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"Elle est faite pour ça" : comment Corinne Diacre, pionnière du foot féminin, est devenue sélectionneuse des Bleues

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
Corinne Diacre lors d'un match entre la France et le Chili, à Caen (Calvados), le 15 septembre 2017. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

Ancienne internationale et première femme à entraîner un club masculin professionnel, Corinne Diacre pourrait devenir en juillet la première femme française à remporter le prestigieux trophée de la Coupe du monde féminine. 

Certains soirs sonnent comme une révolution. Le 2 mai, Corinne Diacre dévoile lors du 20 heures de TF1 la liste des 23 Bleues sélectionnées pour la Coupe du monde de foot féminin. C'est la première fois qu'une sélection nationale féminine est annoncée lors d'un JT, devant 5 millions de téléspectateurs. "C'est moi qui suis là ce soir, mais si ça avait été quelqu'un d'autre, ça aurait été tout aussi génial", exprime la sélectionneuse tricolore. "Quelqu'un d'autre" aurait pu être un homme, comme ce fut le cas six fois sur sept jusqu'ici, mais l'annonce aurait été moins marquante.

Car Corinne Diacre est en 2019 une exception dans le monde du ballon rond. Première footballeuse à dépasser les cent sélections en équipe nationale, première femme à obtenir le diplôme d'entraîneuse professionnelle, première entraîneuse d'un club masculin professionnel... Son parcours est celui d'une pionnière, dans un milieu où le pouvoir ne se partage qu'entre hommes. A 44 ans, celle qui se désole de devoir encore justifier ses choix à l'aune de son genre et préfère rester en retrait des médias s'est imposée avec discrétion dans les plus hautes sphères du football français.

"Qui est cette fille meilleure que tout le monde ?"

Les anciens du collège Marouzeau à Guéret (Creuse) se souviennent bien de la petite "Coco". C'est dans ce collège que la native de Croix (Nord) confirme son talent de footballeuse en intégrant en quatrième la section sport-études. Six heures de foot par semaine pour une quinzaine d'élèves, dont une seule fille : Corinne Diacre, petite brune au sourire timide. "Je la vois encore arriver à l'internat le dimanche soir en montant la côte avec un sac de voyage énorme rempli d'affaires de sport, se souvient "Marie-Couette", une amie du collège. Sa vie tournait autour du football, elle avait un cahier Panini avec des photos des joueurs. Son père l'avait initiée au foot toute petite, elle nous montrait des photos d'elle gamine où elle avait déjà un ballon."

Corinne Diacre en classe de troisième au collège Jules- Marouzeau de Guéret (Creuse), en 1988. (JACQUES AGIS)

L'entraîneur de la section, Gérard Fontenay, la prend très vite sous son aile. "A son âge, c'était la meilleure joueuse de la région. C'était pas une grande costaude mais elle avait un véritable sens du placement, elle savait récupérer des ballons, couper les trajectoires, orienter le jeu." Le jour des tests pour intégrer la classe, la jeune prodige impressionne par sa technique : "On se disait : 'c'est incroyable ce que cette fille fait avec un ballon', dit-t-il, admiratif. En fait, elle était douée tout simplement, mais comme c'était une fille, on le remarquait plus."

Malgré son talent, l'adolescente n'est pas logée à la même enseigne que ses camarades masculins. A 14 ans, elle peut s'entraîner avec eux mais doit rester sur la touche lors des matchs, non-mixité oblige.

Je lui ai dit d'aller jouer et de ne dire à personne que c'était une fille. Comme elle était jeune et avait les cheveux courts, certains n'ont rien vu.

Gérard Fontenay, ancien entraîneur

à franceinfo

Dans les années 1980, le foot féminin en est à ses balbutiements. Rares sont les écoles à ouvrir leurs portes aux amatrices de ballon rond et à investir en ce sens : "Il n'y avait qu'un seul vestiaire pour les garçons, donc je la laissais se changer dans celui des arbitres. Je restais devant la porte pour que personne ne la voie. Ça n'avait pas l'air de l'embêter, mais moi je la trouvais courageuse", confie l'entraîneur. Lors d'un voyage scolaire en Angleterre, la classe s'arrête au stade de Wembley, la mythique enceinte située près de Londres. "Coco" se met à enchaîner les jongles, pied droit, pied gauche, sous le regard bluffé de ses camarades. "L'entraîneur anglais est venu me voir pour me dire : 'mais c'est qui cette fille qui est meilleure que tout le monde ?'", se rappelle Gérard Fontenay.

Un record de sélections en équipe de France

Dès le départ, Corinne Diacre se distingue par son abnégation. "A 12 ans, au cours de tests où il fallait courir autour du terrain et où ce n'était pas sa spécialité, elle pleurait si elle n'était pas première. Elle est très perfectionniste et il faut absolument qu'elle fasse le mieux possible", raconte à France 3 Claude Fort, l'ancien président du club de Soyaux.

C'est dans ce club situé près d'Angoulême (Charente) que Corinne Diacre a réalisé l'intégralité de sa trajectoire de joueuse de haut niveau. Après un passage dans son enfance par les clubs de Saint-Chamond (Loire) puis les clubs creusois d'Aubusson et d'Azerables, elle intègre à 14 ans, en 1988, l'ASJ Soyaux, où elle terminera sa carrière de joueuse à 33 ans en 2007.

En 1993, elle est appelée en équipe de France et y sera sélectionnée 121 fois au poste de défenseuse. Un record. Fidèle à Soyaux, elle refuse même un appel du pied des Etats-Unis, pourtant réputé pour son foot féminin. "Aujourd'hui, pouvoir dire qu'on a eu 121 sélections en équipe de France sous un seul club, ça j'en suis fière", dira-t-elle plus tard à France Bleu.

Corinne Diacre, deuxième en partant de la gauche, célèbre la victoire des Bleues lors du match de barrage contre l'Angleterre, à Saint-Etienne, le 16 novembre 2002. (PHILIPPE MERLE / AFP)

Elle entre dans l'histoire en 2003, à l'occasion d'un barrage retour qualificatif pour la Coupe du monde aux Etats-Unis. Lors de ce match couperet disputé contre l'Angleterre, la défenseuse de 1,76 m, devenue capitaine, marque le but qui qualifie les Bleues pour le Mondial, une première pour les Tricolores. "Elisabeth Loisel [la sélectionneuse de l'époque] nous avait dit qu'on aurait très peu d'occasions. On a joué dans un stade bien rempli, ça nous a transformées. C'était un accomplissement collectif", se souvient Marinette Pichon, ancienne internationale française.

Elle avait une mentalité à toute épreuve : c'était un moteur au sein de l'équipe. Elle aimait échanger, débriefer et conseiller. Une vraie capitaine.

Marinette Pichon, ancienne internationale française

à franceinfo

Malgré leur haut niveau, les joueuses sont loin de vivre dans l'opulence, au contraire de leurs homologues masculins. Seules les joueuses évoluant à l'OL ou au Paris FC peuvent en vivre, les autres sont souvent obligées de travailler à côté. A l'époque, les bourses et primes des sponsors ne suffisent pas aux footballeuses pour joindre les deux bouts. "Les sponsors nous versaient des primes mais ça n’excédait pas les 6 000 à 7 000 francs [environ 1 000 euros] par an. Autant dire qu’on n’en vivait pas", explique Corinne Diacre à Libération. L'été, elle pointe en intérim dans une chaîne de montage de batteries pour l'aéronautique à Angoulême. Puis elle se fait remarquer par l'émission "Téléfoot" sur TF1 et signe pour quelques chroniques. "J'ai été frappé par sa proximité avec l'équipe de tournage, son humanité, sa détermination et ses compétences", énumère Frédéric Jaillant, ancien présentateur.

J'ai ressenti chez elle la volonté d’être une militante, presque une 'missionnaire du football féminin'. Elle ne cherchait pas la lumière pour elle, mais pour son sport.

Frédéric Jaillant, ancien présentateur de "Téléfoot"

à franceinfo

Son parcours rectiligne prend brutalement fin en 2006. Lors d'une rencontre entre l'ASJ Soyaux et Montpellier, elle subit une rupture des ligaments croisés. Elle a 32 ans et pense devoir dire adieu à sa passion. S'ensuit une période noire : au chômage, elle dégote sans émoi un poste au conseil général de Charente et vit dans l'incertitude. Un an plus tard, l'ASJ Soyaux la rappelle pour encadrer son équipe féminine. Passer de l'action au management ne se fait pas sans douleur, mais la Nordiste de naissance porte le club charentais dans son cœur et relève le défi.

J'ai broyé du noir, ça a été super dur de basculer dans l’encadrement. Un temps, je me suis sentie vide, j’ai connu le chômage et j’ai eu peur.

Corinne Diacre

à Libération

Son passage est celui d'une renaissance pour le club. "Elle a fait d’un groupe de joueuses complètement amatrices des joueuses qui se comportaient comme des pros, décrit l'ancienne entraîneuse de Soyaux, Bernadette Constantin, au Monde. C’est tout l’art de Corinne : montrer aux gens qu’ils peuvent s’élever."

Corinne Diacre dans son bureau de la Ligue de football régional à Angoulême (Charente), le 29 novembre 2002. (DERRICK CEYRAC / AFP)

Depuis Paris, le sélectionneur des Bleues, Bruno Bini, observe avec attention le travail de la jeune entraîneuse et lui propose d'être son adjointe à la FFF. "Sa puissance de travail, son honnêteté, font que je ne pouvais guère me tromper en la prenant comme adjointe. Je pense qu’elle n'était pas programmée, mais elle est faite pour ça", commente-t-il dans "Sport confidentiel".

Des débuts à Clermont semés d'embûches

Logiquement, son travail conduit Corinne Diacre là où aucune femme n'est encore jamais allée : l'entraînement d'un club de foot professionnel masculin. Le monde du foot se souviendra d'ailleurs longtemps du 30 juin 2014. Ce jour-là, la salle de presse du Clermont Foot (Puy-de-Dôme) est comble, situation rare pour ce club de Ligue 2, plus habitué des médias locaux que de la presse internationale. Depuis 7 heures, des dizaines de journalistes font le pied de grue devant le stade Gabriel-Montpied pour apercevoir l'événement de la saison : l'arrivée de Corinne Diacre à la tête de l'équipe professionnelle masculine, une première mondiale pour une femme à ce niveau, si l'on excepte le très bref passage en 1999 de Carolina Morace avec Viterbese (troisième division italienne), raconté par So Foot.

Son arrivée a été négociée dans la précipitation après le départ soudain de la Portugaise Helena Costa. Le président Claude Michy souhaitait garder une entraîneuse et Corinne Diacre venait justement d'obtenir son diplôme professionnel. Un sésame exceptionnel puisqu'elle est la première femme à le valider en suivant la formation. "Pour être sélectionnée, il faut avoir un certain niveau. Comme le foot féminin n'est pas professionnel, rares sont celles qui peuvent y prétendre", témoigne Nicole Abar, ancienne internationale tricolore. "Je sais que je l'ai mérité, mais je sais aussi que les femmes doivent toujours prouver deux fois plus", renchérit l'intéressée dans La Charente libre.

Les premiers mois à la tête du club sont semés d'embûches. Débarquée à la tête d'un effectif qu'elle n'a pas choisi, elle doit se battre pour que certains joueurs l'acceptent, malgré un CV prestigieux qui légitimerait n'importe quel homme.

Il y a eu dès le départ un manque de respect de leur part. Je me bats sans doute à tort sur des choses qui ne relèvent pas de mon domaine : la politesse, dire bonjour le matin en me regardant droit dans les yeux.

Corinne Diacre

à "La Montagne"

"Elle avait des garçons à gérer dont l’éducation et le formatage faisaient qu'ils n’avaient jamais envisagé d’être dirigés par une femme", explique le président Claude Michy, se qualifiant lui-même de "macho tendance Moyen Age". "Certains n'acceptaient pas son mode de fonctionnement : elle privilégie le collectif à l'individuel. Un joueur qui se comporte mal, même s'il est performant, elle le mettra sur la touche."

Corinne Diacre s'adresse à un de ses joueurs du Clermont Foot, le 12 juillet 2014, à Riom (Puy-de-Dôme). (MAXPPP)

D'autres gardent au contraire un excellent souvenir de son passage. "C'est une personne très franche qui aime les joueurs sincères. Elle réussissait à nous garder en éveil et à faire qu'on soit un groupe sain", raconte le milieu de terrain Ludovic Genest, aujourd'hui joueur du SC Bastia.

"Les mêmes questions trente fois par jour"

La relation est toutefois plus tendue avec la presse. Chaque jour, les questions se répètent et se ressemblent par leur sexisme. "C'était toujours la même chose, 'quand est-ce qu'elle rentre dans le vestiaire, quand les joueurs sont nus ou à moitié habillés ?'... L'intérêt de la question est quand même limité", soupire Claude Michy. Elle a le droit à presque tout, sauf à de vraies questions footballistiques. On lui demande ainsi si elle interdit le fromage râpé sur les pâtes des joueurs ou s'ils doivent enlever leurs bijoux avant les entraînements, cite Le Temps. Des interrogations qui la font bondir et abréger les interviews. "Je n’en peux plus. On me pose les mêmes questions trente fois par jour. Le pire, c’était avant le début du championnat parce que l’on ne pouvait pas parler des matchs", se désole-t-elle dans Libération.

Ce qui est difficile, c'est de vouloir chercher ce qui me différencie des autres. Effectivement, je suis une femme, mais est-ce qu'il est nécessaire de me le rabâcher à chaque fois ? C'est ce qui est un peu dérangeant.

Corinne Diacre

à France 2

Niveau résultats, les premiers mois sont difficiles. Les "Rouge et Bleu" figurent en zone de relégation avant de terminer la saison à la douzième place, meilleur résultat du club depuis trois saisons. Pourtant, la presse ne lui fait pas de cadeau. "Les titres sont passés de 'Corinne Diacre perd' à 'Clermont gagne', décrit, amer, le président Claude Michy. Lors des matchs, certains confrères étalent leur machisme sans gêne : en 2016, alors que le Paris FC fait match nul contre Clermont, l'entraîneur parisien Jean-Luc Vasseur s'en prend à l'adjoint de Corinne Diacre et lance : "T'as raison, cache-toi derrière une gonzesse !" Il se défendra en arguant que "Renaud n'est pas sexiste dans sa chanson Ma gonzesse".

Vers une première étoile ?

Corinne Diacre encaisse, se protège, travaille, et sa méthode paye. En 2016, Clermont Foot finit 7e de Ligue 2, elle est sacrée meilleure entraîneuse du championnat par le magazine France Football et termine son aventure auvergnate avec un bilan parlant : avec 119 matchs disputés, elle détient le record de longévité à la tête de Clermont Foot, et, avec 41 victoires et 51 points marqués en moyenne par saison, elle figure parmi les trois meilleurs techniciens de l'histoire du club, relève La Montagne. "Ce qu'elle a fait à Clermont, c’est extraordinaire, avec l'avant-dernier budget. (... ) Elle aurait mérité un banc en Ligue 1. J'en suis persuadé, les gens qui connaissent le foot aussi", affirme l'ancien attaquant clermontois Gaëtan Laborde sur Actufoot.

Corinne Diacre devant la presse à Paris, le 19 septembre 2017. (FRANCK FIFE / AFP)

Sa réussite a donc amené Corinne Diacre à prendre la tête de l'équipe de France féminine à la fin de l'été 2017, avec la Coupe du monde 2019 en ligne de mire. Une mission pour laquelle les joueuses lui donnent un blanc-seing : "Etre titulaire ou sur le banc dans ce groupe, c’est un honneur… A chaque fois, j’en profite à fond pour lui montrer qu’elle a bien fait de me faire jouer", décrit l'attaquante Viviane Asseyi à Sud-Ouest. "Elle apporte l'expérience qu’elle a pu avoir à Clermont avec les garçons, poursuit la défenseuse Eve Perisset. Elle nous apporte beaucoup."

L'année 2019 sera-t-elle celle du sacre ? Corinne Diacre sait que tous les regards sont tournés vers elle et qu'une première étoile consacrerait enfin le foot féminin : "C'est vrai que décrocher un titre, ça fait grandir plus vite."

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