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Coupe de France : Francis Lalanne, aujourd'hui barde de Chambly, hier patron du "Real Madrid de Picardie"

Le chanteur en cuissardes a dirigé pendant neuf ans le petit club de Fresnoy-le-Grand, en Picardie. Un succès sportif, un désastre économique.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Francis Lalanne, alors président du club de foot de Fresnoy-le-Grand (Aisne), le 29 septembre 2012 lors d'un match de Coupe de France face à Roye-Noyon. (HASLIN / MAXPPP)

"Un terrain, des crampons, des copains pour taper dans un ballon, tout Chambly fait corps avec ses joueurs..." Ainsi commence l'ode de Francis Lalanne au club de National qui dispute, mardi 17 avril, une improbable demi-finale de Coupe de France contre un autre pensionnaire de troisième division, Les Herbiers. Le chanteur aux cuissardes ne s'est pas pris de passion pour l'équipe picarde totalement par hasard. Quelques années plus tôt, il a même mené l'AS Fresnoy-le-Grand (Aisne) aux sommets. Retour sur l'épopée picarde de Francis Lalanne, qui ne s'est pas tout à fait terminée comme dans son tube, La Maison du bonheur.

Francis débarque à Fresnoy

L'histoire commence lors de la Coupe du monde 2002 en Corée du Sud. Soucieux d'assurer à l'équipe de France, championne du monde en titre, un soutien conséquent en tribunes, Francis Lalanne paye de sa poche le déplacement de dizaines de supporters des clubs emblématiques de l'Hexagone. Parmi eux, David Michel, amoureux de l'OM et président du club de Fresnoy-le-Grand, à quelques encablures de Saint-Quentin, sous-préfecture de l'Aisne. Les deux hommes sympathisent, au point que Michel convainc Lalanne d'aller traîner ses cuissardes dans son bled de 3 000 habitants.

Un beau jour de juillet 2004, le chanteur débarque façon rock star dans le modeste club picard, pensionnaire de la onzième division nationale. L'attaquant Khalid Jaafar s'en souvient comme si c'était hier : "On se serait cru à la télé".

Sa première phrase, c'était : 'je vais faire de Fresnoy le Real Madrid de Picardie'

Cyril Bonnard, défenseur de l'ASF

à franceinfo

"Les bottes, la tignasse, le chapeau, les lunettes de soleil, la totale, décrit Stéphane Clary, qui avait signé au club quelques semaines plus tôt. Mais il n'a jamais joué à la star avec nous, il a tout de suite cherché à nous mettre à l'aise." Le premier week-end, 300 spectateurs se massent pour un match contre Tupigny. Plus pour la vedette en tribune que pour les joueurs sur le rectangle vert. Francis Lalanne en est parfaitement conscient. "Il nous disait 'au début, ils viennent pour moi, mais ensuite, ils viendront pour vous'".

Signes extérieurs de richesse

Après une année de rodage, le succès est effectivement au rendez-vous et le "rouleau compresseur" de l'Aisne suscite pas mal de jalousies. "On se faisait recevoir, ça s'est sûr, sourit le défenseur Benoît Dollé. Les joueurs et les supporters des autres clubs croyaient qu'on était payés des fortunes. Moi, je touchais 150 euros par mois pour rembourser mes frais d'essence. Ce n'est pas précisément le PSG". Le camion Nike qui a livré des équipements flambant neuf aux Fresnoysiens, les mauvaises langues ne l'ont pas inventé. Mais Francis Lalanne n'a pas mis un sou de sa poche. Un simple coup de fil à son ami Robert Pirès, et le tour était joué.

Francis Lalanne, président du club de Fresnoy-le-Grand (Aisne), lors d'un match de Coupe de France contre Avion (Pas-de-Calais), le 22 novembre 2008. (LENMSG / MAXPPP)

N'empêche, ça jase de l'autre côté de la main courante des stades municipaux. "Il était arrivé au club depuis un an quand il a voulu que nos maillots portent nos noms au-dessus du numéro, raconte Stéphane Clary, milieu de terrain historique de l'ASF. En promotion de district, c'était totalement exceptionnel. Au début, on ne voulait pas, mais on a fini par s'y faire. On nous prenait pour des pros, et ça nous faisait bien rire." Cyril Bonnard se souvient d'avoir tenté de dissuader le président, qui a balayé ses arguments d'un "la star du club, c'est moi, donc c'est moi qui me ferai chambrer." "Heureusement, on a réussi à lui ôter de l'idée de nous faire arriver au match en costard-cravate..."

D'autres signes extérieurs de richesse ? Les stages dégotés par le président au Maroc ou dans les installations de clubs pros, au Havre ou à Sedan. Des parrains improbables comme le rappeur Stomy Bugsy ou la chanteuse Nâdiya – qui est repartie du stade avec un maillot floqué à son nom. Plus vintage, le chanteur Phil Barney s'est illustré dans le vestiaire en entonnant à pleins poumons son impérissable tube Un enfant de toi en pleine causerie du coach. Outre les chanteurs plus ou moins à la mode, d'anciens grands noms du ballon rond se pressent à Fresnoy, comme Amara Simba ou Bruno Bellone.

Francis Lalanne voit grand pour son club. Quand l'un de ses poulains est blessé, il s'assure qu'il est soigné chez les meilleurs médecins, comme le docteur Chalabi, qui officie alors au PSG. Thierry Dobrzynski, milieu de terrain, se souvient que son président lui a glissé dans la poche deux billets d'avion alors qu'il souffrait légèrement à l'aine : "il m'a envoyé voir un rebouteux en Corse, un magnétiseur, et croyez-le ou pas, après deux jours sur place, je n'éprouvais plus aucune douleur !" Sans oublier cette tribune, majestueuse, bâtie à la hâte pour faire face à l'affluence. Et le petit geste du conseil municipal, qui baptise le stade au nom de Francis Lalanne, quelques mois après son arrivée. Une fois les lettres apposées sur le mur en briques du club-house, le chanteur a grimpé sur une table et a longuement posé ses mains sur l'enceinte, en fermant les yeux. 

"Mon père ne m'avait jamais parlé sur ce ton"

A partir de l'été 2005, Fresnoy grimpe chaque année d'une division, sans jamais reprendre son souffle. La date coïncide avec l'arrivée de l'entraîneur Raymond Robbe au club, recruté devant une bière par Lalanne dans une pizzeria, un drôle d'endroit pour un entretien d'embauche. En 2006, il aura ce mot : "Je n'échangerai pas mon Raymond pour Raymond Domenech." Raymond Robbe, qui a encore un maillot de Fresnoy encadré dans son bureau, raconte : "Il m'a emmené au match des dix ans de France 98, au Stade de France. Il m'a présenté aux Barthez, Lizarazu, en leur affirmant que j'étais le meilleur entraîneur du monde. Vous vous en doutez, j'étais un peu gêné."

Francis Lalanne fête une victoire contre Roye-Noyon en Coupe de France avec les joueurs de son club de Fresnoy-le-Grand, le 29 septembre 2012. (MAXPPP)

La collaboration entre les deux hommes connaît quelques orages, comme un soir de défaite rageante en Coupe de France, à Escaudœuvres : "Je m'attendais à ce qu'il félicite les gars pour le parcours accompli, mais il y avait une équipe de télé présente dans le vestiaire. Et là, il a pratiquement insulté les joueurs. Je l'ai pris à part pour lui dire que même mon père ne m'avait jamais parlé sur ce ton. A partir de là, il nous a laissés bosser." Lalanne apprend à canaliser sa passion, même s'il demeure un fin connaisseur du ballon rond. Paul Fesin, entraîneur des jeunes à Fresnoy au début de l'ère Lalanne, se souvient de la semaine précédant un match crucial pour les U17 à Tupigny : "Il m'avait encouragé à superviser l'adversaire plusieurs fois les semaines précédentes, puis il m'a appelé six ou sept fois dans les jours précédant le match pour causer tactique, comment joue l'arrière gauche adverse, quel joueur aligner pour le contrarier, etc... Et on a gagné !"

Mon président est un auto-stoppeur

Si Francis Lalanne délègue beaucoup, agenda surchargé oblige, il est hors de question pour lui de rater un match. Le poète bayonnais habite pourtant au fin fond des Yvelines, à 170 km de là, et n'a pas l'intention de passer le permis.

Je le revois encore arriver sur le porte-bagage de motards qui l'avaient pris en stop

Benoît Dollé

à franceinfo

"Après les matchs, le soir, on se relayait pour le ramener chez lui", poursuit le défenseur. Paul Fesin, devenu directeur sportif, se rappelle avoir été dérangé un dimanche soir à 21h30 par un Francis Lalanne qui avait besoin de la Coupe de l'Aisne pour une émission télé, le lendemain aux aurores. "Qu'est-ce que vous voulez que je dise ? J'ai pris ma voiture et je lui ai amené le trophée." Plus de trois heures, aller-retour. Quand on aime, on ne compte pas.

Francis Lalanne, président du club de Fresnoy-le-Grand, lors d'un match entre son équipe et les détenus de la prison de Loos (Nord), le 14 août 2008. (MAXPPP)

Francis Lalanne rend au centuple ce qu'il demande à ses joueurs, qui ont tous des trémolos dans la voix en évoquant leurs souvenirs. "Il a fait le déplacement, un soir de semaine, pour venir à mon anniversaire dans un resto de Saint-Quentin", raconte Khalid Jaafar. "Il a donné le biberon à mon fils, qui n'avait pas une semaine", sourit Stéphane Clary. Même Raymond Lavallery, le maire de l'époque, a souvenir d'un Francis Lalanne arrivé des heures avant le match de Fresnoy (les joies du stop), qui s'est pointé spontanément au repas des anciens pour pousser la chansonnette devant les papys ravis. Chaque semaine, le président Lalanne invitait deux ou trois supporters, tirés au sort, à venir écouter la causerie dans les vestiaires. Souvent assurée par le coach, mais parfois le chanteur aussi s'y collait. "Il a un pouvoir à la Yannick Noah, qui pousse les gens à se transcender", assure William Landa, qui lui a un temps succédé à la tête du club.

Le coup de pied de Lalanne

Trois Coupes de l'Aisne, une Coupe de Picardie et sept montées plus tard, l'édifice fresnoysien commence à se fissurer. "On sentait bien que ça ne pouvait pas durer, le club n'était pas structuré pour grandir si vite", soupire l'ancien maire. La municipalité ne roule pas sur l'or et ne peut offrir au club qu'une modeste subvention (7 000 euros, quand les voisins de l'Olympique Saint-Quentin ont droit à une somme à six chiffres...). Lalanne, qui parle plus volontiers aux arbres qu'aux comptables, a confié les cordons de la bourse à un "ami de trente ans". Ce proche, aveuglément soutenu par le chanteur, précipitera la chute financière du club et finira au tribunal quelques années plus tard. "A la fin, on jouait sans être payés, se souvient Raymond Robbe, qui faisait même les courses pour certains de ses joueurs sans le sou. Les mecs ont voulu faire grève alors qu'on était en course pour une nouvelle montée, en CFA2 cette fois. Je leur ai dit 'Moi, je vais au bout, payé ou pas'. Leur grève, elle a duré vingt minutes."

La dette se creuse, et un redressement de l'Urssaf au moment où le club sortait la tête de l'eau n'a rien arrangé. "Des gens ont voulu que le club périclite", soupire William Landa, éphémère président du club, écœuré par la gestion apocalyptique de certains dirigeants. Les meilleurs joueurs quittent le club, et même Raymond Robbe passe à l'ennemi, l'Olympique de Saint-Quentin, qui retrouve des couleurs au moment où Fresnoy baisse pavillon. Lalanne s'efface peu à peu du club, avant que la nouvelle municipalité, victorieuse des élections municipales en 2014, ne finisse le travail en débaptisant le stade. L'enceinte n'a aujourd'hui plus de nom. La tribune de 500 places demeure désespérément vide pour voir jouer les footballeurs du dimanche. L'ASF n'existe plus. Et si vous avez le malheur de prononcer le nom de Francis Lalanne à la mairie, on vous éconduira poliment. Comme si cette aventure n'avait jamais existé.

Pourtant, les anciens joueurs ont gardé le contact et caressent l'espoir d'inviter "Francis" à un match de gala. "Et pour l'occasion, sourit Thierry Dobrzynski, histoire qu'il joue avec nous, on lui trouvera des bottes à crampons."

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