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Coupe du monde 2018 : Sergio Ramos, le défenseur espagnol aussi bon que brut et truand

Le capitaine de la Roja et du Real Madrid est régulièrement critiqué pour sa dureté sur le terrain (et son impunité auprès des arbitres). Mais pourquoi tant de haine ?

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le défenseur de la sélection espagnole Sergio Ramos lors du match amical contre l'Argentine le 27 mars 2018. (PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP)

Stade olympique de Kiev, samedi 26 mai. Liverpool affronte le Real Madrid en finale de Ligue des champions. On approche de la demi-heure de jeu quand l'Égyptien Mohamed Salah, meilleur joueur de l'équipe britannique, s'écroule alors qu'il est à la lutte avec Sergio Ramos, le capitaine espagnol. Il reste de longues secondes à terre avant de reprendre en serrant les dents. Deux minutes plus tard, il dit stop et sort en larmes. La finale vient de basculer et le procès de Sergio Ramos de s'ouvrir.

Le défenseur du Real Madrid est accusé d'avoir blessé sciemment la star de l'équipe adverse. Son coup de coude à Loris Karius, le gardien de Liverpool, lors d'une action confuse au cours de la même rencontre, achève de convaincre les sceptiques. Sergio Ramos brute et truand plus que bon, ou un peu des trois ? Lui s'en moque comme de son premier tacle. "Sergio n'a peur de rien", a assuré un jour son ancien entraîneur au Real, Carlo Ancelotti.

Pas même de croiser la route de son coéquipier en club, Cristiano Ronaldo, lors de l'un des chocs du premier tour, Espagne-Portugal, vendredi 15 juin. Le Portugais risque même d'avoir droit au traitement de faveur que Sergio Ramos réserve parfois aux attaquants adverses.

"J'ai toujours voulu être torero"

Sergio Ramos est né le 30 mars 1986 à Camas, une ville en banlieue de Séville. Des origines andalouses qu'il revendique dès qu'il le peut. A chaque titre du Real Madrid, il endosse ainsi la cape du matador et simule une passe de corrida. Une réminiscence de son autre passion : la tauromachie. "Quand vous êtes jeune, c'est important d'avoir des rêves. J'ai toujours voulu être soit torero, soit footballeur mais ma mère avait peur que je me lance dans la tauromachie. J'ai opté pour le foot, qui était moins dangereux", assure-t-il dans une interview à Goal.com. 

Mais il n'a jamais oublié les taureaux, ni les chevaux. Sergio Ramos s'est même acheté une "Finca", une grande propriété, La Juliana, dans la région de Séville, où il élève des pur-sang et se ressource dès qu'il a du temps libre. "C'est l'endroit où je me sens heureux. Ici mes amis viennent et nous jouons au padel [un mélange de tennis et de squash]Je ne suis dérangé par personne et je peux respirer", expliquait-il à El País (en espagnol) en 2016. 

"Sans tomber dans la caricature, il aime tout de la culture d'ici, de la musique flamenco aux spécialités culinaires", raconte Manolo Jiménez, son entraîneur au sein des équipes de jeunes du FC Séville, dans So Foot. A l'époque, déjà, la bête est difficile à dompter. L'entraîneur se souvient "d'un garçon qui avait besoin de mettre de l'ordre dans ses idées".

C'était un diamant brut, il fallait le polir. Il était trop brut de décoffrage.

Manolo Jiménez

à "So Foot"

Sa fougue ne l'empêche pas, à 17 ans, de faire ses débuts chez les professionnels. A l'été 2005, après deux saisons passées à Séville, il fait le grand saut, quitte son Andalousie natale, direction le Real Madrid où Florentino Perez débourse 27 millions d'euros pour l'acquérir. Un départ qui passe mal auprès des supporters sévillans qui le siffle abondamment dès qu'il affronte son ancienne équipe. "Il s'en fiche, lui, ce qu'il veut c'est être aimé par les supporters du Real et de la Roja", commente Robin Delorme, journaliste pour So Foot et correspondant à Madrid de 2011 à 2016.

"C'est très facile de m'expulser"

A 19 ans, il débarque donc dans le plus grand club du monde, dans un vestiaire rempli de stars (Zinédine Zidane, David Beckham, Iker Casillas, Raul...) et récupère le numéro 4 de la légende madrilène, le défenseur Fernando Hierro. Un cocktail qui aurait pu briser la carrière de celui qui n'est encore qu'un espoir. "Il avait du talent, mais on trouvait que son transfert était cher pour l'époque, se souvient Pablo Polo, journaliste pour le quotidien madrilène Marca. On n'imaginait pas qu'il allait arriver si haut. Finalement, ça été une affaire..."

Très vite, il s'installe au poste de latéral droit et ne quitte plus le onze de départ. Sans douter. "Sa force, c'est l'estime qu'il a de lui-même", éclaire René, son frère et agent dans Libération. C'est aussi sa faiblesse, selon Joaquín Caparros, l'entraîneur qui l'a lancé au FC Séville. "Son seul défaut, c'était son trop-plein de confiance, analyse-t-il pour So Foot. Il a de si grandes possibilités qu'il peut se relâcher de temps en temps.Un point de vue corroboré par Robin Delorme.

Il est un peu schizophrène sur un terrain de football, il se sait très fort alors parfois il se laisse aller.

Robin Delorme

à franceinfo

D'où une fâcheuse tendance à dégoupiller lors des rencontres. Au Real, en plus de s'être construit un palmarès XXL (quatre championnats d'Espagne, deux Coupes du Roi, quatre Ligues des champions, trois Supercoupes d'Espagne, trois Supercoupes d'Europe et trois Coupes du monde des clubs), il possède un triste record : celui du nombre d'expulsions.

Au cours de sa carrière, il a écopé de 24 cartons rouges auxquels il faut ajouter 201 cartons jaunes, recense le site Transfermarkt.fr. "C'est très facile de m'expulser. Je ne sais pas si c'est à cause de mes antécédents ou de ma personnalité", s'indigne-t-il. Mais étrangement, sur la scène européenne, son comportement, parfois à la limite, est moins réprimandé avec seulement trois expulsions en 114 rencontres, comme le confirme Thibaut Leplat, auteur de Clasíco : Barcelone-Real Madrid, la guerre des mondes (éd. Hugo Sport) :

Il y a une forme d'impunité qui s'est installée. Il arrive quand même à mettre un coup de coude à un gardien sans être sanctionné.

Thibaut Leplat

à franceinfo

"C'est un symbole du Madridismo"

Si son comportement lui vaut son lot de critiques, à Madrid, hors de question de toucher à l'idole. "Depuis son but égalisateur à la dernière minute face à l'Atlético Madrid en finale de Ligue des champions en 2014, il a un statut de héros, lance Robin Delorme. Il est le joueur qui incarne le mieux les valeurs du Real." Attaqué après sa prestation de Kiev, il a pu compter sur le soutien de son partenaire Toni Kroos. "Je suis absolument sûr que Sergio n'avait aucune intention de blesser Salah. En fait, même l'arbitre n'a pas sifflé, je n'ai rien vu d'antisportif dans son action. Ce n'est pas un joueur agressif et je suis fier qu'il soit notre capitaine à Madrid", a réagi l'Allemand pour le quotidien Augsburger Allgemeine. 

Depuis qu'il a hérité du brassard, après le départ du gardien Iker Casillas en 2015, Sergio Ramos s'est transformé. "Il a repris le flambeau, précise Thibaut Leplat. Il a gagné en autorité." Le jeune joueur fougueux à ses débuts, qui travaillait ses transversales après les entraînements avec David Beckham, est devenu "le joueur le plus important de l'équipe", dixit Zinédine Zidane, l'ex-coach des Merengues. Devant Cristiano Ronaldo, qu'il n'a pas hésité à recadrer par le passé. Au moment de sa prolongation de contrat à l'été 2015, Sergio Ramos a eu droit aux éloges de son président Florentino Pérez : "C'est un symbole du Madridismo, qu'il a conquis par sa qualité, son engagement, son caractère et son immense cœur."

Sur le terrain, Sergio Ramos, brassard au bras, est devenu "le gouverneur de la rencontre", illustre Thibaut Leplat. Il sait intimider ses adversaires, recadrer ou encourager ses coéquipiers et use de son influence.

Quand tu es arbitre face au capitaine du Real Madrid, tu n'es pas grand chose. En tant que capitaine, Ramos sait qu'il a l'ascendant.

Thibaut Leplat

à franceinfo

Parfois, Ramos n'a même pas besoin d'élever la voix, le sifflement suffit comme le raconte le journaliste espagnol Diego Torres dans El País (en espagnol). "Ramos siffle deux fois pour faire remonter la ligne, émet une note courte et pénétrante pour commander le hors-jeu", écrit-il. Et personne ne moufte.

"Quand il est sur le terrain, les autres joueurs sont plus confiants", éclaire Pablo Polo. Et sans lui, le Real n'est plus le même. En quart de finale retour de Ligue des champions contre la Juventus, l'équipe madrilène, privée de son capitaine, n'est pas passée loin de l'élimination malgré sa victoire 3-0 à Turin. "Raphaël Varane est tranquille lorsque Ramos est à ses côtés, car il en impose. Ramos le bonifie", vante l'ancien entraîneur du PSG Luis Fernandez.

"Il sait jouer le gentil et le méchant"

Tout le monde le dira, il vaut mieux avoir Sergio Ramos dans son équipe. "Avec lui, on peut partir à la guerre", synthétise Robin Delorme. L'attaquant du FC Barcelone, Luis Suarez et celui de l'Atlético Madrid, Diego Costa, pas des poètes non plus, n'ont que des mots positifs pour le décrire. "C'est le joueur le plus dur que j'ai eu à affronter", assure l'Uruguayen.

J'ai adoré les matchs contre le Real Madrid et la chance de pouvoir affronter Pepe et Ramos. Ce fut de grandes et de belles batailles. J'ai toujours eux des problèmes avec eux et il y a toujours eux des étincelles entre nous. Mais je vous garantis qu'ils ont aussi aimé pour les mêmes raisons.

Diego Costa

à Sport TV

"Si tu n'es pas un peu dur lorsque tu es défenseur central, tu n'atteins pas le plus haut niveau", tempère Pablo Polo. Le joueur a ses partisans, qui ne nient pas sa réputation, mais l'encensent pour sa discipline, sa lecture du jeu, son leadership ou ses qualités techniques. "A l'heure actuelle, c'est le meilleur défenseur du monde", résume Luis Fernandez. "Il a une science du placement et de l'interception phénoménale, décrypte Thibaut Leplat. Il prépare très bien ses matchs et étudie le jeu des attaquants." A ses qualités défensives, il allie un sens du but étonnant pour un défenseur. Depuis le début de sa carrière en club et en sélection, il a inscrit 89 buts en 764 matches.

Mais ce comportement, toujours à la limite, ne passe pas chez tout le monde. Après la blessure de Mohamed Salah, l'Espagnol a été menacé de morts et obligé de changer de numéro. Lassé des polémiques nées après cette finale de Ligue des champions, il a botté en touche avec humour : "C'est quoi la suite ? Roberto Firmino [l'avant-centre de Liverpool] a attrapé un rhume parce qu'une goutte de ma sueur l'a touché ?" Un trait d'humour caractéristique du personnage. "Sergio Ramos sait jouer le gentil et le méchant, il ressemble à un personnage de comédie", conclut Thibaut Leplat. Un personnage de comédie qui ne fait pas rire tout le monde.

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