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Coupe du monde 2018 : on vous explique pourquoi Paul Pogba est toujours critiqué (et c’est un peu de sa faute)

A quelques jours du début du Mondial en Russie, le milieu de Manchester United a été pris pour cible par une partie du public lors du match amical contre l'Italie, et sa place dans le 11 titulaire est menacée.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le milieu de l'équipe de France Paul Pogba dans son maillot d'échauffement, avant un match amical contre l'Italie, à Nice (Alpes-Maritimes), le 1er juin 2018. (FRANCK FIFE / AFP)

Qu'est-ce qui cloche avec la "Pioche" ? Alors que les Bleus affrontent les Etats-Unis, samedi 9 juin, et attaquent la Coupe du monde dans une semaine, l'un des joueurs stars des Bleus se trouve dans une position délicate : Paul Pogba. Le 1er juin, lors du précédent match de préparation contre l'Italie, à Nice, des sifflets sont descendus des tribunes pour sanctionner une frappe manquée, puis le remplacement du milieu de terrain.

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Des voix de plus en plus nombreuses, dans les médias comme chez les supporters, estiment que sa place est sur le banc, derrière Corentin Tolisso et Blaise Matuidi. Et fustigent l'attitude d'un joueur qui ne se prive pas d'afficher sa confiance en lui. Pourquoi un tel désamour ? Franceinfo explore plusieurs hypothèses.

Ses performances ne sont pas à la hauteur des espoirs

Du match de Paul Pogba face à l'Italie, vendredi 1er juin, ses détracteurs ont surtout retenu une frappe lointaine qui s'est envolée vers les tribunes, conclue par des sifflets appuyés. A sa sortie, le joueur est hué à nouveau. Le lendemain, il hérite de la pire note des Bleus – un 4/10 – dans L'Equipe, qui juge qu'il en a fait "trop peu dans l'impact, l'influence et l'envie". Des critiques au goût de déjà-vu : au Mondial 2014 comme à l'Euro 2016, ses prestations lui avaient valu de passer le deuxième match de poules sur le banc avant de regagner sa place parmi les titulaires. Dans les chiffres, le constat est aussi cruel pour le milieu de terrain. Il est de moins en moins impliqué dans les buts des Bleus : il a marqué neuf fois en 53 sélections, mais une seule fois depuis un an et demi. "Si on regarde sa forme récente, il est un ton en dessous de Corentin Tolisso" – le milieu du Bayern qui pourrait lui prendre sa place –, concède Julien Momont, journaliste pour la chaîne SFR Sport.

Ceux qui doutent de Paul Pogba avancent un autre argument : son niveau avec Manchester United. Le Français a passé une partie de la saison sur le banc. A sa place, son entraîneur José Mourinho titularise Scott McTominay, un Ecossais de 21 ans jusque-là inconnu. "Vous pensez que je me base sur leur prix, leur salaire ou leur joli visage ? La seule chose qui compte, c'est la performance", fulminait le manager en avril, en référence aux 110 millions d'euros déboursés par Manchester pour acheter Pogba à la Juve. "C'est arrivé à un moment où il était un peu en difficulté, observe Julien Momont, spécialiste de la Premier League, le championnat anglais. Il avait plus de déchets dans son jeu et son agressivité défensive n'était pas toujours à la hauteur".

Paul Pogba, remplaçant, attend d'entrer en jeu derrière son entraîneur José Mourinho lors d'un match de Manchester United contre Watford, à Manchester (Royaume-Uni), le 13 mai 2018. (JASON CAIRNDUFF / REUTERS)

Mais sa mauvaise saison reste à nuancer. Pas aidé par un coach qui aime mettre les stars en difficulté, il termine avec 6 buts et 10 passes décisives en 27 apparitions en championnat, un ratio supérieur à ses meilleures saisons à la Juventus de Turin.

En équipe de France, il lui manque un peu LE match, celui où il aurait marché sur ses adversaires.

Julien Momont, spécialiste du football anglais pour SFR Sport

à franceinfo

Mais ses performances ne sont pas non plus indigentes. Contre l'Italie, deux de ses passes ont amené de grosses occasions et il a fait admirer la qualité de son jeu long, malgré la forte pression mise sur lui par les Italiens. "Il y a plusieurs actions où il est vite bloqué vers l'adversaire, mais il renverse bien le jeu" par ses transversales, se souvient le journaliste. "Il s'est mis au service du collectif", un rôle plus ingrat que celui de buteur providentiel.

Personne ne sait vraiment à quel poste il doit jouer

Et si les critiques contre Paul Pogba naissaient d'un malentendu ? Le joueur lui-même le suggère dans une interview, publiée mardi 5 juin par France Football. "J'ai mis neuf buts la saison passée et là, six. (...) On va toujours dire que ce n'est pas assez. Mais à la base, ce n'est pas mon rôle de marquer", pointe-t-il. "On ne me juge pas comme un milieu de terrain. Je suis un 8", un terme qui désigne en général des milieux partagés entre l'attaque et la défense, censés monter et participer au jeu collectif davantage que marquer. "N'Golo Kanté, on le juge sur ses buts, sur ses passes décisives ? Non. Parce qu'il fait son boulot et qu'il est le meilleur au monde dans son rôle."

Mais quel est le vrai rôle de Paul Pogba ? A Turin, entre 2012 et 2016, il explose comme milieu relayeur, où il est libre de se projeter offensivement. Mais à Manchester et en équipe de France, il est souvent utilisé plus en retrait, dans un rôle plus défensif. Ce qui est loin d'être sa première qualité : "Sans le ballon, il a parfois tendance à se déconnecter de l'action, analyse le journaliste de SFR Sport. Il ne va pas se replacer de manière aussi intense et il ne verra pas toujours les espaces à combler dans son dos".

Paul Pogba à la fin d'une séance d'entraînement à Clairefontaine (Yvelines), le 30 mai 2018, à deux semaines de la Coupe du monde. (FRANCK FIFE / AFP)

Journaliste et auteur de Football à la française (2016, éd. Solar), Thibaud Leplat constate que Paul Pogba est un joueur "pas facile à comprendre", qui ne trouve pas sa place dans l'équipe "statique et mécanique" de Didier Deschamps. "Pogba, c'est Miles Davis qu'on voudrait mettre dans une fanfare." Lui rêve qu'on lui invente "un poste à part" : "Je pense que Paul Pogba est fait pour être défenseur central à la Franz Beckenbauer. Il a besoin d'être libre, d'avoir le jeu devant lui. Il est très précis dans ses passes longues et extraordinaire dans la conservation du ballon." De milieu à défenseur : c'est le destin qu'a connu Laurent Blanc avant lui. Une théorie osée, mais qui illustre à quel point Paul Pogba est inclassable.

Il ne sait pas faire profil bas

En mars, après une défaite des Bleus en amical contre la Colombie (2-3), l'ancien international Christophe Dugarry enrage sur RMC : "Tu n'es plus titulaire à Manchester, tu viens de perdre un match avec l'équipe de France. (...) Tu as perdu, on te dit que t'es pas dedans, que t'es suffisant, pas concentré, que tu as perdu ta place avec Mourinho. T'es pas bien, et tu nous fais tes 'Pogséries'. C'est quoi le délire ?" La veille, Canal+ avait diffusé un nouvel épisode de Pogba Mondial, une série qui suit Paul Pogba dans sa vie quotidienne de joueur mais aussi de fan de rap et de style, vivant dans une immense maison, la "Poghouse", où il a son propre "Pogcinéma" et une "PP Arena" pour jouer au foot.

Outre cette série, le joueur est très présent sur les réseaux sociaux et change régulièrement de coupe de cheveux. En février, José Mourinho s'était servi de ces changements de looks pour le piquer au vif, faisant l'éloge de son remplaçant Scott McTominay : "Il n'a pas de cheveux colorés, pas de grosse voiture ou de grosse montre, pas de tatouages. (...) Il mérite de jouer plus." Dans France Football, Paul Pogba ne se renie pas mais plaide le naturel.

Toute ma vie j'ai été comme ça. Même quand je n'étais pas professionnel. (...) Si j'ai du style, c'est pas de ma faute !

Paul Pogba

à "France Football"

"Pogba, c'est Pogba. C'est aussi ce qui fait son charme", nuance Frank Hocquemiller, fondateur de l'agence VIP-Consulting, spécialisée dans la gestion de l'image des footballeurs."J'ai conseillé Djibril Cissé. Dans les moments où il était moins bon, sa force a toujours été de répondre sur le terrain, mais tout en restant Djibril Cissé, avec ses coupes et ses vêtements extravagants".

Paul Pogba arrive à Clairefontaine (Yvelines) dans le cadre de la préparation de l'équipe de France au Mondial, le 4 juin 2018. (FRANCK FIFE / AFP)

Surtout, Paul Pogba semble afficher une confiance en lui à toute épreuve. Interrogé sur sa nonchalance sur le terrain, le joueur de Manchester United s'est ainsi défendu en se comparant à un quintuple Ballon d'or. "Ce que j'ai gagné, je l'ai gagné en étant comme ça. Je suis comme ça. C'est mon style de jeu. Tu ne vas pas critiquer un Messi quand il marche sur le terrain. Il met trois buts et tu vas dire 'Ah, mais il marche sur le terrain' ? Non. On ne peut pas me dire comment je dois jouer. Personne ne peut me dire comment je dois jouer". Une telle confiance peut-elle agacer les supporters ? Frank Hocquemiller est "partagé" : "Le joueur qui vous dira 'Non, le patron c'est l'équipe,...', le public se dira qu'il fait de la langue de bois". Ça, Paul Pogba en semble incapable, et le staff de l'équipe de France l'a bien compris : selon Libération, il refuse sciemment d'exposer Paul Pogba en conférence de presse depuis 2014.

La France a toujours aimé brûler ses idoles

En 2016, après un match moyen en ouverture de l'Euro, L'Equipe met en une un talentueux français dont la performance suscite "l'inquiétude" : Antoine Griezmann. Il finira meilleur joueur de la compétition. Paul Pogba n'est donc pas le seul a être la cible de commentateurs exigeants. "En France, il y a toujours un joueur qui sert de paratonnerre, qui est désigné comme le responsable, estime Thibaud Leplat. Récemment, ça a été Florent Malouda, Patrice Evra... Mais la responsabilité n'est jamais considérée comme collective". Ce n'est pas Didier Deschamps qui est critiqué pour ne pas avoir réussi à tirer le meilleur de Paul Pogba : c'est Pogba qui est jugé en dessous des attentes.

Celles-ci sont énormes et, en football comme en politique, les Français semblent aimer les hommes providentiels, ces joueurs "qu'on imagine responsables des victoires comme des défaites", sourit Thibaud Leplat. Le plus souvent, ce sont des numéros 10 : derrière les Zinédine Zidane et Michel Platini, de nombreux joueurs se sont ainsi perdus en essayant d'être à la hauteur du rôle. Paul Pogba n'est pas numéro 10, mais les mêmes attentes pèsent sur lui : qu'il soit décisif et devienne le "patron" de l'équipe, comme lui intime France Football dans sa dernière interview. "Cette histoire de patron, c'est un cache-misère, qui sert à masquer l'absence de projet de jeu collectif", déplore Thibaud Leplat. En Espagne, où tous les joueurs baignent dans la même idée du football depuis leur enfance, on ne se cherche pas de "patron".

Le défenseur italien Danilo D'Ambrosio ceinture Paul Pogba lors d'un match amical France-Italie à Nice (Alpes-Maritimes), le 1er juin 2018. (FRANCK FIFE / AFP)

Pourtant, la France n'a pas besoin de Paul Pogba pour gagner. A l'image de Griezmann, Mbappé ou Lemar, elle dispose d'autres joueurs de grand talent, au milieu desquels "il pèse moins par ses qualités individuelles" que s'il était le seul à ce niveau. "Mais comme Pogba sort du rang, on l'investit tout de même de cette mission qu'il ne peut pas remplir tout seul", estime Thibaud Leplat. Une mission qui pèse lourd sur ses épaules, comme en témoigne sa frustration face au journaliste de France Football : "Si on fait une équipe en fonction de moi (...), si ça ne marche pas la responsabilité est sur moi. Et tu trouves ça juste ? Imagine, je suis dans un bon jour et on ne gagne pas. Les critiques vont sur qui ? Sur moi ! Et si on n'a pas le ballon, on fait comment ? Parce que je suis influent si on a le ballon. C'est injuste, ce n'est pas normal". Mais les supporters de l'équipe de France voient-ils Paul Pogba comme un joueur normal ?

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