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Foot : Gérard Bourgoin, de "roi du poulet" à "roi maudit"

Le président d'Auxerre, qui a connu les grandes heures du club, est devenu l'ennemi public n°1 des supporters, qui veulent sa tête. Un destin à la Louis XVI dont l'homme d'affaires se serait bien passé.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Gérard Bourgoin, président de l'AJ Auxerre, en octobre 2003. (JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP)

Une page de l'histoire du football français se tourne. L'AJ Auxerre a été reléguée en Ligue 2 après sa défaite à Marseille, dimanche 13 mai. Un évènement dans le paysage footballistique français : l'AJA était présente dans l'élite depuis trente-deux ans. Auxerre, c'était le côté Astérix du foot français, la petite ville qui défie les métropoles, la personnalité de l'entraîneur historique Guy Roux, bonnet vissé sur la tête, sa marionnette aux Guignols, son "faut pas gâcher". Auxerre, ce sont aussi des supporters qui crient leur rage envers celui qu'ils considèrent comme le principal responsable de cette débâcle : le président du club, Gérard Bourgoin.

L'homme qui voulait être roi

Celui qu'on surnomme toujours "le roi du poulet" près de dix ans après la faillite de son entreprise, Duc, réussit le tour de force d'être à la fois copain avec Fidel Castro et proche de la droite. A moitié dans les affaires, à moitié dans le poulet, à moitié en politique, à moitié dans le foot, Gérard Bourgoin cultive une image d'homme pressé qui ne mène pas toujours ses entreprises à terme. 

Gérard Bourgoin dans une usine Duc, en 1999. (SUREAU/TF1/SIPA)

"Gérard Bourgoin, c'est un beau parleur, qui bénéficie d'un crédit illimité à Auxerre", commente Johann Crochet, journaliste spécialiste de l'AJ Auxerre, qui a écrit un billet déchirant sur la chute de son club de cœur. Il n'a pas été vice-président et principal sponsor de l'AJA pendant trente ans pour rien. Le putsch à l'été 2011 contre l'ancien président, Alain Dujon, c'est "quelque chose qui ne se fait pas à Auxerre". Au cours d'une assemblée générale, les glorieux anciens (Gérard Bourgoin, Guy Roux et Jean-Claude Hamel, l'ancien président) mettent en minorité le président sortant et lui ravissent le pouvoir.

"Bourgoin a beaucoup critiqué son prédécesseur, qui avait pourtant qualifié l'AJA en Ligue des champions et redressé les comptes", poursuit Johann Crochet. Son statut de grand argentier du club, qui a mobilisé son réseau, son carnet de chèques et son jet privé pour le club, fait pourtant que "tout le monde est prêt à lui donner un chèque en blanc".

Un retour raté

Lors de son retour aux affaires, Gérard Bourgoin n'hésite pas à afficher ses ambitions. Dans L'Yonne républicaine, il affirme en début de saison que l'objectif du club est d'accrocher la troisième place. Rapidement, les résultats ne suivent pas, et la colère des supporters se cristallise non pas autour de l'entraîneur, mais du président. Lors d'une défaite contre Nancy, le 29 janvier dernier, ce sont les CRS qui escortent Gérard Bourgoin jusqu'au vestiaire, des supporters ayant envahi le terrain pour en découdre avec lui. Le club est alors dernier de L1, deux ans après avoir disputé la Ligue des champions.

Gérard Bourgoin et Guy Roux, avant un match de championnat en 2004. (JEAN-MARC LOOS / MAXPPP TEAMSHOOT)

"Il y a eu une lente régression" et des "erreurs de gestion", analyse Guy Roux sur Canal+. Allié de Bourgoin lors du putsch, il affirme ne plus avoir de pouvoir au club. Pourtant, il figure en bonne place dans l'organigramme. Le clan autour de Bourgoin se délite, explique Jonathan Ernie, président des Ultras Auxerre : "Dès janvier, Bourgoin était très seul. Les gens qui l'ont amené au pouvoir ne l'aident pas. Jean-Claude Hamel [l'ancien président du club], Guy Roux, le président de l'association, tout le monde se tire dans les pattes."

Chaque dirigeant historique y va de son prétexte pour justifier le fiasco actuel : c'est la faute à l'équipe précédente, à la baisse du niveau de la formation, au recrutement, qui n'a franchement pas été une réussite, tant sur le terrain qu'en dehors. Ainsi, au lendemain de sa signature, l'attaquant Omar Kossoko, venu d'Amiens, qualifiait sur sa page Facebook ses futurs coéquipiers de "nains" et de "bâtards" (capture d'écran à voir sur coupfranc.fr).

Seuls quelques joueurs présentent une vraie valeur marchande : le défenseur Willy Boly, le milieu Delvin Ndinga et l'attaquant Alain Traoré, que lorgnent déjà des clubs de l'élite. 

"Ma responsabilité est totale"

La descente en L2 entraîne une perte sèche de 18 millions d'euros. Bourgoin, qui avait budgété de façon très optimiste une sixième place, a annoncé qu'il allait dégraisser à tous les étages : la mise au vert de l'équipe à l'intersaison prochaine aura lieu dans un centre aéré propriété de l'AJA au lieu du stage à l'étranger habituel. Les autres pistes d'économie proposées par Bourgoin sont plus classiques : écrémage de l'effectif et déplacements en bus plutôt qu'en avion, car c'est moins cher. Un plan de rigueur qu'ont déjà appliqué d'autres grands noms déchus, comme Lens ou Nantes.

Gérard Bourgoin, actuel président de l'AJ Auxerre, du temps où il était candidat aux législatives, à Sens (Yonne), en 1997. (SAMIRA BOUHIN / AFP)

Bourgoin ne se cherche pas d'excuses : "Ma responsabilité est totale", déclare-t-il sur France 3 Bourgogne, avant de nuancer : "On ne va pas laisser tomber un bateau qui a touché un rocher énorme. Ce serait une totale inconvenance."  L'ancien président Alain Dujon, éjecté par le putsch l'été dernier, a envoyé un SMS narquois à son successeur, rapporte L'Yonne républicaine : "Bravo pour le projet AJA 2015". Reste à savoir si l'association qui gère l'AJA, essentiellement des anciens joueurs, qui organisera prochainement une assemblée générale, lui conservera sa confiance. Et si la Direction nationale de contrôle de gestion, le gendarme financier du foot français, validera des comptes beaucoup plus dans le rouge que prévu.

L'enfer de la Ligue 2

Cette phrase de Gérard Bourgoin dans France Soir la semaine passée n'augure rien de bon pour l'AJA : "Quand une équipe coule, il est très rare qu'elle s'en remette." Une impression que partagent les supporters, comme Jonathan Ernie : "Cette équipe-là en Ligue 2 ne marcherait pas non plus."

Les supporters demandent le départ de Bourgoin, et plus généralement de toute la vieille garde qui dirige encore le club. Les premiers montages photo vengeurs fleurissent sur le web. Pour Mathieu, un ultra, "à un moment donné, il faut savoir passer la main sous peine d'avoir un club sclérosé comme à Metz. La maison de retraite, on en a ras-le-bol. Le prochain déplacement qu'on organisera, c'est un pélerinage à Lourdes."

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