Football : "200 euros qui s'envolent sans être remboursés"... Pour les supporters, les interdictions de déplacement tardives ont un coût

Article rédigé par Hortense Leblanc, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Les supporters de l'Olympique de Marseille ont déployé une banderole pour protester contre les interdictions de déplacement, lors de la réception de Lyon, le 6 décembre 2023. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)
Depuis le caillassage du bus lyonnais à Marseille et la mort d'un supporter nantais en marge de Nantes-Nice, le ministère de l'Intérieur prononce de plus en plus d'interdictions de déplacement pour les supporters, mais les annonce tardivement.

Cinq nouveaux matchs de Ligue 1 visés par des interdictions de déplacement samedi 16 et dimanche 17 décembre. Les supporters de Nice (au Havre), de Reims (à Lens), de Brest (à Nantes), de Rennes (à Toulouse) et du PSG (à Lille), ne pourront pas aller encourager leur équipe ce week-end, en raison d’un arrêté ministériel publié au Journal Officiel le 13 décembre. Après le décès d’un supporter nantais en marge de la rencontre entre le FC Nantes et Nice le 2 décembre, le ministère de l’Intérieur durcit le ton, aux dépens des supporters qui avaient déjà réservé leurs transports et leurs hébergements et qui ne peuvent pas être remboursés.

Les valises étaient faites, les cartes d’embarquement préparées avant de se rendre à l’aéroport. Pour Vanessa, supportrice du Séville FC, qui devait se rendre à Lens mardi pour la dernière journée de la phase de groupes de la Ligue des champions, l’annonce de l’interdiction de déplacement des fans sévillans par Gérald Darmanin a été une douche froide. "Nous avons vu le dimanche soir son interview sur Twitter, dans laquelle il dit qu’on ne pourra pas venir à Lens. En sachant que nous avions jusqu’au lundi pour obtenir en partie le remboursement de l’hébergement, nous avons préféré annuler notre voyage. Nous nous sentions un peu en danger, avec la peur de se faire arrêter sur place", raconte la Sévillane, qui est habituée aux déplacements européens avec son club, septuple vainqueur de la Ligue Europa depuis 2006.

La banderole des supporters de Lens lors de la réception de Séville en Ligue des champions, le 12 décembre 2023. (FRANCOIS LO PRESTI / AFP)

La supportrice andalouse a dû faire une croix sur près de 200 euros investis pour suivre son équipe dans le Pas-de-Calais."28 euros pour le vol aller jusqu’à Paris puis 28 euros de train, 70 euros de vol retour depuis Bruxelles, 30 euros pour le billet de match et 67 euros pour l’hébergement, détaille Vanessa. Je n’ai pu obtenir que 43 euros de remboursement pour l’hôtel". L’interdiction de déplacement, elle ne l’avait pas du tout imaginée, et n’avait pas pris d’assurance annulation. "De toute évidence il y a de la violence dans le football, et nous voulons tous l’éradiquer, mais les fans de Séville voyagent à travers l’Europe chaque année. Début novembre nous étions à Londres, nous nous sommes promenés, nous avons pris le métro avec des supporters d’Arsenal, et il ne s’est rien passé, raconte-t-elle. Je ne viendrai plus voir un match de foot en France. La France a généré un sentiment d’insécurité et d’un pays incapable de gérer 300 fans de Séville".

De l'incertitude et des congés perdus

Comme les supporters de Séville, finalement autorisés à assister à la rencontre après l’annulation par le Conseil d’Etat de l’arrêté ministériel, les fans de Lens ont connu une mésaventure similaire à Montpellier lors de la 15e journée de Ligue 1. Leur déplacement a finalement été autorisé 1h30 avant le coup d’envoi du match, mais le mal était fait pour Max, supporter Sang et Or resté dans le Pas-de-Calais. "J’avais prévu de me rendre au match depuis trois semaines. Et puis on avait de la chance que Montpellier soit desservi par les trains Ouigo, donc le trajet est moins cher, mais pas annulable. Mais on était assez sereins puisqu’il n’y a jamais eu d’incident particulier avec les Montpelliérains, donc on n’a pas pris d’assurance supplémentaire", explique-t-il. Le supporter lensois, qui devait être hébergé chez des proches, a tout de même perdu 80 euros pour ses trains, 25 euros pour une voiture de location, et un jour de congé posé.

"En plus du coût financier, avec 200 euros qui s'envolent, sans être remboursés, il y a aussi du stress et de l’incertitude sur le déplacement à venir, et potentiellement des congés perdus", ajoute Ahmed, supporter rennais, qui est privé du déplacement à Toulouse, et qui se demande s’il pourra se rendre à Clermont mercredi. "J’ai réservé mon train, une nuit là-bas, et j’ai posé le mardi après-midi ainsi que le mercredi matin. Et quelques jours avant, on ne sait toujours pas si on pourra y aller. Forcément à l’avenir, ça peut me pousser à renoncer à des déplacements", assure-t-il.

Une tombola pour sauver une section de supporters lillois

Renoncer à un déplacement, c’est ce à quoi les Dogues Pompons, section de supporters lillois, ont été contraints lors de la rencontre du Losc à Ljubljana (Slovénie) en Ligue Europa conférence. Ils n’étaient pas interdits de déplacement, mais n’ont financièrement pas pu organiser le voyage, après avoir perdu 6000 euros en raison de l’interdiction de déplacement des Lillois à Marseille le 4 novembre, une semaine après le caillassage du bus lyonnais dans la cité phocéenne. La petite section de 75 adhérents avait prévu de supporter son équipe face à l’OM depuis de longues semaines. "On a perdu 5000 euros pour le bus, et puis quand on fait des déplacements, on prévoit aussi une petite buvette, des viennoiseries et des paniers repas pour les participants. Donc les produits frais qu’on avait achetés, on les a donnés à des associations, mais financièrement c’est de la perte sèche", explique Damien Février, le président de la section, qui a remboursé les 140 euros déboursés par chacun des 46 participants.

Je ne sais pas si ça va nous rendre plus frileux pour se déplacer, mais plus prévoyant oui. On va réfléchir à deux fois et sans doute payer un peu plus cher pour intégrer une assurance annulation.

Damien Février

à franceinfo:sport

Après être passée "à deux doigts de mettre la clé sous la porte" selon son président, la section lilloise a été sauvée par un élan de générosité lors de la tombola qu’elle a organisée. "Le Losc nous a mis à disposition cinq maillots portés par les joueurs comme lots, et finalement nous avons récolté 3700 euros, qui nous permettent de sortir la tête de l’eau et de voir l’avenir plus sereinement", assure Damien Février. Le président de la section aimerait que les préfectures ou le ministère mettent en place un fonds d’indemnisation pour les supporters à qui ils interdisent le déplacement. "On réfléchit aussi aux suites à donner et on n’exclut pas de réfléchir à d’éventuelles poursuites", ajoute-t-il. Du côté de l’Association nationale des supporters, qui défend les droits des fans de football, "aucun recours à vocation indemnitaire n’a été mené, mais on ne peut exclure que des supporters le décident individuellement", assure son avocat, Maître Pierre Barthélémy.

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