Yoann Offredo : "L'e-cycling ? Je comprends l'engouement, mais ce n'est pas le même sport"
Vous avez régulièrement affiché votre désamour pour le cyclisme virtuel dans les médias. Qu'est-ce qui ne vous plaît pas dans le "ecycling" ?
Yoann Offredo : "Ce n'est pas vraiment que ça ne me plaît pas. Je peux comprendre l'engouement qu'il y a autour, surtout dans la période qu'on vient de traverser. C'était l'occasion de faire du vélo de manière ludique sans sortir de chez soi, c'était une bonne alternative au vélo traditionnel. Mais je trouve que c'est tout simplement un autre sport : c'est comme si on comparait un gars qui fait de la guitare électrique à un autre qui fait de la guitare classique, on ne parle pas de la même chose."
Qu'est-ce qui manque selon vous au e-cycling ?
Y.O : "Moi ce qui m'intéresse dans mon sport, c'est de découvrir les paysages, de sentir le vent sur ma peau, d'aller au-delà de l'esprit de compétition. Je comprends que les grands compétiteurs s'y plaisent, c'est un vrai défi de faire face aux plus grands coureurs, de se mesurer à eux, de voir ce que ça donne en termes de performance. Mais pour moi, le cyclisme c'est plus que ça."
Vous parlez de "sentir le vent" ou de "découvrir les paysages". Est-ce que ce sont des choses qui comptent toujours pour un cycliste de haut niveau comme vous, qui roulez tant d'heures par jour ?
Y.O : "Ça l'est plus que jamais ! Je suis en fin de carrière. Pendant longtemps, j’ai fait comme tout le monde : me focaliser sur ma performance, sur la data, les données de performance, les entraînements. Aujourd'hui je suis arrivé à un stade où je me remets à faire du vélo autrement, je mets des sacoches, je fais un peu de cyclotourisme, je prends plus de plaisir. Par exemple l'autre jour il y a quelqu'un qui m'a donné rendez-vous à l'autre bout de la ville, je lui ai dit que je ne pourrai pas arriver si vite : j'ai décidé de ne me déplacer qu’à vélo. Je n'ai jamais été aussi cycliste, finalement. Et c'est le confinement qui m'a fait me recentrer sur l'essence de mon sport, sur ce qui compte réellement."
Pour vous, le confinement a été l'occasion de revenir aux fondamentaux, alors que pour la plupart de vos collègues, ça a été une période propice à la découverte de Zwift (un programme d'entraînement cycliste virtuel, NDLR) et du e-cycling. Vous êtes toujours à contre-courant...
Y.O : "Oui c'est vrai ! (rires) Je crois que c'est aussi parce que j'ai énormément fait de "home-trainer" étant plus jeune, quand j'étais encore à la Française des Jeux. Je poursuivais mes études, donc quand comme je rentrais tard, c'était soit j'allais m'entraîner alors qu'il faisait nuit, soit je restais chez moi sur le "home trainer". Et je choisissais souvent le "home trainer". Sauf qu'à l'époque, il n'y avait pas de e-cycling ou de Zwift, c'étaient seulement les écouteurs... Alors forcément, je me faisais chier à regarder mon mur pendant des heures ! Peut-être que si j'avais eu accès à Zwift à l'époque, je me serais lancé dedans aussi. J'ai des potes aujourd'hui qui y sont complètement accros, comme certains sont accros à Fortnite (un jeu vidéo en ligne, NDLR). Je les comprends, mais pour ma part, ce n'est pas ce dont j'ai besoin."
Vous avez aussi beaucoup de camarades qui ont adapté leur entraînement de cycliste de haut niveau au e-cycling. Est-ce qu'il s'agit d'un entraînement et d'une préparation valables selon vous ?
Y.O : "C’est forcément valable, les données de puissance sont impressionnantes, c'est un exercice court et intense, d'une heure, une heure trente maximum. Mais je pense que ça doit rester un complément d’entraînement, ça ne peut pas être l’unique méthode. Les cinq ou six heures de vélo pour entretenir l'endurance sur la selle, ce n'est pas faisable en virtuel. Le e-cycling est trop intense. Regardez le Tour de France virtuel, les étapes sont forcément très courtes car on ne peut pas demander aux coureurs de produire des efforts si intenses sur cinq heures. Maintenant qu'on est déconfinés et qu'il fait beau, rien n’empêche les gens de faire 1h, 1h30 de Zwift, sans pour autant oublier l'entraînement traditionnel en plein air. Je ne suis pas non plus un vieux con, je pense qu'on peut carrément faire les deux !"
Vous envisagez donc vous-même d'intégrer de l'e-cycling dans votre entraînement ?
Y.O : "En fait, je n'ai même pas de compte Zwift pour ne rien vous cacher...(rires) Je n'ai pas non plus de home-trainer connecté. Mais il n'y a que les cons qui ne changent pas d’avis, je m’y mettrai !"
Imaginez-vous un cyclisme, en 2050 par exemple, où toutes les courses seraient virtuelles ?
Y.O : "Ce mardi, j'étais avec Christian Prudhomme (le directeur du Tour de France, NDLR), il s’exprimait devant des gamins, et il disait que c'était eux l’avenir du cyclisme, et que le cyclisme était un échange, entre eux et les coureurs. C'est vrai, c'est ça le vélo. Ce sont les enfants qui ont des étoiles dans les yeux quand ils voient passer des pros à quelques mètres d'eux au bord de la route. Quand tu es coureur, c'est entendre les gamins t'encourager, que tu sois premier ou dernier de la course qui te motive. Tout ça, tu peux pas l’avoir devant un écran. C'est une bonne question, j'y ai réfléchi moi aussi, j'ai imaginé ce futur où tous les gars seraient rivés à leur écran pour courir. Mais pour moi, dans 50 ans, même s'il y aura toujours, encore plus sûrement, d'e-cycling, les cols du Tours de France vont toujours être montés de façon réelle."
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