Première Ligue : une professionnalisation de façade du foot féminin, bien loin de son objectif d’être "la meilleure ligue du monde"

Officiellement lancée le 1er juillet, la toute nouvelle Ligue féminine de football professionnel (LFFP) est loin de satisfaire toutes les ambitions de professionnalisation de la discipline en France, pourtant très attendue par les joueuses.
Article rédigé par Anna Carreau
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8 min
Sakina Karchaoui au duel avec Daphnée Corboz et Théa Greboval lors de la demi-finale de D1 Arkema entre le Paris Saint-Germain et le Paris FC, le 11 mai 2024 au Parc des Princes. (MELANIE LAURENT / AFP)

Au coup d'envoi du match entre Fleury et Lyon, vendredi 20 septembre, au stade Robert-Bobin de Bondoufle (Essone), le championnat féminin français fera officiellement son entrée dans le monde professionnel, après des années d'attente pour voir l'ancienne D1 Arkema passer ce cap. Ce changement d'identité sera bien visible de tous : la bannière déployée à l'entrée des actrices sur la pelouse portera le logo de la nouvelle Ligue féminine de football professionnel (LFFP), les joueuses poseront ensuite devant un panneau Arkema Première Ligue, le nouveau nom du championnat… En apparence, un certain nombre de nouveautés, dont certaines ont déjà été mises en place au cours de la saison écoulée pour préparer ce grand saut. 

"Notre but est d'avoir un championnat qui sera parmi les meilleurs d'Europe, peut-être même du monde", fanfaronnait Jean-Michel Aulas à la soirée de lancement de cette nouvelle ligue, le 29 avril. Nommé président de cette nouvelle LFFP, l'ancien dirigeant lyonnais assure que la Fédération française de football (FFF) investira elle-même entre 50 et 70 millions d'euros au cours des cinq prochaines années pour lancer cette ligue, qui couvre la D1 et la D2, et commencera pour cette saison par un investissement estimé à 10 millions d'euros. De quoi amener les clubs féminins à se structurer, après des années avec peu d'encadrement sur les infrastructures ou la composition des staffs.

Peu d'évolutions concrètes

Au cœur de ces changements, la mise en place d'une licence club donnant accès à plusieurs échelons de subventions fédérales, d'un minimum de 350 000 euros. "Les équipes évoluant dans le championnat de Première Ligue Arkema doivent justifier d'une organisation salariée permettant d'assurer le développement de l'équipe féminine et de répondre aux évolutions et la professionnalisation de la pratique", écrit la LFFP dans son cahier des charges. Certaines compétences peuvent être "transversales à l'ensemble du club", c'est-à-dire qu'il n'est pas exigé de recruter pour ces postes et que ceux déjà existant pour l'équipe masculine peuvent être mutualisés.

Parmi ces profils essentiels, la ligue liste ceux de responsable administratif, team manager, référent communication, référent stade et référent médias. Un même référent pouvant occuper plusieurs postes, dans la limite de deux maximum. Des pré-requis aussi demandés au niveau du staff, avec une présence médicale hebdomadaire de minimum dix heures et d'un kiné pour un mi-temps. Pas de quoi élargir outre-mesure les staffs, qui restent pour beaucoup formés de seulement cinq personnes : l'entraîneur et son adjoint à temps plein, un préparateur physique, un entraîneur des gardiennes et un analyste vidéo à mi-temps. Aucune exigence non plus en matière de budget investi par les clubs chaque saison dans leur section féminine, alors que certains dirigeants, comme à Montpellier, ont déjà annoncé une baisse des montants alloués. 

La convention collective se fait attendre

"Après plus de cinq ans passés en D1, j'ai vu très peu d'évolution hormis sur les infrastructures, où on a moins de synthétiques, plus de terrains en herbe, liste une joueuse expérimentée du championnat de France. Le passage à la ligue professionnelle ne nous a amené aucun changement." Ce que réfute Marie-Hélène Patry, déléguée générale de Foot unis, le syndicat des employeurs du football professionnel : "Si on veut avoir la licence club, il faut mettre en place un certain nombre d'éléments qui représentent des coûts. C'est de nature à faire plutôt augmenter les budgets des sections féminines que les baisser. Et c'est l'objectif, parce que derrière un budget, il y a aussi, en principe, une capacité à avoir plus de performances sur le terrain, peut-être potentiellement plus de partenaires. C'est un cercle vertueux." 

D'autres joueuses constatent qu'elles jouent plus souvent dans le "grand stade des garçons" qu'auparavant, mais en aucun cas grâce au changement de statut, puisque le nombre de ces matchs reste fixé à trois par saison. "Pour l'instant, il y a juste le nom [du championnat] qui a changé, mais je pense que pour nous en tant que joueuses, tant que la convention collective n'est pas signée, il n'y aura pas de réel changement", résume Laëtitia Philippe, gardienne du Havre et joueuse de D1 féminine depuis 2007.

Car si, officiellement, le championnat est devenu professionnel le 1er juillet, il démarre sans convention collective, faute d'avoir trouvé un accord entre toutes les parties et alors qu'elle devait être initialement annoncée le 1er mars. "On n'est toujours pas engagés sur la signature d'un accord collectif qui remplirait un minima, une base solide pour que le statut social des joueuses soit considéré comme professionnel", constate Fabien Safanjon, vice-président de l'Union nationale des footballeurs professionnels et membre de la commission de haut niveau du football féminin. Il pointe du doigt certains clubs qui "ne sont pas encore ouverts ou enclins à vouloir donner aux filles les mêmes choses qu'aux garçons".

 

Une ligue professionnelle mais des joueuses à mi-temps

Pour l'illustrer, il prend l'exemple du contrat à temps partiel prévu dans le statut fédéral, basé sur 21 heures par semaine chez les garçons, contre seulement 17,5 heures chez les filles. "Aujourd'hui les clubs ne veulent pas entendre ça pour les filles, ils veulent rester aux 17,5 heures. Mais quand on sait que la plupart des filles sur des contrats à temps partiel sont payées sur la base du smic, la différence entre un contrat à 21 [comme les hommes] ou 17,5 heures représente un effort de 100 ou 150 euros par mois pour une joueuse qui va gagner 600 ou 700 euros. Donc on n'est pas en train de casser l'équilibre économique des clubs", assure-t-il, se lamentant que, dans une ligue censée être professionnelle, "certaines joueuses se lèvent le matin en se demandant si elles vont pouvoir manger à leur faim". Derrière cette étiquette de championnat professionnel, il existe en effet des joueuses obligées de composer avec des mi-temps en tant que surveillante dans des collèges ou agent d'entretien.

Au total, seules 11 joueuses par équipe devront être sous contrat professionnel à plein temps, comme la saison passée, au sein d'un effectif souvent composé d'une vingtaine d'éléments. Faute de convention collective, le salaire minimum est fixé à 21 840 euros brut par an, comme prévu dans un accord de branche lié au sport professionnel, soit un tout petit peu au dessus du smic (21 203 euros brut par an). A des années-lumière de ce qui se fait à Lyon et au Paris Saint-Germain, où les meilleures joueuses empilent les salaires à plusieurs zéros : Marie-Antoinette Katoto (696 000 euros), Kadidiatou Diani (600 000 euros), Wendie Renard et Ada Hegerberg (540 000 euros). Une disparité qui faisait dire à Sonia Bompastor, entraîneure de l'OL féminin la saison passée, qu'elle voulait "la fin d'une D1 à deux vitesses, afin d'avoir une homogénéité pour développer le football féminin". 

"Entre nous, on pense que le niveau va baisser, parce que beaucoup de joueuses sont parties, très peu de gros noms sont arrivés, même le PSG et l’OL n’en ont pas recruté. Il y a un nivellement par le bas."

Une joueuse expérimentée de D1 féminine, sous couvert d'anonymat

à franceinfo: sport

En coulisses, les joueuses indiqueraient même "ne pas avoir peur de faire grève"."Elles n'ont pas envie d'y aller, comme nous. Mais elles l'ont en tête, elles savent que ça fait partie des outils pour se faire entendre, malheureusement", complète le représentant du syndicat. Sans convention collective, c'est autant d'incertitudes pour les joueuses qui se blesseront, tomberont enceinte ou auront des différents administratifs. Et si les parties parviennent à se mettre d'accord en cours de saison, la mise en place de la future convention collective devrait de toute façon être repoussée à la saison prochaine, pour des questions administratives.

Menace de grève et sentiment de déjà vu

Parmi les points bloquants, les questions du pécule de fin de carrière ou du droit à l'image. "Leur salaire correspond à leur travail, mais si elles ont l'occasion de pouvoir mettre un petit peu de beurre dans les épinards en exploitant leur image, ça sera du plus", déroule Fabien Safanjon. Tant de points de discorde qui mènent à une sorte de ras-le-bol dans les clubs hors du top 3. 

"Avec les années que j'ai pu passer en D1, je pensais que la professionnalisation allait arriver beaucoup plus tôt que ça. Chaque année depuis dix ans, on en parlait, et au final, on voit que ce n’est toujours pas signé."

Laëtitia Philippe, gardienne du Havre

à franceinfo: sport

"J'ai l'impression que c'est un peu du vent, comme très souvent en France avec le foot féminin", constate tristement une joueuse évoluant en D1 depuis cinq ans, calée dans le milieu de tableau. Pour elle, comme pour d'autres, la grève est loin d'être un tabou, mais elle s'interroge : "On n'en a pas parlé entre nous mais j'ai vu ça sur les réseaux… Je ne sais pas réellement ce qui pourrait fonctionner hormis ça, qu'on ne participe pas à cette première journée, mais je ne sais pas non plus s'il y a suffisamment de joueuses qui sont prêtes à le faire. J'ai l'impression que là, tout le monde est reparti pour revivre une saison comme ça et qu'au final, on fera sans la convention pour l'instant."

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