La première période n'a rien d'emballante. Même Michel Platini n'y est pas. Le capitaine français est pourtant au sommet de son art, lui qui a déjà inscrit 8 buts en 4 matchs depuis le début de l'Euro. Mais cette fois, rien ne fonctionne et ce sont même les Espagnols qui se montrent les plus dangereux en contre, Patrick Battiston sauvant sur sa ligne une tête de Santillana. La "Roja" hache le jeu en multipliant les fautes. Depuis le début de l'Euro, cette stratégie lui sourit puisqu'elle est parvenue en finale en ne marquant qu'un but à chacun de ses matchs, et en s'appuyant sur une défense de fer. Elle peut surtout compter sur son gardien et capitaine, le célèbre Luis Arconada, qui a écœuré les Allemands en phase de poules et les Danois en demi-finale.
La seconde période part sur les mêmes bases quand survient la 57e minute. Bernard Lacombe, l'avant-centre français, marqué par le rugueux Salva, s'écroule à 18 m du but espagnol. La faute semble très légère, mais l'arbitre se laisse abuser. "Je ne l'ai jamais touché", assure le défenseur espagnol fautif, qui enrage d'offrir un coup-franc imaginaire, et idéalement placé, à Michel Platini.
L'artificier français place le ballon, sûr de lui. Il faut dire que c'est sa spécialité et, surtout, qu'il est né sous une bonne étoile. Joël Bats rappelle que lors de la préparation de l'Euro dans les Pyrénées, il avait déjà eu la main heureuse : "On va au casino de Font-Romeu, il met une pièce dans la machine à sous et ça s’est mis à tomber dans tous les sens !"
Le meneur de jeu s'élance et envoie une frappe molle et courbée à mi-hauteur. "C'est raté, se dit au départ Michel Platini, comme il le confie dans un album Panini de l'Euro 1984. Arconada se couche dessus. Il faudra remettre ça une autre fois." Mais l'impensable se produit. L'infranchissable portier espagnol laisse échapper la balle, qui lui roule sous le ventre, et franchit lentement la ligne. Les Français sautent de joie, Michel Platini tombe à genoux, bientôt recouvert par ses coéquipiers hilares.
Sur le moment, Luis Arconada est dévasté, mais il ne réalise pas vraiment que sa boulette a non seulement fait basculer le match, mais aussi sa carrière. "Faire une Arconada" deviendra bientôt une expression footballistique synonyme de raté ridicule, balayant l'immense carrière du gardien de la Real Sociedad. "J'aurais préféré marquer un autre but, parce qu'Arconada était un grand gardien, regrette Michel Platini. C'est dommage pour lui, j'aurais voulu marquer un but où il ne pouvait rien faire."