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De la résistance au nazisme à Black Lives Matter : comment le Bayern s'est construit autour de l'anti-racisme

Cette semaine, le Bayern Munich a licencié un entraîneur de sa section jeune après des accusations de racisme. L'affaire embarrasse car le club se veut très proactif sur le plan des discriminations raciales depuis quelques années. Une posture qui prend sa source dans l'histoire du Bayern, et notamment dans sa résistance à l'oppression nazie pendant les années 30.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Les dirigeants du Bayern doivent faire face à une embarrassante affaire de racisme (MARKUS ULMER / AUGENKLICK/MARKUS ULMER)

Alors que se profile une apothéose contemporaine pour le Bayern Munich avec la finale de la Ligue des Champions ce dimanche, l’histoire du club s’est soudainement – et inopportunément - rappelée à ses dirigeants cette semaine. Un entraîneur des sections jeunes a été accusé de racisme. L'affaire embarrasse car le Bayern s’attache à se montrer irréprochable sur le plan des discriminations raciales depuis quelques années. L’histoire du club est intimement liée à la manière dont le peuple allemand a traité l’étranger ou ce qu’il considérait comme « autre ». Depuis sa création en 1900, jusqu’au début des années 2020 donc, d’Hitler à Black Lives Matter, les Bavarois ont été tour à tour victimes, résistants magnifiques puis héritiers presque honteux d’un passé mouvementé. 

Les Pères fondateurs du Bayern étaient juifs

Le premier grand nom du Bayern, avant les Franz Beckenbauer ou Karl Heinz-Rummenigge, fut Kurt Landauer. Il est à la tête du club dès 1911. Riche homme d’affaires, il entretient alors la tradition des coachs juifs. Le plus fameux d’entre eux, l’austro-hongrois Richard Little Dombi, finit même sa carrière à Barcelone et Feyenoord. Les deux hommes ont porté le club jusqu’au sommet d’un football allemand naissant, en 1932, avec le premier titre de champion d’Allemagne du Bayern.

La consécration fut cependant de courte durée pour Landauer : l’arrivée au pouvoir des nazis, une année plus tard, allait plonger le club dans sa plus sombre période. Landauer se voit contraint par le pouvoir de démissionner, tout comme l’ensemble du staff et des membres juifs. Landauer sera arrêté en 1938 par la Gestapo et envoyé au camp de concentration de Dachau. 

Oppression d’Hitler, résistance des joueurs

A l’époque, le Bayern est surnommé le « Club des Juifs ». Hitler commence alors sa politique sportive agressive, très conscient du pouvoir du sport sur le peuple. Comme pour les J0 de 1936, l’objectif est pour lui d’injecter ses idées de supériorité de la race aryenne dans l’opinion publique allemande. Si le Bayern doit représenter le football allemand, il est hors de question que ce soit sous le joug de Juifs.

Le putsch d’Hitler à la tête du club réussit. Les dirigeants juifs tombant comme des mouches. Le Bayern devient officieusement nazi. Mais les joueurs du club ne restent pas passifs, loin de là. En 1934, certains participent à une rixe contre les « chemises brunes ». Deux ans plus tard, l’ailier bavarois Willy Simmetsreiter se prend en photo avec Jesse Owens, afro-américain et objet de haine pour Hitler après ses succès retentissants aux JO de Berlin. L’attaquant Sigmund Haringer a frôlé la prison pour avoir critiqué le drapeau nazi, et Conny Heidkamp, le capitaine de l’équipe, a trouvé le moyen de cacher l’argenterie du Bayern au moment où le gouvernement appelait tous les clubs de foot du pays à donner leur métal pour l’effort de guerre. 

Le plus éclatant acte de rébellion a lieu en 1943. Lors d’un match amical contre l’équipe nationale de Suisse, les joueurs bavarois se sont mis en rang devant les tribunes suisses, et ont salué leur ancien président, Kurt Landauer, réchappé de Dachau et exilé en Suisse. Il se trouvait alors dans les tribunes. Un geste symbolique répondant à l’exil forcé tout aussi symbolique de Landauer, à l’arrivée au pouvoir d’Hitler dix ans plus tôt. 

Le Club des Juifs devait tomber dans l’oubli 

Comme toute l’Allemagne, le Bayern Munich a mis du temps à digérer cette période. Dans une nation honteuse et ciblée de tous les côtés pour ses agissements pendant la guerre, il ne faisait pas bon clamer un statut de victime, voire de résistant. L’heure est à l’oubli. Kurt Landauer retrouve son poste en toute discrétion, jusqu’à 1951. Dans les documents, le club évoque son absence de dix ans en ces termes : il a dû quitter l’Allemagne pour des "raisons politiques et raciales". Aucune mention de sa judéité et du rejet dont il a été victime, pas plus que de son séjour à Dachau. Même après la prise de conscience du pays sur les responsabilités et les faits historiques de la période, le Bayern a mis du temps à s’exprimer ouvertement sur la question. A un journaliste qui lui demandait son avis sur Landauer, Uli Hoeness rétorquait brutalement qu’il n’était "pas né à l’époque". Le vice-président du club Fritz Scherer a peu après admis que le club ne souhaitait pas s’attarder sur ses racines juives par peur de "réactions négatives". 

Quand la parole se libère

Ce n’est que dernièrement que le Bayern Munich a pleinement embrassé son passé. En 2010, le club a contribué à la construction du terrain Landauer, du nom de son ancien dirigeant, pour le club juif du TSV Maccabi. Pour célébrer les 125 ans de sa naissance, en 2019, les supporters ont cotisé pour financer une statue à l’effigie de Kurt Landauer. Karl-Heinz Rummenigge a reconnu qu’il était "le père du Bayern Munich moderne". 

Dans le même temps, la politique du Bayern sur l’anti-racisme s’est considérablement renforcée ces derniers mois. Ainsi, en mars dernier, soit plusieurs mois avant que n’éclate le scandale George Floyd et les manifestations mondiales "Black Lives Matter", le club lançait une campagne anti-raciste d’ampleur, faite de vidéos, de matches de charité, d'interventions à répétition dans les médias de la part des stars de l'équipe. Baptisée "Rot gegen Racismus", les Rouges contre le racisme, elle survenait quelques semaines après une série d'incidents racistes dans les stades allemands. 

Le Bayern est par ailleurs le premier club allemand à se positionner contre les violences policières faites aux noirs-américains, dans le sillage des manifestations "Black Lives Matter". "Carton rouge au racisme", proclamaient les poitrines des stars de l'équipe lors du premier week-end de reprise post-confinement en mai dernier. "C'est un message très clair du club", a expliqué l'entraîneur Hansi Flick, "il est extrêmement important dans la situation actuelle d'attirer l'attention là-dessus. De nos jours, on ne devrait plus avoir à en parler, mais ce n'est malheureusement pas le cas, parce qu'il y a encore beaucoup d'idiots qui réagissent autrement". Les joueurs eux-mêmes prennent l'initiative de s'engager, à l'image de Jérôme Boateng, devenu en quelques sorties une sorte d'emblème de l'anti-racisme dans le foot allemand. 

Le scandale de l'entraîneur limogé pour accusations de racisme enraye donc une mécanique bien lancée depuis plusieurs mois. L'ombre de son histoire resurgit au plus inattendu des moments. Cela "ne correspond absolument pas avec les valeurs que le club défend", a fulminé la semaine dernière Karl-Heinz Rummenigge après l'ouverture d'un enquête de la police munichoise. L'homme a été entraîneur des jeunes depuis 2003, soit 17 ans au contact des enfants. Il était depuis 2016 directeur sportif des équipes allant des catégories U9 à U15, des enfants et des adolescents, écrit l'hebdomadaire Der Spiegel, selon qui il a tenu des propos discriminatoires à leur encontre en matière d'homosexualité, "de couleur de peau, de nationalité, de religion". 

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