Football : entre concurrence et "caviar dans les épinards"... Comment l'Arabie saoudite a bousculé le monopole de l'Europe sur le marché des transferts
La deuxième pierre d'une révolution. Six mois après avoir officialisé la venue du quintuple Ballon d'or Cristiano Ronaldo dans son championnat, l'Arabie saoudite a frappé un grand coup cet été. Alors que sa fenêtre des transferts se referme, mercredi 20 septembre, les premières conclusions d'un mercato payé au prix fort peuvent être tirées.
"C'est la première fois qu'un acteur entre de cette manière-là et aussi rapidement sur le marché, pose Loïc Ravenel, chercheur au Centre international d'études du sport (CIES). L'argent ne devrait pas s'arrêter de couler du côté saoudien, cela semble donc parti pour durer". Avec pas moins de 956 millions d'euros dépensés sur la dernière période selon le site spécialisé Transfermarkt, la Saudi Pro League se classe deuxième en termes d'investissements estivaux, derrière les 2,8 milliards de la Premier League anglaise.
L'Europe concurrencée
A son tableau de chasse, de grands noms comme Karim Benzema, N'Golo Kanté (Al-Ittihad) ou Neymar (Al-Hilal), mais pas que. "Le profil des joueurs attirés est plus diversifié que ce qu’a notamment pu faire la Chine au début des années 2010 avec des achats massifs et irraisonnés, avant un repli tout aussi rapide. Ce ne sont pas uniquement des stars sur leur fin de carrière, il y aussi des joueurs majeurs comme l'ancien Lensois Seko Fofana", note Christophe Lepetit, économiste du sport au Centre de droit et d'économie du sport de Limoges (CDES).
Fin août, la signature à Al-Ahli de la pépite espagnole Gabri Veiga (21 ans), recrutée en provenance du Celta Vigo, a suscité beaucoup d'émoi. Son nom était associé à de nombreux grands clubs européens. De quoi faire frémir ces écuries du Vieux Continent sur leur capacité d'attraction à long terme ?
"On a un phénomène de concurrence avec une nouvelle entité qui, du fait de ses moyens sans commune mesure, devient un danger sur le marché des transferts pour les clubs européens. Aujourd’hui, il est plus facile pour un club saoudien de mettre 250 millions sur la table que pour la plupart des Européens."
Christophe Lepetit, économiste du CDESà franceinfo: sport
En Arabie saoudite, quatre clubs - Al-Ittihad, Al-Ahli, Al-Nassr et Al-Hilal - sont en effet directement soutenus financièrement par le fonds souverain saoudien (Public Investment Fund ou PIF), qui détient la majorité de leur capital. Une stratégie de l'Etat qui s’inscrit dans le plan Vision 2030 visant à transformer l’économie saoudienne et à utiliser le sport pour améliorer son image de marque.
"Remettre de l'argent dans la machine"
Face aux critiques de bon nombre d'observateurs, Pep Guardiola a toutefois souligné la posture hypocrite de certains clubs devant l'émergence de ce championnat. "Tout le monde se plaint de l’Arabie saoudite, mais quand les clubs saoudiens frappent à la porte, tout le monde ouvre la porte et déroule le tapis rouge : 'Qu’est-ce que tu veux mon ami ? Je vends tout !' On peut se plaindre de tout, mais tout le monde ouvre la porte. Dans la ligue anglaise comme dans les autres", a rappelé en conférence de presse l'entraîneur de Manchester City mi-août, juste après la signature de son ailier algérien Riyad Mahrez à Al-Ahli.
"Le système européen y a également trouvé son intérêt. Faire entrer un acteur qui devient le deuxième plus gros dépensier, c'est remettre de l'argent dans la machine", juge Loïc Ravenel, soulignant un aspect "positif" pour les clubs européens, qui voient gonfler la valeur de leurs joueurs.
"L'Arabie saoudite, ce n'est pas du beurre dans les épinards, c'est du caviar dans les épinards. Certains clubs s'en sont frottés les mains pour leurs finances."
Loïc Ravenel, chercheur au CIESà franceinfo: sport
"En France, on est des exportateurs de talents sportifs, peu importe la destination du joueur. S’il va en Angleterre pour 20 millions d'euros c’est bien, s’il va en Saudi Pro League pour dix de plus, c’est encore mieux", renchérit Christophe Lepetit, évoquant une "sur-prime" des clubs saoudiens pour attirer des éléments.
Pas de Ligue des champions, un frein au développement
Contrairement à leurs homologues européens, les équipes du Royaume ne sont pas contraintes par un quelconque fair-play financier comme le déplorait notamment le coach de Liverpool, Jürgen Klopp, durant l'été, appelant à la mise en place d'"une réglementation". Si la Fifa venait à plancher dessus, le championnat saoudien se verrait ainsi privé de son principal atout.
En attendant, tout l'enjeu pour lui est de parvenir à se développer pour que le niveau progresse suffisamment et qu'il conserve son pouvoir d'attraction. "Pour l'heure, l’objectif affiché par la ligue, c’est de rejoindre le top 10 mondial, rappelle Christophe Lepetit. Même si les joueurs sont capables de faire des choix rationnels basés sur leurs finances, ils vous parlent de la Ligue des champions avec des étoiles dans les yeux".
"C'est le gros souci qui va se poser pour l'intégration à long terme de l'Arabie saoudite parmi les top ligues, abonde également le chercheur Loïc Ravenel. Il y a eu des rumeurs qui faisaient état de leur volonté d'intégrer la C1, mais l'UEFA semble contre". Sans une compétition internationale de clubs digne de ce nom, l'Arabie saoudite sait que ses représentants pâtiront encore un moment du manque d'exposition offert aux joueurs. Ce qui ne devrait pour autant pas les empêcher de continuer à investir des sommes aussi élevées sur les prochaines fenêtres de mercato.
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