Football : longtemps critiqué pour son entre-soi, le diplôme d’entraîneur professionnel s’ouvre aux coachs issus du monde amateur
"Quand on vient du milieu amateur, c’est la croix et la bannière pour entrer dans les cycles de formation de la Fédération", regrettait en 2019 Alain Pochat, alors entraîneur de Villefranche-sur-Saône (troisième division). Une petite phrase qui lui a ensuite été reprochée, selon lui, par la Fédération française de football (FFF), mais qui ne l’a pas empêché, un an plus tard, d’intégrer enfin la promotion du Brevet d’entraîneur professionnel de football (BEPF), obligatoire pour entraîner en Ligue 1, Ligue 2, et National. Comme lui, de plus en plus de coachs sans passé de footballeur professionnel accèdent désormais à cette formation. Longtemps accusée de favoriser les anciens footballeurs professionnels dans sa sélection de candidats, la Fédération s’ouvre davantage à différents profils.
La liste des candidats admis à la formation du BEPF a été rendue publique par la FFF, jeudi 6 avril. La promotion 2023-2024 sera ainsi composée de cinq anciens joueurs professionnels à la carrière riche en première ou deuxième division, y compris en D1 féminine, de deux anciens joueurs n’ayant connu le professionnalisme que le temps de quelques matchs, et de trois candidats n’ayant aucune expérience en tant que footballeur professionnel. Tous ont un point commun : ils ont déjà emmagasiné de l’expérience en tant que coach principal ou adjoint, à différents niveaux.
Sur les cinq dernières promotions reçues au BEPF, cette expérience semble être devenue un critère indispensable, puisque tous les candidats admis, même anciens joueurs professionnels, comptent déjà plusieurs saisons sur un banc. Seule exception : Habib Beye, ancien joueur de l'OM, accepté dans la promotion 2021-2022 quelques semaines avant d’être recruté dans le staff du Red Star (National), puis d’en devenir l’entraîneur principal. Mais depuis la création du diplôme en 1991, alors sous le nom de DEPF (Diplôme d’entraîneur professionnel de football), cette exigence d’expérience n’a pas toujours été la norme.
85% d'anciens pros parmi les diplômés entre 2002 et 2014
Dans le journal suisse Le Temps, en 2002, Jean-Marc Furlan décrivait son entrée dans la formation sans y avoir candidaté : "Aimé Jacquet [qui était alors directeur technique national] m’a appelé pour me dire que je venais passer mon diplôme. L’envoi des dossiers était déjà clos, mais il n’a rien voulu savoir, et j’y suis allé". La FFF favorisait-elle alors un entre-soi des anciens footballeurs professionnels ? Selon une étude de Jean Bréhon, Hugo Juskowiak et Loïc Sallé, intitulée "Entraîneur de football professionnel : itinéraire d’un joueur gâté ?", 85% des diplômés entre 2002 et 2014 étaient d’anciens joueurs pros à la carrière relativement longue. "Je peux faire la même lecture de ces chiffres. J’espère qu’il n’y a pas eu de passe-droits, ce serait navrant, mais je ne vais pas commenter quelque chose sur laquelle je n’ai eu aucune influence", répond Hubert Fournier, directeur technique national de la FFF depuis 2017.
Une rapide lecture des critères à remplir pour postuler permet de comprendre ces chiffres : les anciens footballeurs professionnels doivent justifier de 150 matchs en Ligue 1 ou bien de 10 sélections en équipe de France, quand les entraîneurs amateurs doivent avoir officié en tant que coach principal de l’équipe première d’un club non professionnel, opérant au niveau national, durant cinq saisons. Des expériences équivalentes ? "Etre entraineur de N2 pendant cinq ans, ça montre qu’on a assez bossé pour connaitre le métier", juge Alain Pochat. "Mais un entraîneur qui veut devenir pro doit apprendre à gérer la pression, les médias… C’est une approche du métier que l’on ne connaît pas, alors que les anciens footballeurs pro l’ont déjà appréhendée", reconnaît Fabien Pujo, entraîneur du Goal FC, en National 2, dont la candidature au diplôme a échoué pour la quatrième fois.
"On peut aussi penser qu’un ancien joueur a eu la faculté à se nourrir des entraîneurs qu’il a croisés durant son parcours", estime Hubert Fournier, qui a eu vent des critiques entourant les sélections du BEPF mais ne veut pas faire "de chasse aux sorcières avec les anciens joueurs, qui ont aussi le droit de se former".
Comme Will Still, plusieurs exemples de réussite
Presque absents des candidats admis jusqu’en 2014, les entraîneurs issus du monde amateur, sans passé de footballeur professionnel, se font néanmoins plus nombreux ces dernières années. Ils sont entre deux et quatre parmi les dix retenus dans chacune des dernières promotions. Un nouvel élan impulsé notamment par la réforme du statut des entraîneurs de National, la troisième division, qui doivent, depuis 2016, être titulaires du BEPF. S'il a dû attendre plusieurs saisons avant d’être admis, malgré un CV d’entraîneur remarquable chez les amateurs, Alain Pochat note une évolution : "Je me rends compte que, ces trois ou quatre dernières années, on voit plus de coachs de N2 et N3 entrer en formation".
"Il n’y a jamais eu de volonté d’exclure les entraîneurs amateurs, tempère Hubert Fournier. Mais cette réforme a changé des choses, parce qu’un autre public est visé, avec des entraîneurs amateurs qui peuvent viser la montée en National, et qui veulent le diplôme. Donc ça demande une ouverture."
"J'imagine que certains pensaient qu’ils étaient illégitimes à tenter leur chance. Maintenant on a cassé les barrières".
Hubert Fournier, DTN de la FFFà franceinfo: sport
Ces entraîneurs amateurs s’appuient également sur des "ambassadeurs", comme les nomme Fabien Pujo, avec la réussite de Christophe Pélissier, entraîneur d’Auxerre, mais aussi celle de Franck Haise (Lens) ou Régis Le Bris (Lorient), qui ont certes connu une carrière professionnelle de footballeurs, mais qui ont fait toutes leurs gammes d’entraîneur en amateur avant d’arriver en Ligue 1. "Comme Will Still, à Reims, ils sont des exemples de réussite qui nous rendent optimistes, affirme Fabien Pujo. Aujourd’hui, il y a une génération d’entraîneurs qui n’ont pas connu le foot pro, mais qui ont appris beaucoup de choses par leurs recherches. Le jeu des meilleures équipes, tout est décrypté maintenant. Au début de mes formations, il n’y avait pas Internet, il n’y avait pas autant de livres et revues. Mais aujourd’hui, tout est partagé, il y a des livres sur le management, la préparation mentale, physique, le jeu de position, la périodisation tactique… Cela accélère la faculté à être prêt".
Une reconnaissance qui reste indispensable
Les réussites à Reims de Will Still, et de Didier Digard à Nice, remettraient-elles alors en question la nécessité du diplôme pour les entraîneurs ? Leurs clubs doivent actuellement payer 25 000 euros d'amende par match car ils ne sont pas encore diplômés. "Sans cette obligation, je pense que beaucoup de présidents prendraient le survêtement pour se mettre entraîneur. Déjà que le métier a du mal à être reconnu et qu’à chaque match, tout le monde se permet de dire qu’il aurait fallu faire ci ou ça… Le diplôme est vraiment essentiel, d’autant qu’il valide des compétences et que la formation nous fait évoluer", tranche Alain Pochat. Les places restent tout de même chères, avec seulement dix admis par an en France.
D'ailleurs, Didier Digard a obtenu une place dans la prochaine promotion, tandis que Will Still passera son diplôme en Belgique. "On n’est pas là pour faire une usine de chômeurs. Il n’y a pas de places pour tout le monde dans le football professionnel, et avec la refonte des championnats, il y aura même moins de places en Ligue 1 ou en Ligue 2. Il ne serait pas raisonnable d’ouvrir plus le diplôme", justifie Hubert Fournier.
Un dernier effort d’ouverture reste néanmoins possible : celui de la féminisation. En intégrant la prochaine promotion, Sandrine Soubeyrand, joueuse la plus capée de l’histoire de l'équipe de France (198 sélections) et coach du Paris FC en D1 Arkéma, ne deviendra que la quatrième femme à passer le BEPF. "On va progresser. Jusqu’alors, on manquait de candidates, car très peu s’engagent dans ce long parcours. Certaines de nos ex-grandes internationales préfèrent parfois construire leur vie future, leur famille. Mais je suis assez positif sur l’avenir", assure le directeur technique national.
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