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Coupe du monde 2018 : mais que se passe-t-il dans votre cerveau quand vous pariez sur un match ?

Des chercheurs ont examiné l'activité cérébrale déclénchée, chez des fans de football, par la vision de matchs associés à une opportunité de parier.

Article rédigé par The Conversation - Damien Brevers, chargé de recherche à l'Université libre de Bruxelles (Belgique)
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Des supporters du Brésil regardent le match entre leur équipe et la Serbie, à Rio de Janeiro, le 27 juin 2018. (ELLAN LUSTOSA / CROWDSPARK / AFP)

Imaginez-vous rentrer de votre journée de travail. Vous êtes seul dans votre appartement. Vous avez très faim, mais aucune envie de cuisiner. Malgré cela, quelques minutes plus tard, votre plat thaï favori est dans votre assiette. Vous décidez ensuite de manger en regardant les épisodes de la nouvelle saison d’une série TV, et, au même moment, vous recevez des dizaines de commentaires de la photo du plat thaï que vous venez de partager à votre réseau de connaissances. Il est ensuite l’heure de regarder la finale de la Ligue des Champions. Afin d’augmenter votre intérêt pour ce match de football, vous décidez de parier 5 euros sur une victoire du Real Madrid, avec la perspective de gagner en peu plus de 4 euros en cas de pari gagnant…

Il y a quelques années, le fait de combiner toutes ces conduites aurait été inenvisageable. Mais aujourd’hui, il vous est possible de les mettre en œuvre avec quelques « mouvements de doigts » : ouvrir des applications sur votre smartphone vous garantit un accès quasi instantané à la gratification. Pour revenir à notre exemple, et sans vanter en aucune manière ces sociétés, une appli Uber Eats pour le plat thaï, Netflix pour la série TV, Instagram pour le partage de la photo du plat, et Unibet pour le pari sportif. Cette liste est évidemment loin d’être exhaustive. L’être humain dispose maintenant d’un accès facile envers une diversité de conduites hédoniques, du choix de ses prochaines vacances (Airbnb) à la sélection de son prochain partenaire (Tinder).

Parier, c’est plus que facile !

Beaucoup de questions se posent quant aux conséquences de l’adoption de ces routines sur notre santé mentale. Parmi les nouveaux modes d’accès au « plaisir », les paris sportifs constituent un cas d’étude particulièrement intrigant. En effet, ces derniers n’ont jamais été autant disponibles et faciles d’accès. Par l’intermédiaire d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un smartphone, il est non seulement possible de parier sur le résultat d’un grand nombre d’événements sportifs, mais également sur différents enchaînements d’actions (par exemple, en football : l’équipe qui va marquer en premier, le nombre de buts qui va être inscrit durant le match, l’équipe qui va obtenir le prochain carton jaune, etc.).

Les paris sportifs font également l’objet de campagnes de publicité sans précédent. Des dizaines de spots publicitaires diffusés durant l’événement sportif vous rappellent qu’il est non seulement possible mais également très facile de réaliser un pari. Ainsi, des fans de sports qui, pour la plupart, n’auraient jamais « mis les pieds » dans un casino se retrouvent avec une opportunité de jouer de l’argent tout en regardant leurs équipes et athlètes favoris et ce, sans bouger de leur salon.

Neurosciences du supporter

Cette hyperaccessibilité des paris sportifs pose une question fondamentale : en quoi l’ajout d’une composante de jeux d’argent modifie notre façon de regarder une compétition sportive ? Ce sujet a fait l’objet d’une récente recherche que nous avons mené en collaboration entre l’Institut des Neurosciences de l’Université Libre de Bruxelles et le Département de Psychiatrie de l’Hôpital Universitaire de Gand. Au sein de cette étude de neuroimagerie fonctionnelle, nous avons examiné l’activité cérébrale déclenchée, chez des fans de football, par la vision de matchs associés à une opportunité de parier, par rapport à des matchs de football sans opportunité de parier.

Nous avons observé davantage d’activité cérébrale pour les matchs de football associés à une opportunité de parier et ce, dans des zones du cerveau impliquées dans les processus de prise de décision (par exemple : le cortex fronto-polaire et le cortex orbito-frontal), les émotions et l’intéroception (par exemple : cortex insulaire), la mémoire (par exemple : l’hippocampe), et le traitement de la récompense (par exemple : le striatum ventral et dorsal). Un autre élément mis en évidence par notre étude est la modification de l’activité cérébrale en fonction de la confiance en la victoire (pour les matchs associés à une opportunité de parier). Dans l’ensemble, ces résultats offrent donc une simulation précise de la manière dont l’accessibilité aux paris sportifs modifie nos capacités de traitement de l’information lorsque nous regardons des événements sportifs.

Une illustration de l’augmentation de l’activité cérébrale observée chez des fans de football lors de la vision de matchs associés à une opportunité de parier. Brevers et coll., 2018

Les résultats offrent également la perspective d’aborder des sujets de recherches davantage ciblés sur des aspects de santé mentale. Par exemple, une question centrale pour de futurs travaux en imagerie cérébrale sera d’examiner si, lors de la vision d’un match avec ou sans paris, le cerveau est différemment activé chez des personnes qui souhaitent modérer ou arrêter la pratique de paris sportifs et ce, par rapport à des personnes qui parient mais qui n’ont pas de problème avec leurs comportements de jeux d’argent ou encore des individus passionnés de sports mais qui ne parient pas. Ces questions sont importantes car, pour une majorité d’individus désireux de modérer ou arrêter la pratique de paris, le challenge sera de (ré)apprendre à regarder des événements sportifs sans parier d’argent.

The ConversationUn challenge pour les neurosciences sera donc d’identifier des marqueurs neurobiologiques qui permettront de discriminer des individus selon leurs rapports de consommation envers une conduite donnée (par exemple : non-consommateur, consommateur fréquent, consommateur « abstinent »). Ces travaux augmenteront nos connaissances envers les nouvelles formes de conduites hédoniques qui caractérisent notre environnement et permettront, à terme, de mieux comprendre et agir sur des processus en jeu dans le maintien et l’amélioration du niveau de qualité de vie d’un individu.

Damien Brevers, Chargé de Recherche FNRS, Laboratory of Medical Psychology and Addictology, ULB Neuroscience Institute, Université Libre de Bruxelles

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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