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L'escrime française rend-elle les armes ?

Trois mois après des Jeux Olympiques catastrophiques, la situation de l'escrime française reste très compliquée. Pendant que d'autres nations ont déjà les yeux tournés vers Rio, l'escrime française peine à se remettre en question, et les conflits en interne enveniment une situation qui devient désespérante.
Article rédigé par Romain Bonte
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
 

Le plus gros pourvoyeur de médailles françaises aux JO (115, dont 41 titres) a connu un été londonien catastrophique avec un zéro pointé au nombre de breloques. Certains l'annonçaient avant le début des JO, mais le fiasco olympique a bien eu lieu en Angleterre. Les causes sont multiples, et les solutions le sont tout autant. Mais les guerres en interne risquent d'enfoncer un peu plus l'escrime française…

Un duel en coulisse

Les lames sont bien aiguisées du côté de la Fédération. Avant même la fin des JO, certaines voix -parmi lesquelles Jean-François Lamour- avaient demandé la tenue d'une séance extraordinaire dès le mois de septembre afin de discuter de la situation."Il y a un problème d’environnement fédéral qui doit normalement leur permettre d’arriver au top", expliquait l'ancien ministre des Sports. "Ca veut dire qu’il faut régler les problèmes à la rentrée, pas dans six mois", avait affirmé M. Lamour.

Le 22 septembre, le comité directeur de la FFE dont les différents courants font partie s'est bien réuni mais de cette réunion, il n'en est sorti qu'une date, celle du samedi 16 mars 2013 correspondant aux prochaines élections fédérales, alors qu'elles étaient initialement prévues en janvier. Et depuis, chacun s'est retranché dans son camp sans avoir fait véritablement de bilan des JO. La requête de l'ancien ministre des sports au sujet d'une séance extraordinaire n'a donc été qu'un coup d'épée dans l'eau.

Isabelle Lamour: "Une ambiance délétère préjudiciable"

D'un côté, le camp d'Isabelle Lamour (la femme de Jean-François Lamour), membre du Comité extraordinaire et candidate à la présidence de la fédération, est en campagne électorale et a récemment publié Il faut retrouver un projet commun", avait-il insisté en août dernier. L'une des solutions proposées dès cet été (voire depuis quelques années), n'est autre que la professionnalisation, mais il reste encore bien du chemin à parcourir.

Frédéric Pietruszka: "Une fin de cycle"

L'approche est différente du côté de Frédéric Pietruszka, un brin fataliste. "Il y a malheureusement des fins de cycle et nous y sommes", avait-il dit. "Ca a été le cas du judo à Athènes, souvenez-vous. Il a bien su rebondir. Je crois que nous avons les moyens de rebondir". Convaincu qu'il y aura des lendemains meilleurs, le président de la FFE compte sur le vivier de l'escrime tricolore pour retrouver le lustre d'antan. Citant Enzo Lefort, Ysaora Thibus et Yannick Borel, M. Pietruszka a expliqué que la relève était assurée. "On a des jeunes qui sont performants (…), qui sont déjà prêts à prendre la relève. Mais il va falloir fournir un gros travail pour revenir au niveau des meilleurs", avait-il admis. Mais en regardant le nombre de médailles ramenées d'Outre-Manche, on ne peut s'empêcher de penser que la situation est plus compliquée. Le temps passe, les Championnats d'Europe (juin 2013) et les Mondiaux (août) débutent demain, et dans moins de quatre ans, les JO de Rio risquent d'être très compliqués.

La fin de l'âge d'or

Un peu comme le tennis féminin français, l'escrime se trouve effectivement en fin de cycle. L'âge d'or de l'escrime tricolore est semble-t-il terminé, du moins aujourd'hui. Avant-même les Jeux olympiques de Londres, les performances de l'escrime française avaient donné des signes d'inquiétude. La non qualification des sabreurs messieurs et des épéistes dames n'a fait que confirmer ce sentiment que la France n'était plus maître de son sujet. Le sort s'acharnant, l’épée masculine n’était pas au programme en raison de l'alternance alors que nous sommes leaders dans la discipline…

Même lors des Championnats d'Europe de 2011, on sentait déjà que le vent avait commencé à tourner. En individuel, une seule médaille (l'argent de Boladé Apithy au sabre) avait été glanée, et malgré trois breloques supplémentaires dans les compétitions par équipes, la France avait terminé à la quatrième place du tableau des médailles de Sheffield, loin derrière l'Italie (dix médailles dont six titres), la Russie et l'Allemagne. Malgré cette épée de Damoclès au-dessus de l'escrime française, aucun changement de fond n'avait été apporté.

La relève n'est pas là

A l'époque, Philippe Boisse avait prévenu que la relève tardait à arriver, et que cela risquait bien d'avoir des conséquences un jour ou l'autre. Laura Flessel en est l'illustration parfaite. Même en tenant compte de son incroyable talent, la "guêpe" avait tout de même près de 41 ans lorsqu'elle est parvenue à se qualifier pour les JO de Londres… Cette situation rappelle un peu les retours en Bleus –et un peu sous la contrainte- de Zidane, Thuram et Makélélé, alors que Raymond Domenech éprouvaient toutes les peines du monde à leur trouver des remplaçants avec ses "fonds de tiroirs".

"On peut dire que nous sommes en déclin", nous avait confié lui-même le président de la FFE pendant les JO. "Il n’y a pas que la France qui soit en déclin : la Russie et l’Allemagne ont très peu réussi par exemple. L’Italie fait moitié moins bien que prévu (6 médailles quand même, ndlr). Il y a la montée d’autres pays avec les Asiatiques particulièrement, les Américains qui sont maintenant performants à toutes les armes. Mais c’est vrai que nous sommes les plus fragiles parmi les Européens et il convient de rechercher pourquoi. Aujourd’hui, je n’ai pas de réponse à cela", avait-il alors constaté. Car pendant ce temps en effet, d'autres nations pointent le bout de leur épée.

L'effet de la mondialisation

L'exportation du savoir-faire français, notamment dans les pays asiatiques a dans un premier temps porté préjudice à l'enseignement dans l'hexagone. Véritable précurseur de ce phénomène, Michel Perrin a été en 1980, l'un des premiers maîtres d'armes à vendre son savoir-faire en Chine, puis à la Corée du Sud. Depuis, d'autres spécialistes français ont préféré tenter l'aventure en Asie, à l'instar de Christian Bauer, alors que leur enseignement aurait pu bénéficier aux élèves tricolores. Mais les techniciens français n'ont pas été les seuls pourvoyeurs de technique à l'européenne. L'Italien Andrea Magro a ainsi apporté sa petite touche au fleuret japonais.

Les asiatiques ont soif de médailles

Un peu comme dans l'industrie, les Asiatiques ne se sont pas contentés de soustraire la substantifique moelle des techniques européennes. Ils ont aussi mis en place des programmes d'entraînement difficilement réalisables en France, avec une masse de travail colossale, destinée à fabriquer des champions et à surtout récupérer un maximum de médailles. Le temps où les cadres techniques chinois filmaient chaque duel lors des Mondiaux de 1975 pour en comprendre les rouages est révolu, ou presque…

Pendant que l'Asie, et même les Etats-Unis, mettaient en place des usines à médailles, la France n'a pas su gérer au mieux le tournant de la mondialisation. La remise en question n'a pas eu lieu, et cela s'est traduit par un manque d'ambition. C'est de cette manière que l'escrime française, plus grand pourvoyeur de médailles aux JO s'était donné l'objectif si faible de trois médailles avant le rendez-vous londonien. Et c'est donc bredouilles que les escrimeurs tricolores sont rentrés d'Angleterre. Il y a vingt ans, voir des nations telles que la Norvège (avec l'argent de l'épéiste d'origine polonaise Bartosz Piasecki) ou encore le Venezuela (Rubén Limardo devenu champion olympique à l'épée) tenir la dragée haute à l'Italie ou à la France aurait semblé insensé. Les temps ont bien changé et les fines lames de l'escrime française auraient bien tort de courber l'échine. En garde !

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