Coupe du monde de foot : primes, hôtels, staff... L'herbe est moins verte chez les femmes
Où l'on constate qu'il y a un monde d'écart entre Kylian Mbappé et Gaëtane Thiney. Et un autre monde d'écart entre Gaëtane Thiney et les joueuses du Chili.
Le grand raout du foot féminin se tient dans l'Hexagone du 7 juin au 7 juillet, avec 24 équipes réparties dans des stades de Valenciennes à Nice, en passant par Rennes et Grenoble. Sur le papier, c'est bien la Coupe du monde féminine. Mais dans les faits, peut-on vraiment comparer cette compétition au budget trente fois inférieur au Mondial masculin organisé en Russie et remporté par la bande à Deschamps (35 millions d'euros de budget pour les femmes contre 9,2 milliards pour les hommes) ? Peut-on parler de Mondial au rabais alors que même la mascotte, Ettie, est un succédané féminisé du légendaire Footix ?
Le Mondial, c'était (pas) mieux avant
Les souvenirs de la Coupe du monde féminine 2015 ne plaident pas forcément en faveur de la Fifa. Le téléspectateur n'avait pas pu louper les terrains synthétiques, les stades rikiki et les tribunes clairsemées. Les joueuses avaient eu la surprise de partager le même hôtel entre équipes rivales. C'était supportable jusqu'au moment où l'entraîneuse américaine a failli interrompre la causerie tactique du staff allemand en se trompant de salle de déjeuner. Ce n'est pas grand chose à côté de l'expérience épouvantable de la Colombienne Melissa Ortiz, qui s'était rompu le tendon d'Achille à l'entraînement, et à qui la fédération colombienne avait présenté la facture, faute d'avoir assuré les joueuses.
De regrettables couacs, s'était défendue la Fifa qui avait promis de rectifier le tir pour l'édition tricolore. Dans les faits, l'instance a fourni des hôtels trois ou quatre étoiles pour les joueuses, contribué aux billets d'avion pour les pays les plus éloignés, choisi des terrains faits de bonne herbe pour les matchs et des stades moyens, mais pas minuscules, pour résoudre la difficile équation entre une forte demande pour les matchs des Bleues et un Suède-Thaïlande moins propice à déplacer les foules. "Des changements cosmétiques", fustige Tatjana Haenni, ancienne directrice du foot féminin à la Fifa.
Prenez le logement : contrairement aux joueurs, les équipes ne se voient toujours pas proposer de camp de base, avec un hôtel qui leur serait entièrement réservé.
Tatjana Haennià franceinfo
Si Didier Deschamps avait pu faire son marché parmi les 32 camps de base proposés par la Fifa, les délégations nationales féminines n'ont, elles, pas eu voix au chapitre : "Le comité d'organisation nous a imposés nos hôtels", explique-t-on à la Fédération sud-coréenne, qui prendra ses quartiers dans les très chics hôtels Crowne Plaza de Neuilly-sur-Seine (quatre étoiles), le Mercure de Grenoble Meylan (trois étoiles) et le Best Western Hôtel de la Paix de Reims (quatre étoiles). "Toutes les équipes sont logées à la même enseigne", constate un responsable coréen. La preuve, les joueuses de Corinne Diacre ont dû quitter Clairefontaine pour ne pas bénéficier d'un avantage par rapport à leurs adversaires. Et même avant la compétition, pour faire de la place aux Bleus de Deschamps, ce qui a créé un début de polémique.
Des primes déprimantes
Côté portefeuille, le compte n'y est pas non plus. Le prize money, le total des primes mises en jeu, atteint péniblement les 27 millions d'euros, contre près de 400 millions il y a un an pour les hommes en Russie. Ironie du sort, la Fifa s'était gargarisée d'avoir doublé le prize money des filles alors que celui des garçons n'avait crû que de 9%. En valeur relative, ça sonne bien. En valeur absolue, ça donnait 15 millions d'euros en plus pour les femmes contre 40 millions chez les hommes. Caramba, encore raté.
"Nous sommes catastrophés que le fossé se soit encore creusé un peu plus, soupire Alex Duff, représentant de la Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels (Fifpro). La Fifa devrait rectifier le tir au plus vite."
Le football se traîne loin derrière d'autres sports bien plus avancés sur ces questions d'égalité.
Alex Duffà franceinfo
Fatalement, quand Kylian Mbappé, Antoine Griezmann et consorts se sont partagés environ 11 millions d'euros de primes après leur succès face à la Croatie, Gaëtane Thiney, Amandine Henry et les ouailles de Corinne Diacre se contenteront de dix fois moins. Divisée en 23 parts, la somme reste replète, mais à des années-lumière de ce qui a cours chez les garçons. Vous êtes choqué ? Ce n'est que le début.
"Les Socceroos [l'équipe masculine australienne] ont reçu un peu plus de 2 millions d'euros pour se qualifier pour le Mondial 2018. Les Matildas [l'équipe féminine] n'en toucheront que la moitié si elles remportent la compétition", soupire Kathryn Gill, présidente de l'association des joueuses australiennes.
La lutte de la business class
En Nouvelle-Zélande, les négociations avec les dirigeants ont inclu d'assurer aux joueuses d'avoir les meilleures places dans les avions. Pas un petit sujet quand on évolue aux antipodes et que le moindre déplacement nécessite une dizaine d'heures mal assis, les genoux dans le siège de son voisin de devant. "Quand je sortais de l'avion, j'étais un zombie. Mes muscles étaient tout rigides d'avoir été contractés si longtemps, raconte la joueuse Sarah Gregorius, tête de pont de la lutte des business class. Il me fallait trois à quatre jours pour pouvoir m'entraîner correctement."
Un luxe dont ne disposent pas nombre d'équipes figurant dans le tournoi. L'Italie, la Norvège ou l'Angleterre s'entassent en classe éco. Le sélectionneur anglais Phil Neville a tenté d'obtenir une montée en gamme. En vain. Pour la meilleure équipe au classement Fifa, les Etats-Unis, cela passe par une action en justice. La plainte a été déposée le 8 mars dernier, jour symbolique s'il en est. A ce jour, la Fédération américaine de football a surtout cherché à noyer le poisson.
Il n'y a guère qu'en matière de staff que les filles font (à peu près) match nul avec les garçons. En plus des 23 joueuses, la Suède embarque 27 personnes dans le staff, "le même total que pour le Mondial masculin de l'année dernière". Idem en Corée, où figureront dans les bagages en soute une bonne dose de kimchi, le chou fermenté cher aux natifs du pays du matin calme, avec un chef dans l'avion pour les cuisiner : "Comme l'an dernier en Russie." Même les Pays-Bas, qui refusent d'entrer dans le jeu des comparaisons entre les hommes et les femmes mettent en avant leur côté bon élève : "Comparez plutôt avec la précédente compétition à laquelle nous avons pris part, souligne la KNVB. Nous emmenons deux personnes de plus qu'à l'Euro 2017." Notez que la Fifa paye au mieux 35 billets d'avions par équipe, pas plus, le reste demeurant à charge des Fédérations. C'était 50 billets pour ces messieurs l'an dernier...
Les Fédérations traînent les pieds
Si vous pensez que les équipes nationales féminines qui participent au Mondial en France font toutes la fierté de leurs fédérations qui les chouchoutent, détrompez-vous. Dans un pays comme l'Espagne, il a fallu que les joueuses se rebellent en 2015 contre leur sélectionneur pépère accroché à son poste depuis 15 ans sans obligation de résultat pour que s'installe une culture du résultat. "C'est à partir de ce moment-là qu'on a pu construire, souligne Fe Robles, dirigeante de l'Association des footballeurs espagnols. Les filles ont obtenu un sponsor l'année suivante qui accompagne la professionnalisation du football en Espagne." Une progression que traduit la présence du Barça en finale de la dernière Ligue des champions féminine. Comme par hasard, la fédération s'est réveillée et "a initié un chemin vers l'égalité avec les hommes".
Pour un cas plus extrême, prenez le Chili, qui a hérité d'un groupe con carne (et bien relevé) avec les Etats-Unis. Après une campagne de qualifications ratée pour le Mondial 2015, la Fédération a tout simplement arrêté d'organiser des matchs pour l'équipe nationale pendant deux ans. Une pratique loin d'être isolée... même en Europe, où les joueuses chypriotes ont fini par claquer la porte de la Fédération. "Il faut dire que cette dernière ne se donnait même pas la peine de l'inscrire aux qualifications pour les tournois, en arguant que l'équipe n'était pas assez bonne", souligne Alex Duff de la Fifpro.
Le mot de la fin pour notre ex-directrice des compétitions féminines à la Fifa, Tatjana Haenni : "A chaque fois, on me dit que c'est un bon début. Après 20 ou 30 ans à rabâcher la même chose, on aurait pu se dire que le fossé s'était comblé. Mais non, le football a considérablement évolué, et le foot féminin est toujours à la traîne. Et ni l'UEFA, ni la Fifa ne prennent les choses en main en conditionnant le versement de subventions à des progrès pour les équipes nationales. Ça me rend malade."
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