélectionneur.

Le préparateur physique a récemment évoqué, dans l'émission "Team Duga", sur RMC Sport, cet épisode qui a marqué sa carrière. Ce 20 juin 2010, en découvrant que les joueurs signent des autographes sans leurs équipements, il "devine qu'il se prépare quelque chose". Il s'approche alors de Patrice Evra et Raymond Domenech, en pleine discussion, pour comprendre la situation. "J'ai un body language qui est assez expressif, ça fait partie de ma personnalité. C'est plus une altercation, un rapport entre le préparateur physique et un joueur pour dire : 'Il faut s'entraîner'. Raymond me dit : 'Robert, il y a des caméras en haut, dans la colline'. Pat [Evra] aussi. Ils n'ont pas envie de ça devant les caméras. Ils m'avertissent à plusieurs reprises. Je reste focalisé et énervé. On est un peu à bout de nerfs par rapport aux sacrifices consentis, à la compétition. Je m'emporte. Mais je ne m'emporte pas parce qu'il y a des propos insultants. Je m'emporte pour être convaincant et dire : 'Ça ne peut pas se passer comme ça'."

A la fin de la discussion, les trois hommes se séparent et, de rage, Robert Duverne jette son chronomètre. "Dans ma vie, je n'ai pas fait que lancer un chrono ! (...) Avant ce geste, j'étais quelqu'un de très calme et posé, et je le suis redevenu après. Mais je ne regrette pas du tout, j'assume. On n'est pas toujours parfait et je ne l'ai pas été ce jour-là. J'ai ressenti un fort énervement de voir les joueurs refuser de s'entraîner et j'ai réagi comme ça", a-t-il raconté au Parisien (article payant) en 2011. Pour la petite histoire, il a ensuite récupéré son chrono.

Didier Deschamps savait que les joueurs allaient se rebeller

Vrai. En 2010, Didier Deschamps est l'entraîneur de l'OM et suit les événements, comme tout le monde, devant sa télévision. Enfin, pas exactement. Car "DD" est un homme qui pèse dans le football français. Capitaine des champions du monde 1998 et des vainqueurs de l'Euro 2000, il a son réseau. Devenu sélectionneur des Bleus, il révèle en février 2015, dans l'émission "Conversations secrètes" de Canal+, avoir été au courant qu'une rébellion des joueurs se préparait à Knysna après l'exclusion de Nicolas Anelka. "Sans trahir de secret, la veille, je savais qu'il allait se passer quelque chose", raconte-t-il à Michel Denisot. Comment est-ce possible ? "Je connais du monde. J'aime bien savoir ce qu'il se passe dans la maison d'en face."

Raymond Domenech, lui, a sa petite idée sur la question : "Si Didier Deschamps ­savait la veille, c'est que quelqu'un d'extérieur au groupe l'a averti ", explique-t-il en 2015 au Monde. Les regards se tournent vers l'agent historique de l'influent Deschamps, Jean-Pierre Bernès. En 2010, il gère les intérêts de quatre Bleus présents en Afrique du Sud : l'ailier du Bayern Munich Franck Ribéry, le défenseur du FC Séville Sébastien Squillaci, ainsi que les Bordelais Alou Diarra et Marc Planus. "Deschamps l'a su par Bernès, ça ne peut être que par lui", assure au Monde une source restée anonyme. Quoi qu'il en soit, Didier Deschamps n'aura rien fait pour tenter d'intervenir. "De quel droit ?", lance-t-il à Michel Denisot.

Yoann Gourcuff a été maltraité par ses coéquipiers

Difficile à dire. Beaucoup le voient alors comme l'héritier de Zinedine Zidane. Pourtant, comme ses camarades, Yoann Gourcuff rate sa Coupe du monde, terminée sur un carton rouge contre l'Afrique du Sud. Par la suite, beaucoup de choses sont dites et écrites sur la manière dont il a vécu cette compétition. Pris en grippe par une partie du groupe, affublé de petits surnoms peu flatteurs, mais surtout boycotté et privé de ballon sur le terrain, le joueur vedette des Girondins de Bordeaux (il rejoint Lyon quelques semaines après le Mondial) est présenté comme le souffre-douleur de la bande.

Dans Tout seul, Raymond Domenech raconte une scène survenue alors que les Bleus s'apprêtent à affronter l'Uruguay, pour leur premier match du Mondial : "Je dis à Gourcuff : 'Je t'ai confié les clés, à toi de jouer !' Le pire, à ce moment précis, est le regard de Franck Ribéry. Je me fais peut-être du cinéma, mais j'ai vu dans ses yeux la haine, le mépris ou la jalousie. Il ne l'aime pas, c'est certain." Autre anecdote : un entraînement où "Ribéry et d'autres avaient tué la séance parce que Gourcuff se trouvait dans leur équipe. Il n'a rien vu, il a subi et je me suis dit qu'il restait dans son monde des bisounours". Dans La face cachée de Franck Ribéry (2011), les journalistes Gilles Verdez et Matthieu Suc affirment que le joueur du Bayern Munich a poussé ses "partisans" dans l'équipe à taper sur la tête de Gourcuff quand il remontait dans le bus. Le Bordelais a accepté la brimade un temps, avant de se rebiffer.

C'est complètement faux ! J'ai même entendu que j'avais séparé Franck (Ribéry) et Yo (Gourcuff) : du grand n'importe quoi ! Il n'y a eu aucune altercation entre eux.

Jérémy Toulalan

au "Journal du dimanche"

Franck Ribéry a lui aussi nié les allégations. "Je n'ai jamais eu de problème avec Yoann Gourcuff", a-t-il assuré plusieurs mois après Knysna, regrettant même que son coéquipier n'ait rien fait (ou dit) pour le dédouaner. Mais dans une lettre ouverte à l'attention de Yoann Gourcuff, publiée sur Slate en 2016, le journaliste Jacques Besnard raconte une discussion avec le père du joueur, Christian Gourcuff : "Ton père, que j'avais rencontré en 2012, sans rentrer dans les détails, m'avait fait pourtant comprendre que certains joueurs ne t'avaient pas épargné et que tu étais un peu dégoûté." Dans un long article que So Foot a consacré au meneur de jeu, en février 2015, un de ses amis assure que l'ancien Bordelais "a vécu des choses terribles à Knysna".

Dix ans plus tard, Yoann Gourcuff, victime de blessures à répétition tout au long de sa carrière, a disparu des radars. Cette Coupe du monde ne figure certainement pas au rayon de ses meilleurs souvenirs.

Nicolas Sarkozy a reçu Thierry Henry en tête-à-tête à l'Elysée

Vrai. Au lendemain de la grève dans le bus, la ministre des Sports, Roselyne Bachelot, est chargée de remettre de l'ordre dans la maison. Elle se rend au camp de base des Bleus et s'entretient avec eux. Face à la presse, elle rapporte les sévères remontrances qu'elle a adressées aux Bleus : "Ce sont nos gosses, nos enfants, pour qui vous ne serez peut-être plus des héros. Ce sont les rêves de vos compagnes, de vos amis, de vos supporters que vous avez peut-être brisés. C'est l'image de la France que vous avez ternie." Elle assure même avoir vu des larmes dans les yeux de certains Bleus. Deux jours plus tard, à l'Assemblée nationale, elle a des mots encore plus durs et lâchera cette phrase passée depuis à la postérité : "Je ne peux que constater (...) le désastre, avec une équipe de France où des caïds immatures commandent à des gamins apeurés".

A leur retour d'Afrique du Sud après l'élimination, les responsables de la débâcle sont attendus de pied ferme. Jusqu'en haut lieu. "L'affaire Knysna" est devenue une affaire d'Etat. Nicolas Sarkozy n'a rien raté de ce qui se jouait sur le continent africain. Grand fan de foot, le président de la République veut avoir le fin mot de cette histoire et convoque l'un des cadres de cette équipe, Thierry Henry, pour une entrevue à l'Elysée. Rien ne filtre de leur discussion. Quelques semaines plus tard, le joueur lâchera simplement, lors d'un entretien avec Michel Denisot sur Canal+, que cela "s'est super bien passé".

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