Tour de France : Qui va remporter la guerre des Alpes ?
Emanuel Buchmann, 6e à 2'14
Pourquoi il peut tirer son épingle du jeu
Personne ne s'intéresse à Emanuel Buchmann. Il a été présent sur toutes les étapes de montagne jusqu'ici, toujours placé, jamais défaillant. Dans le Tourmalet, il a été l'un des seuls à être capable de placer quelques banderilles, inefficaces certes, mais tout de même. Dans le Prat d'Albis, Pinot a dû batailler pour décramponner l'accrocheur Allemand. "J'ai franchi un cap cette année, je me sens plus fort. Tout ce qui a mené au Tour s'est parfaitement déroulé" a-t-il affirmé. Oui Buchmann est un monstre de régularité cette année (pas une seule course hors du top 7), et il compte bien le montrer encore une fois dans les Alpes.
Pourquoi il peut s'effondrer
L'Allemand manque clairement d'expérience. Il n'avait jamais joué les premiers rôles dans un grand Tour. Son meilleur résultat avant ce Tour ? Une 12e place à la Vuelta. Le voilà propulsé parmi les six derniers prétendants du plus prestigieux des grands Tours. Comment va-t-il gérer cette dernière ligne droite ? "Ça va être une dernière semaine intéressante." a-t-il annoncé. Certes. Mais peut-être aurait-il préféré qu'elle n'existe pas. Car si on arrêtait les compteurs aujourd'hui, il serait 6e, lui qui s'était comme objectif le Top 10. La perspective de perdre ce qu'il a acquis va-t-il le paralyser ? Mikel Landa, 7e à quasi 3 minutes de Buchmann, est prêt à bondir sur la moindre opportunité malgré son retard conséquent. L'Allemand devra oublier son ombre pour mieux viser les sommets.
Egan Bernal, 5e à 2'02
Pourquoi il peut tirer son épingle du jeu
Le Colombien est le meilleur grimpeur du monde. Si ce statut a été un peu (beaucoup) écorné par les incroyables performances de Thibaut Pinot sur ce Tour, il reste un client. Même le client. Si on excepte son contre-la-montre désastreux, c'est lui qui a le plus pesé dans les étapes de montagne chez Ineos. C'est lui seul qui a pu suivre, presque jusqu'au sommet, Thibaut Pinot dans le Prat d'Albis. A chaque fois que le Français attaquait, Bernal lui sautait dans sa roue. Et si le Colombien puisait clairement dans ses réserves, il l'a dit lui-même, il se sent "de mieux en mieux chaque jour". Les Alpes, avec trois passages au-dessus des 2000m, pour lui qui est né et a grandi perché dans la Cordillère des Andes en Colombie, devraient lui convenir à merveille. Et ses deux minutes de débours sur le maillot jaune pourraient fondre comme neige au soleil.
Pourquoi il peut s'effondrer
Egan Bernal a montré des signes inquiétants sur ce Tour, on ne peut le nier. Alors qu'il était le favori numéro 1 (même devant son coéquipier Geraint Thomas) chez les bookmakers, Bernal est vite apparu en-deça de ce que l'on attendait de lui. Il ne faut pas l'oublier, il n'a que 22 ans. Sa jeunesse peut lui jouer des tours, d'autant plus qu'il se retrouve dans une position où il est obligé d'attaquer pour refaire son retard. Va-t-il parvenir à garder la lucidité et la maturité suffisantes pour ce scénario ? Rien n'est moins certain. Bernal a les armes, mais il peut tout aussi bien les détruire lui-même.
Thibaut Pinot, 4e à 1'50
Pourquoi il peut tirer son épingle du jeu
Parce qu'il l'a déjà fait. Dans les Pyrénées, s'il y a bien un coureur qui a marqué les esprits du premier au dernier kilomètre de pente, c'est Thibaut Pinot. Le Franc-Comtois a enquillé les attaques, tout en panache et en audace, rattrapant une partie de son fameux retard contracté sur la 10e étape après une bordure. Cette dernière est d'ailleurs complètement oubliée désormais : à 1'50 d'un maillot jaune qui, a priori, n'a pas les armes pour résister aux enchaînements de cimes que vont nous offrir les Alpes cette semaine, tout est possible pour Pinot. Partir de loin ? Attaquer dans les derniers hectomètres? Il se dégage l'impression que tout ce que Pinot touche sur ce Tour se change en or.
Pourquoi il peut s'effondrer
Mais attention à l'excès de confiance et à la peur de la victoire. Thibaut Pinot a eu trois étapes de transition pour gamberger après son one man show des Pyrénées. L'attention médiatique s'est accrue. La ferveur des Français sur le bord des routes est plus intense que jamais dans sa carrière. Il a dû sentir qu'il avait allumé, avec son camarade Julian, la flamme de l'espoir chez des Français sevrés de champion-maison sur les Champs depuis Bernard Hinault en 1985. L'ennemi se cache dans les détails. Mais pour Thibaut Pinot, il hurlera à gorge déployée sur les pentes alpestres la phrase qui pourrait lui coûter la victoire : "Tu dois le faire".
Steven Kruijswijk, 3e à 1'47
Pourquoi il peut tirer son épingle du jeu
Il faut encore revérifier trois ou quatre fois si l'on a bien orthographié son nom quand on écrit sur lui, et pourtant, Steven Kruijswijk est 3e du Tour de France à cinq jours de l'arrivée sur les Champs. Qui aurait misé sur lui il y a deux semaines ? Pas grand monde. Avec Emanuel Buchmann, il est la caution surprise discrète de cette édition. Pourtant, le Néerlandais ne vient pas de nulle part, bien au contraire. 5e l'an dernier, il est au cœur du mieux huilé des rouages de ce Tour : la Jumbo Visma. L'équipe au maillot moutarde a épaté son monde sur les étapes pyrénéennes, en plaçant systématiquement trois coureurs parmi le groupe des favoris. De cette force collective, Kruijswijk pourrait bien faire jaillir l'une des plus grosses surprises de ces dernières années sur le Tour
Pourquoi il peut s'effondrer
Steven Kruijswijk est une valeur sûre. Il est très rarement pris à défaut, ses contre-performances se comptent sur les doigts d'une main. Très peu probable qu'il s'"effondre" vraiment, donc. En revanche, il manque d'armes pour faire vaciller les tout meilleurs quand ceux-ci sont dans un bon jour. On a du mal à le voir accrocher le wagon d'un Thibaut Pinot en transe sur les pentes du Galibier, là où un Bernal, en revanche, a les armes pour rivaliser. Le Néerlandais sera là si tous s'effondrent. Mais il pourrait manquer de munitions pour achever ses proies.
Geraint Thomas, 2e à 1'35
Pourquoi il peut tirer son épingle du jeu
Il l'a fait une fois, alors pourquoi pas deux ? Depuis son sacre à Paris l'an dernier, le Gallois n'a d'ailleurs qu'une chose en tête : garder sa couronne, et revêtir cette douce tunique jaune sur le podium des Champs. Sa préparation, son calendrier, ses déclarations : tout a tourné autour de son deuxième Tour de France, d'autant plus après la sortie de route de Chris Froome. Alors on a du mal à croire qu'une machine aussi bien réglée que son équipe d'Ineos n'ait pas gardé, pour la fin, d'ultimes cartouches pour faire basculer le rapport de force en leur faveur. Avec Egan Bernal, il dispose de la meilleure première fusée possible dans les grands cols alpestres. Thomas est programmé pour gagner, et il faudra un immense coureur pour le déloger de son trône acquis l'an dernier.
Pourquoi il peut s'effondrer
Problème : il y en a, des grands coureurs, cette année. Par "grand", on entend capable de dynamiter une course par la seule force de ses mollets. Thibaut Pinot a montré qu'à son meilleur, personne ne résistait à ses grandes embardées dans les montées. Le Gallois pourrait pâtir de devoir demeurer dans une position défensive. D'autant que, contrairement à 2018, il ne pourra se reposer sur une armada infaillible à ses côtés. Jusqu'ici, ses coéquipiers ont plutôt failli à leur mission, hormis Bernal. Et Bernal est lui-même moins un coéquipier qu'un rival, au vu de ses dernières ascensions. Le Gallois a chuté une troisième fois sur l'étape autour de Nîmes. On a fait plus serein.
Julian Alaphilippe, maillot jaune
Pourquoi il peut tirer son épingle du jeu
C'est lui qui a l'écart le plus confortable avec son dauphin parmi les six prétendants. Avec 1'35 d'avance sur Thomas, il peut voir venir. Julian Alaphilippe a montré ces derniers jours que la haute montagne n'était pas forcément un problème pour lui. Certes, il aura du mal à attaquer et à creuser les écarts. Mais en a-t-il besoin ? Non. Son objectif est capitaliser sur son avance pour franchir, coûte que coûte, les Alpes avec le maillot jaune encore sur les épaules. Et, avec le panache et l'audace dont il fait preuve depuis le début, il paraît inconcevable qu'il se laisse simplement décrocher dès le premier col venu. Non, Alaphilippe bouclera en beauté son Tour.
Pourquoi il peut s'effondrer
Théoriquement, on ne devrait même pas se poser cette question. Julian Alaphilippe n'a rien à prouver en haute montagne, ce n'est pas son terrain de jeu. Pourtant, nous voilà à cinq jours de la fin du Tour, avec Alaphilippe toujours en jaune et avec environ deux minutes d'avance sur la plupart de ses concurrents. La situation est irréelle. Mais elle pourrait cesser de l'être très vite. Le numéro un mondial a craqué une première fois sur la dernière étape des Pyrénées. Et cette micro-défaillance laisse entrevoir la possibilité de plus sévères crises dans les jours à venir. Les Alpes réunissent un cocktail de tout ce que n'apprécie pas, en temps normal, le coureur de la Deceuninck-Quick step : succession de cols, des pentes longues, une très haute altitude. Voir Alaphilippe se faire doubler par ses cinq adversaires directs à l'issue de la traversée des Alpes n'aurait rien de surprenant. Et n'enlèverait rien à son inégalable Tour de France.
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