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"Faire du sport n'empêche pas d'apprendre à lire" : l'EPS, cette éternelle cinquième roue du carrosse scolaire

Article rédigé par franceinfo: sport - Pauline Guillou
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Des élèves de CE2 en plein cours d'EPS dans la cour de leur école à Bruyères-le-Chatel, le 19 janvier 2021. (MYRIAM TIRLER / HANS LUCAS via AFP)

En tentant d'attribuer le succès des sports collectifs aux JO aux cours d'EPS, Jean-Michel Blanquer a provoqué ces dernières semaines l'ire de plusieurs acteurs du sport.

Des cours de gymnastique aux podiums olympiques, n'y aurait-il qu'un pas ? "Vive l'EPS !", a écrit le 7 août le ministre de l'Education nationale, de la Jeunesse et des Sports dans un tweet félicitant les équipes de sports collectifs (basket, hand et volley), tout juste médaillées aux Jeux olympiques de Tokyo il y a quelques semaines. Jean-Michel Blanquer ajoutait alors, dans cet étonnant autosatisfecit : "Le succès de nos équipes de France illustre la qualité de l'enseignement de ces sports à l'école." Convaincu que les athlètes rentrés du Japon avec une médaille autour du cou devaient une part de leur succès à leur éducation sportive dans le cadre scolaire, le ministre s'est depuis attiré un bon nombre de railleries sur les réseaux sociaux.

Pour les nageurs, basketteurs, athlètes ou anciens rugbymens, le constat est sans appel : leur succès est loin, très loin, d'être dû à une matière qui a toujours peiné à s'imposer dans l'enseignement. Loin de former des grands sportifs, comme le sous-entend Jean-Michel Blanquer, l'EPS a plutôt tendance à rappeler l'odeur des vieilles chasubles d'entraînement, la vétusté des raquettes usées par des années de matchs un peu gauches, ou les acrobaties plus ou moins maîtrisées des cours d'acrogym. Bien qu'intégrée aux programmes scolaires depuis 1981, l'EPS n'a pas su sortir de l'image de bouche trou qui lui est parfois accordée entre les cours de français et de mathématiques.

Evan Fournier, basketteur de l'équipe de France, a répondu à Jean-Michel Blanquer. D'abord sur Twitter, puis dans une tribune publiée sur le Huffington Post dans laquelle il interpelle le ministre : "Féliciter nos athlètes tous les quatre ans n'est plus suffisant, aidons-les plutôt à se révéler dès le plus jeune âge." "Notre culture sportive à l'école est désastreuse", juge le médaillé d'argent des Jeux de Tokyo, qui peut comparer le modèle français et le modèle américain – mondialement reconnu –, lui qui évolue outre-Atlantique, en NBA, depuis près de dix ans.

"Quarante minutes dans l'eau"

"Aucun de mes coéquipiers ne peut aujourd'hui remercier l'Education nationale pour lui avoir permis de jouer au basket. Comme le volley ou le handball, si ces sports collectifs sont parfois pratiqués, ce n'est non pas pour inciter les jeunes à faire du sport, mais par simple commodité", assène le nouveau joueur des New York Knicks, qui poursuit un peu plus loin sur le site du HuffPost : "Tout le monde ne pratique pas le basket, le handball ou le volley à l'école. Et ce ne sont pas les deux minuscules heures d'EPS par semaine dans mon emploi du temps de collégien qui m'ont insufflé l'envie de jouer au basket, pour devenir le sportif que je suis aujourd'hui."

Si la France se situe dans la moyenne haute européenne en temps accordé au sport dans l'emploi du temps des élèves, cette plage horaire est à mettre en perspective : 13% de l'emploi du temps en primaire, soit trois heures, quasiment 12% dans le secondaire, soit entre deux et quatre heures de la 6e à la terminale. Ces données, publiées par l'OCDE en 2018, placent même la France devant l'Allemagne en terme de temps accordé à la pratique sportive. Mais dans les faits, ces horaires dépendent plutôt des équipements mis à disposition des enseignants.

Le basketteur français Evan Fournier lors de sa conférence de presse de présentation avec les New York Knicks, le 17 août 2021. (DUSTIN SATLOFF / GETTY IMAGES via AFP)

Claire Pontais, ancienne professeure de sport et responsable des questions d'EPS en primaire au sein du syndicat Snep-FSU, évoque auprès de franceinfo: sport un désengagement de l'Etat depuis de nombreuses années et énumère "un manque de formation, de moyens, et surtout d'infrastructures". "On subit un manque de reconnaissance, avec une survalorisation de tout ce qui est intellectuel", détaille-t-elle. "Faire du sport n'empêche pas de bien apprendre à lire !"

"Le sport passe toujours après les autres matières, mais il est tout aussi important que les maths ou la physique."

Claire Pontais, chargée des questions d'EPS en primaire pour le Snep-FSU

à franceinfo: sport

"On a trois heures de sport, mais, en réalité, c'est beaucoup moins", explique de son côté Isabelle Debusschère, enseignante dans une école primaire bordelaise. "Quand il faut faire un cycle de natation, il faut compter le transport et le temps dans les vestiaires. Au total, les élèves passent quarante minutes dans l'eau", détaille-t-elle à franceinfo: sport. Pour de nombreuses écoles – en ville principalement – la pratique de l'EPS se résume bien souvent à une grande perte de temps et d'énergie à cause de l'éloignement des stades, des gymnases ou des piscines, et du peu de latitude pour choisir les sports pratiqués pendant ces cours.

L'école des champions ?

Vincent Poirier, coéquipier d'Evan Fournier en équipe de France et lui aussi vice-champion olympique à Tokyo, abonde pour dire que le sport à l'école ressemble à la cinquième roue du carrosse scolaire. Il garde un goût amer de ses heures d'EPS. "C'était simplement un moment où je n'avais pas maths", témoigne-t-il auprès de franceinfo: sport. "Je me rappelle encore de ces 3x500 m sous la pluie... Quel en était l'intérêt ?" Vincent Poirier déplore aussi des programmes limités. "Faire de la gymnastique quand tu mesures 2,15 m...", ironise-t-il. "Je pense que chacun devrait pouvoir faire le sport qu'il a envie de faire." Lui aussi a les yeux rivés sur les Etats-Unis, où il a joué quelques années et où le système scolaire "forme des champions". "Les coachs aux Etats-Unis ne sont pas là pour faire des leçons de vie. Ils font du sport", explique-t-il.

Invité par Evan Fournier à s'inspirer du modèle américain, qui concilie au mieux l'enseignement des matières classiques et les heures de sport pour former des champions en les accompagnant (voire en les aidant financièrement) tout au long de leur scolarité, Jean-Michel Blanquer lui a répondu dans une interview accordée au JDD, le 21 août. "C'est un bon débat qui va permettre d'avancer, car la culture sportive n'est pas suffisamment forte en France", admet le ministre, qui a énuméré dans le quotidien du dimanche plusieurs mesures censées favoriser le développement du sport en France avec, en point de mire, les Jeux olympiques de Paris dans trois ans : le Pass'Sport, le label Génération 2024, les 30 minutes d'activité physique quotidienne ou la multiplication des sections sportives dans certaines spécialités du bac pro.

Mais pour certains spécialistes, ces mesures sont mal ciblées et le mélange des genres entre le monde sportif et le monde éducatif n'est pas une orientation souhaitable. "L'EPS ne peut pas consister à bouger une demi-heure par jour", estime par exemple Claire Pontais. Pour elle, ce projet aurait du sens s'il était accompagné d'un aménagement des cours de récréation. "Il y a une confusion historique entre éducation physique et éducation sportive", explique de son côté à franceinfo: sport Bruno Papin, chercheur et maître de conférence en sociologie du sport à l'université de Nantes.

Le ministre de l'Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, Jean-Michel Blanquer, dans le jardin de son ministère lors de la conférence de presse sur la rentrée scolaire, le 26 août 2021. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Selon lui, il n'est pas envisageable de transposer le modèle d'outre-Atlantique à celui de l'Education nationale made in France. 

"L'école n'est pas là pour former de futurs champions, et les profs d'EPS restent à distance d'une éducation sportive au sens compétitif du terme. La performance n'est pas l'objectif premier."

Bruno Papin, enseignant-chercheur en sociologie du sport

à franceinfo: sport

Dans l'enseignement, les professeurs ont d'autres priorités, davantage en lien avec le développement des pratiques corporelles et sociales des élèves. De fait, les mondes sportifs et éducatifs communiquent mal. "Les professeurs d'EPS ne discutent pas avec les sportifs", précise le chercheur.

L'UNSS, le lien entre l'école et le sport

Entre les milieux éducatifs et sportifs, restent pour les élèves les mercredi après-midi au gymnase ou sur les terrains, lors des sessions de "sport scolaire". En même temps qu'il menait le Stade toulousain vers les sommets du rugby français, et avant de prendre les rênes du XV de France, Guy Novès passait aussi une partie de son temps à entraîner les collégiens de Pibrac, en Haute-Garonne. Ancien professeur d'EPS (pendant 21 ans), l'entraîneur aux dix Boucliers de Brennus et aux quatre Coupes d'Europe laisse forcément un souvenir impérissable à ses élèves. Avec la même détermination que celle qui l'a mené sur le toit de l'Europe avec Toulouse, il leur a appris à "supporter, à souffrir et endurer", explique-t-il à franceinfo: sport.

Via l'association sportive (AS) du collège, Guy Novès fait découvrir le rugby aux jeunes, comme il l'a encore fait cet été. "Le sport scolaire a cette force, il permet la découverte de certaines activités", assure-t-il. Comme ses anciens élèves, ils sont environ 785 000 (répartis sur près de 9 000 AS) à prendre une licence via l'Union nationale du sport scolaire (UNSS) chaque année. Escalade, boxe, voile, aviron, tir à l'arc... De très nombreux sports sont proposés selon les territoires et les villes. Si le système du sport scolaire est encore inégal du fait des disparités territoriales, il reste tout de même un moyen de faire vivre la pratique sportive de façon plus poussée que dans le cadre de l'EPS.

Claire Pontais insiste pour que les élèves puissent "donner du sens à leur pratique sportive", en passant par la compétition notamment. En Haute-Garonne, les élèves de Guy Novès, entraînés comme des pros, ont aussi bénéficié de ce double contact. Sans pour autant pousser les enfants à faire du rugby à haut niveau, l'ancien entraîneur se dit fier de lier clubs et écoles. "Même si cinq élèves sur dix mille deviennent accros en découvrant un sport via l'UNSS, ce sont eux qui vont alimenter les clubs",  conclut Guy Novès. 

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