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"On a toujours un problème à ce poste" : les gardiennes de but sont-elles vraiment les maillons faibles du foot féminin ?

Le niveau du foot féminin a énormément progressé ces dernières années. Les critiques et les moqueries aussi, surtout envers les gardiennes, un des postes les plus exposés. A raison ?

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9 min
La gardienne de l'équipe de France, Sarah Bouhaddi, lors d'un match entre la France et le Japon, le 4 avril 2019 au stade de l'Abbé-Deschamps à Auxerre (Yonne). (FRANCK FIFE / AFP)

"Je ne dénigre pas le foot féminin, je dénigre les gardiennes. Qu'est-ce qu'elle fait là ? Elle a perdu sa montre ?" Le 17 février, sur le plateau du Canal Football Club, émission phare de Canal+ consacrée au ballon rond, Pierre Ménès ricane devant l'erreur – la "boulette" dirait l'amateur de football – de Maryne Gignoux, gardienne de l'équipe de Fleury (D1 féminine). Critiqué pour sa réaction, le chroniqueur persiste et signe sur Twitter le lendemain en assurant qu'il y a "un énorme problème avec les gardiennes"

La récente médiatisation du football féminin, dont la 8e édition de la Coupe du monde se déroule en France du 7 juin au 7 juillet, a braqué les projecteurs sur les performances des joueuses. Mais également sur les erreurs qui parsèment les rencontres. Quand ce n'est pas une sortie hasardeuse, c'est une faute de main dans les airs, un ballon qui glisse des gants à l'image de la gardienne islandaise Guðbjörg Gunnarsdóttir lors de l'Euro 2017. Ou encore un but contre son camp comme celui marqué par la gardienne de Chelsea, Ann-Katrin Berger, lors du quart de finale retour de Ligue des champions face au PSG.

Tous les intervenants contactés par franceinfo s'accordent sur un point, le niveau du football féminin a progressé ces dernières années. Le jeu va plus vite, les ballons arrivent plus fort. "Les frappes des filles comme Eugénie Le Sommer, Marie-Antoinette Katoto, attaquantes en équipe de France ou Amandine Henry, milieu de terrain tricolore, sont plus puissantes", soutient Farid Benstiti, ancien entraîneur des équipes féminines de l'Olympique lyonnais et du PSG. Le niveau moyen des gardiennes a lui aussi progressé, mais pas aussi rapidement que celui des joueuses de champ.

"Toutes les gardiennes ont déjà fait une 'boulette'"

"On a toujours un problème à ce poste, observe Marinette Pichon, ancienne attaquante internationale française, devenue consultante pour France Télévisions. On manque de talents et de candidates." "Chez les hommes, [au niveau international] il y a rarement de gardiens très moyens, analyse Jérôme Alonzo, mais chez les femmes, si on excepte les cinq-six grandes nations, on en trouve beaucoup""On a peut-être pris un peu de retard dans notre progression", concède Maryne Gignoux, la fautive moquée par Pierre Ménès sur Canal+. Elle refuse en revanche que la gardienne devienne le bouc-émissaire des critiques. "A notre poste, l'erreur se voit tout de suite", relativise-t-elle.

Dans une interview dans So Foot, elle poussait l'aveu un peu plus loin en affirmant que "toutes les gardiennes de D1, moi y compris, ont fait au moins une 'boulette' depuis le début de la saison". Mais pas question de s'apitoyer non plus sur son sort : "Je n'en ai pas marre qu'on rabâche ce sujet à chaque fois, la critique fait avancer et il faut l'accepter, explique-t-elle à franceinfo. Le foot féminin évolue, les attentes aussi."

"Une internationale, c'est 1,75 m minimum"

Chez les garçons, les erreurs existent aussi. Lors de la dernière finale de Coupe du monde, Hugo Lloris, le portier tricolore, a bien encaissé un but-gag en ratant son dribble face à un attaquant croate. Mais les lacunes sont moins visibles chez les hommes que chez les femmes. "Le gros problème aujourd'hui, c'est le jeu aérien, pointe Jérôme Alonzo. Pour être gardien ou gardienne, il faut être athlétique. Hope Solo, la gardienne emblématique des Etats-Unis, elle fait 1,75 m, elle pouvait 'aller au carton' [à la lutte] dans les airs sans problème. Actuellement, elles sont peu à pouvoir le faire et il y a parfois un déficit de taille. Il arrive que les attaquantes soient plus grandes que les gardiennes". 

La gardienne des Etats-Unis Hope Solo, lors de la finale du Mondial féminin face au Japon, le 5 juillet 2015 à Vancouver (Canada). (RICH LAM / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Yohann Hautbois, qui a été le premier journaliste à suivre un Mondial féminin pour L'Equipe en 2011, se souvient très bien d'une interview avec Bérangère Sapowicz, la gardienne tricolore de l'époque, avant la demi-finale contre les Etats-Unis. "Elle m'avait confié : 'Il va falloir que j'impose mon 1,66 m face aux attaquantes américaines."

Une taille de 1,66 m, c'est justement celle de Sandrine Roux, 71 sélections chez les Bleues entre 1983 et 2000. "J'ai dû énormément travailler ma détente, mais ça m'est arrivé de manquer d'envergure et aujourd'hui, ça serait un handicap. Actuellement, une gardienne internationale, c'est 1,75 m minimum." "Le jeu aérien est le plus difficile à travailler", précise Florian Le Moal, entraîneur des portières au sein de l'équipe féminine de D1 de Guingamp (Côtes-d'Armor). "On essaie de mettre les filles en confiance, d'abord en faisant des exercices sans adversité, puis en les amenant progressivement vers les duels", éclaire-t-il.

Les différences physiques et physiologiques entre les hommes et les femmes ont aussi une influence. "La vitesse et la poussée sont plus fortes chez les hommes", détaille Amandine Guérin, coach des gardiennes à l'ASJ Soyaux (Charente), club de D1 féminine. 

Sandrine Roux, entraîneur des gardiens de l'équipe de France féminine, le 2 avril 2014 à Clairefontaine (Yvelines). (MAXPPP)

Pour Farid Benstiti, aujourd'hui entraîneur en Chine, "elles ne sont pas mauvaises, mais elles peuvent être maladroites." Sandrine Roux, qui transmet aujourd'hui son savoir aux gardiennes des U19 (sélection des filles de moins de 19 ans), va plus loin. "Elles ne prennent pas assez d'initiatives, elles subissent parfois le jeu et sont un peu attentistes. Elles devraient s'imposer". Marinette Pichon, encore aujourd'hui meilleure buteuse de l'histoire des Bleues, indique que la lecture du jeu est parfois déficiente et qu'elles peuvent aussi pécher par manque de concentration. "Le poste est particulier, on va peut-être toucher trois ballons par match... Quand on en touche moins, il faut prendre part au jeu, se mettre en sentinelle devant sa surface."

Un poste longtemps mis de côté 

Le football féminin est en progression, en cours de professionnalisation aussi. Yohann Hautbois, le reporter de L'Equipe, y voit une des raisons du niveau encore perfectible des gardiennes. "Au départ, il fallait surtout développer le football féminin, ce n'est qu'après qu'on a commencé à s'intéresser au poste de gardienne". Preuve de ce retard, "il y a quelques années, il n'y avait pas d'entraîneur des gardiennes, il n'y avait pas 'de [travail] spécifique' pour elles", rappelle Solène Durand, gardienne à Guingamp et appelée en équipe de France, sur le site internet de L'Equipe. Sandrine Roux, qui a terminé sa carrière en 2001, se souvient de ses entraînements au VGA Saint-Maur (Val-de-Marne), club qui évoluait alors en 1re division. "En semaine, j'allais m'entraîner avec les garçons du club de Créteil qui était à côté. Et les jours de match, c'était une joueuse qui nous échauffait ma remplaçante et moi."

En équipe de France, le poste d'entraîneur des gardiennes n'est apparu qu'en 2001. Avant de prendre sa retraite de joueuse en raison de problèmes de santé et de devenir coach à plein temps des gardiennes à Soyaux, Amandine Guérin n'avait droit qu'à un entraînement spécifique par semaine avec un technicien. Ce défaut de formation explique, selon Maryne Gignoux, le retard dans la progression par rapport aux joueuses de champ. 

Mais avant la formation, se pose aussi le souci de la détection. "Les parents rechignaient parfois à inscrire leur fille dans un club de foot. Alors pour qu'elles finissent dans les buts, c'était encore pire", résume Yohann Hautbois. C'est comme ça, que chez les jeunes, à une époque pas si lointaine, "c'était la moins bonne [au foot] qui s'y collait", lance Amandine Guérin. De plus, ce poste, au premier abord, n'est pas forcément évident pour toutes les petites filles. "Il y a les contacts, le ballon qui peut finir dans la tête, la boue quand il pleut", énumère Jérôme Alonzo. "Il faut être un peu dingue", sourit Marinette Pichon. Et aussi bénéficier parfois d'un coup du destin.

Je prenais la licence d'un garçon.

Sandrine Roux, ancienne gardienne de l'équipe de France

à franceinfo

Ainsi, Maryne Gignoux s'est installée dans les cages lors d'un tournoi de jeunes après avoir remplacé le gardien blessé. "J'étais un peu kamikaze et j'ai tout de suite voulu y aller", se rappelle-t-elle. Sandrine Roux, elle, n'a pas eu vraiment le choix. Dans les années 1970, époque où elle découvre la discipline, le foot féminin n'en est qu'à ses balbutiements en France. "J'avais 6 ans [en 1972], je m'entraînais avec les garçons, mais je ne pouvais pas faire de matches officiels avec eux".

Voir une petite fille taper dans un ballon avec des garçons n'est alors pas chose courante. Jusqu'en 1968, il fallait une autorisation maritale pour qu'une femme touche un ballon rond, comme l'indique La Croix. Mais Sandrine Roux peut compter sur l'appui paternel. "Mon père, qui était entraîneur du club, m'a dit : 'OK pour la compétition, mais tu joues dans les buts et on cache tes cheveux sous une casquette ou un bonnet.' Je prenais alors la licence d'un garçon et je m'appelais Stéphane. J'ai tout de suite été passionnée par ce poste."

La meilleure gardienne du monde est... française

Mais ces coups de foudre sont rares. Jérôme Alonzo est un peu fataliste : "La vocation, elle n'existera pas, il faut pousser les petites filles à découvrir le poste. Pourquoi ne pas aller voir les filles qui pratiquent des sports de combat. Je suis devenu gardien grâce au judo parce que je n'avais pas peur de tomber. Il faut trouver des personnes qui n'aient pas peur de se faire mal." Farid Benstiti, lui aussi, préconise que, dès le plus jeune âge, les filles goûtent à ce poste, mais de manière organisée. "De 6 à 14 ans, il faudrait que tout le monde passe dans les buts à l'entraînement, il faudrait installer un roulement et rendre la chose ludique", théorise-t-il.

Une des pistes un temps évoquée était d'adapter la taille des buts au gabarit des joueuses. "Dans le football, contrairement au handball ou au basket, il n'y a aucune adaptation des caractéristiques du sport en fonction du sexe", observe Amandine Guérin. Toutefois, elle n'est pas favorable au changement et croit au travail. Farid Benstiti, lui, balaie carrément cette piste. "Déjà d'un point de vue logistique, ça voudrait dire changer les buts en fonction des rencontres. Et à l'inverse, comme les gardiens sont maintenant très grands, pourquoi ne pas agrandir les buts pour les garçons ? Il faut arrêter... Ce sont des fausses réponses", s'agace-t-il. 

Sarah Bouhaddi, la gardienne de l'équipe de France féminine, le 18 juillet 2017 lors de l'Euro à Tilbourg (Pays-Bas). (TOBIAS SCHWARZ / AFP)

Jérôme Alonzo propose aussi une approche plus marketing. "Il faut jouer sur la spécificité du poste. Les grandes marques de football peuvent le rendre beau en proposant des tenues différentes. J'ai aimé ce poste aussi pour ça. Il faut envoyer un message aux filles, leurs dire 'soyez différentes'." Un mot d'ordre pour trouver celle qui succédera à Sarah Bouhaddi, élue meilleure gardienne du monde en 2018 par l'IFFHS (International Federation of Football History & Statistics) pour la troisième année consécutive. Parce que les gardiennes françaises doivent d'abord être des sources de fierté plutôt que de moqueries.

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