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"Elle ferait une bonne déléguée du personnel" : Megan Rapinoe, la "grande gueule" du foot féminin

La star américaine de 33 ans, qui est l'une des meilleures joueuses du monde, maîtrise parfaitement le tacle glissé. Et pas seulement sur le terrain.

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
La joueuse de football américaine Megan Rapinoe, le 26 mai 2019 à Harrison (New Jersey, Etats-Unis). (VINCENT CARCHIETTA-USA TODAY SPO / SIPA)

A la table du petit déjeuner, ce matin de 2013, on est passé  à deux bouchées de pain d'un "croissant-gate". En déplacement avec l'Olympique lyonnais, Megan Rapinoe a été surprise les deux mains... dans la corbeille de viennoiseries. "Je suis allé la trouver pour lui dire que ce n'était pas possible qu'elle mange ça à quelques heures d'un match, raconte à franceinfo Patrice Lair, l'entraîneur de l'époque, le sourire dans la voix. Elle a tout reposé, mais j'avais l'impression qu'elle ne comprenait pas pourquoi ce n'était pas bien." Ce jour-là, le coach lyonnais a aussi compris qu'il allait avoir à gérer une joueuse pas tout à fait comme les autres.

Megan est dans la vie comme elle est sur le terrain. Libre, complètement libre.

Patrice Lair, son ancien coach à l'OL

à franceinfo

Patrice Lair, qui l'a dirigée pendant une année à Lyon, en 2013, a raison. Partout où elle passe, "Pinoe" ne laisse jamais indifférent. "C'est quelqu'un qui n'a pas la langue dans sa poche, sourit le technicien. Elle dit ce qu'elle pense. C'est très américain comme manière de faire, en tout cas pas trop français." En gros, pour filer une métaphore footballistique, la star américaine de 34 ans maîtrise parfaitement les frappes (elle a marqué deux buts en quart de finale contre la France vendredi 28 juin) mais aussi le tacle glissé, et pas seulement sur le terrain. Durant la Coupe du monde en France, ses critiques visant Donald Trump ont notamment provoqué une vive polémique avec le président américain, mardi 25 juin.

Elle a suivi le débat sur le mariage pour tous

Il faut dire que la milieu de terrain sait marquer à la culotte les sujets qui lui tiennent à cœur. Tout en haut de la pile, il y a la cause LGBT. Megan Rapinoe a elle-même fait son coming out. C'était en juillet 2012 dans les colonnes du magazine américain Out*"C'est mon boulot de dire que je suis homo, confie-t-elle. C'est ce que je suis. Donc, je suis homo, voilà, c'est officiel." Quelques lignes plus loin, elle ose dire tout haut ce que beaucoup dans le milieu pensent tout bas. 

Dans le sport féminin, si vous êtes homo, il est fort probable que votre équipe l'apprenne rapidement. C'est un univers très ouvert et l'homosexualité est largement acceptée. Ce n'est pas du tout le cas chez les hommes. C'est triste.

Megan Rapinoe

dans le magazine "Out"

Huit mois plus tard, l'Américaine profite de son contrat à Lyon pour en remettre une couche dans la presse française. "Le sport est l'un des derniers bastions de l'homophobie, lâche-t-elle aMondeEt c'est encore plus dur pour les sportifs gays. Le stéréotype qui consiste à opposer virilité et homosexualité masculine est encore vivace". Depuis son appartement du centre-ville de la cité des gones, elle regarde alors les Français s'écharper autour du mariage pour tous. La Californienne est favorable à la loi. "Je n'ai pas pu manifester car nous étions en déplacement à Epinal, dit-elle à l'époque. C'est un progrès très important."

Ses sorties font à chaque fois mouche. En 2018, elle est choisie pour faire la une du numéro spécial Body Issue que réalise ESPN* chaque année. Megan Rapinoe pose nue, aux côtés de sa compagne, la basketteuse professionnelle Sue Bird. Et là encore, tacle appuyé : "C’est génial de se dire que l'on va faire cette couverture vu la période que traversent les Etats-Unis, lâche-t-elle, ravie, à la chaîne de télé américaine. On est non seulement des sportives de haut niveau, mais en plus on sort ensemble. On est des dures à cuire."

Dans son entourage, on a tous gardé un exemplaire du magazine. "C'est cool qu'elle soit devenue une icône gay", savoure Carmelina Moscato, l'une de ses meilleures amies, jointe par franceinfo. "Beaucoup de gens s'identifient à elle, et c'est tant mieux. Elle se sert du sport et de sa notoriété pour agir. Je suis persuadée qu'elle a les épaules pour faire changer les mentalités, applaudit l'ancienne internationale canadienne, aujourd'hui consultante. En gros, elle assume ce qu'elle est." Megan Rapinoe a par exemple très longtemps eu le drapeau arc-en-ciel comme photo de profil Twitter. 

Un "f*** you" adressé à Donald Trump

Le 4 septembre 2016, Megan Rapinoe fait encore grincer quelques dents, en refusant cette fois de se lever pendant l'hymne américain, avant un match de son équipe à Chicago. Elle recommence onze jours plus tard, à l'occasion d'un match amical entre les Etats-Unis et la Thaïlande. Ce soir-là, la capitaine a mis un genou à terre quand les premières notes de The Star-Spangled Banner ont retenti dans le stade de Columbus (Ohio).  

La séquence fait le tour des médias américains. Crime de lèse-majesté, s'étouffe la Fédération américaine de football. "Nous attendons de tous ceux qui représentent notre pays qu'ils se lèvent et rendent hommage à notre drapeau pendant l'hymne national", rappelle à l'ordre l'US Soccer*. Sommée de s'expliquer, Megan Rapinoe confirme que c'est bien un "geste de soutien" à Colin Kaepernick, le quarterback des 49ers de San Francisco qui avait refusé un an plus tôt de se lever pendant l'hymne américain pour protester contre les violences policières et la discrimination subie par les Noirs aux Etats-Unis. "C'est ma façon de faire entendre ma voix, explique alors "Pinoe" à ESPN*. C'est le minimum que je puisse faire."

Nous devons regarder ce que notre drapeau et notre hymne représentent : est-ce que cet hymne et ce drapeau protègent vraiment tout le monde ?

Megan Rapinoe

à ESPN

Coupe du monde ou pas, Megan Rapinoe ne se montre pas plus coopérante sur les pelouses françaises. A nos confrères de Yahoo*, l'internationale expliquait, avant la compétition, qu'il y avait peu de chance qu'elle chante ou qu'elle mette la main sur le cœur. Elle a tenu parole : avant le premier match des Etats-Unis face à la Thaïlande (remporté... 13-0 par les Américaines), à Reims, elle est restée silencieuse tandis que ses coéquipières s'époumonaient. "C'est une sorte de petit 'f*** you'" adressé à Donald Trump pour "ce qu'il fait de mal à l'égard des personnes qui ne lui ressemblent pas tout à fait", explique-t-elle. II faut dire que la joueuse ne porte pas vraiment l'actuel président américain dans son cœur. C'est quelqu'un de "sexiste", de "misogyne" et de "raciste", enchaîne-t-elle dans cette interview réalisée mi-mai.

Le locataire de la Maison Blanche n'est pas le seul à avoir les oreilles qui sifflent. L'US Soccer en prend aussi pour son grade. Avant de venir en France défendre leur titre de championnes du monde, 28 joueuses internationales ont décidé d'assigner la fédération américaine en justice pour discrimination. Dans leur plainte*, à laquelle franceinfo a eu accès, elles font état d'une "disparité flagrante en matière de salaires" par rapport aux hommes, mais aussi dans les moyens alloués pour "la préparation", "les entraînements" et "les soins médicaux." Et qui est à la manœuvre ? Megan Rapinoe !

La footballeuse américaine Megan Rapinoe, le 22 janvier 2019, sur la pelouse d'Alicante (Espagne). (ACTION FOTO SPORT / NURPHOTO)

Chez les anciennes, on applaudit des deux mains l'initiative. "Megan, je la connais depuis son premier rassemblement avec l'équipe nationale. Aujourd'hui, elle est plus qu'une joueuse de foot, exulte Briana Scurry, qui gardait les cages lors du sacre américain en 1999. Elle se rend indispensable en jouant un rôle social". Carmelina Moscato ne rigole qu'à moitié quand elle dit que "Megan ferait une bonne déléguée du personnel !" "Je la connais depuis neuf ans, je sais qu'elle n'aime pas les injustices. Quand il y a un truc qui ne lui plaît pas, elle ne laisse pas traîner, point." Depuis son bureau de reporter à Chicago, John Halloran acquiesce. "C'est quelqu'un qui dit ce qu'elle pense, confie à franceinfo le journaliste américain. Je l'ai interviewée une bonne dizaine de fois depuis le milieu des années 2000. C'est une bonne cliente. Tu sais à quoi t'en tenir, elle n'a pas peur." 

S'il y a quelque chose qui ne va pas, vous pouvez être sûr qu'elle le dira !

John Halloran, journaliste

à franceinfo

C'est aussi quelqu'un qui a le cœur sur la main. Elle reverse 1% de son salaire à des œuvres caritatives via le projet Common Goal lancé par le footballeur espagnol Juan Mata en 2017. Et l'été dernier, elle a signé un chèque de 100 000 dollars (89 000 euros) pour aider les victimes du gigantesque incendie qui a dévasté des dizaines de milliers d’hectares de végétation, chez elle, dans le nord de la Californie. 

"Elle fait blague sur blague"

Au fil des saisons (et des coups de gueule), l'Américaine semble avoir pris conscience de son aura. "En vieillissant, je comprends à quel point une voix peut être puissante", concède-t-elle dans les colonnes du Guardian*. Aujourd'hui, 532 000 personnes la suivent sur Instagram, 434 000 sur Twitter et 323 000 sur Facebook. La joindre ? Plus compliqué que de parler à un ministre français. "Not easy" ("pas facile"), nous a répondu son staff. "Que voulez-vous, c'est une star !", rigole Carmelina Moscato. David Beckham aussi y est allé de son petit compliment : "C'est une incroyable joueuse et une formidable personne", a un jour déclaré la star anglaise.

C'est aussi que la joueuse a un certain sens du spectacle, et pas seulement parce que sa chevelure blonde platine a droit à son propre compte Twitter* ou que plusieurs chansons ont été écrites à son sujet. Le 2 juillet 2011, elle a surpris tout le monde en empoignant le micro placé au bord du terrain pour chanter Born in the USA de Bruce Springsteen, juste parce qu'elle venait d'inscrire son premier but en Coupe du monde. 

Côté musique, c'est toujours elle qui ambiance le vestiaire de la "team USA". Guitare en bandoulière, elle aime le rock de Florence and the Machine et la soul d'Adele. A Lyon, le New York Timesl'a aperçue un soir à l'opéra en train d'applaudir une troupe de République tchèque. Elle adore aussi Michael Jordan, les Chicago Bulls, le café, la bière et le vin. "C'est une bonne vivante quoi, assure son amie de longue date Carmelina Moscato. C'est la personne la plus drôle que je connaisse. Avec Megan, vous êtes certain de passer une bonne soirée. Elle fait blague sur blague." 

Sepp Blatter en sait quelque chose : le 2 juin 2015, après les révélations sur les soupçons de corruption à la Fifa, la footballeuse américaine s'est fendue d'un tweet humoristique qui vise celui qui est pour quelques heures encore le patron du foot mondial. "Ding dong, la sorcière est morte. Papa a été pris la main dans le sac", écrit-elle, l'air de rien.

"Un côté grande gueule"

"Rapinho" ou "Rapinodinho" (ses autres surnoms) a conscience qu'elle peut parfois prendre un peu de place. "Je sentais que ça mettait certaines de ses coéquipières un peu mal à l'aise par moments, lâche à franceinfo un proche de l'Olympique lyonnais. Onze comme elle, ce serait difficile." "Elle a un côté grande gueule, sourit le journaliste Antoine Osanna, qui suivait les filles de l'OL pour Le Progrès. Ce genre de profil, ça n'existe pas vraiment chez les hommes. En tout cas pas en France. C'était d'autant plus surprenant." 

Ingérable, l'Américaine ? Carmelina Moscato vient en soutien : "C'est un peu excessif, défend son amie de longue date. Ceux qui pensent qu'elle en fait trop devraient surtout se demander pourquoi les autres en font si peu".

C'est tout à son honneur de ne pas vouloir se contenter de marquer des buts, non ?

Carmelina Moscato

à franceinfo

C'est surtout qu'elle est aujourd'hui "quasiment intouchable", croit savoir le journaliste sportif John Halloran. Carmelina Moscato n'est d'accord qu'à moitié : "Megan sait ce qu'elle fait. Ce n'est jamais gratuit, il y a toujours un but derrière." C'est que derrière ce "grain de folie", il y a une tête bien faite. "C'est comme ça qu'on a été élevés", explique au New York Timescelle qui a grandi à Redding, une petite ville conservatrice du nord de la Californie. Autour d'elle, cinq frères et sœurs (dont une jumelle, Rachael), des chats, des chiens et des poules. 

Ses prises de paroles, toujours incisives, ont certainement à voir avec les études de sociologie et de sciences politiques qu'elle a suivies plus jeune à l'université de Portland, dans l'Oregon. Ça tombe bien, Briana Scurry ne serait pas surprise qu'elle prenne un jour des responsabilités politiques. En vérité, elle a déjà commencé à le faire : le 12 avril 2016, la milieu de terrain s'est retrouvée à la même table qu'Hillary Clinton, alors candidate démocrate à la présidence des Etats-Unis, pour discuter égalité des chances et salaires. 

La candidate démocrate Hillary Clinton aux côtés de la footballeuse américaine Megan Rapinoe, le 12 avril 2016, à New York (Etats-Unis). (BRENDAN MCDERMID / REUTERS)

On a posé la même question à tous nos interlocuteurs. Patrice Lair, qui était son entraîneur à Lyon, a souri. "Au-delà du coach que j'étais pour elle à l'époque, elle m'a ouvert l'esprit sur pas mal de questions sociétales, notamment sur les relations entre les hommes et les femmes. Ça restera gravé en moi."

* Les liens signalés par un astérisque renvoient sur des articles ou des contenus en anglais.

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