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Tour de France : ce que tout bon coureur doit éviter pendant les jours de repos

Une crème glacée trop copieuse peut faire davantage de dégâts que les 21 virages de l'Alpe d'Huez. La preuve en quelques anecdotes.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Les maillots de l'équipe BMC sèchent, lors de la journée de repos du 13 juillet sur le Tour de France 2015, à Pau (Pyrénées-Atlantiques). (DAVID STOCKMAN / BELGA MAG)

"Le Tour de France se gagne aussi et surtout quand l'on n'est pas sur la bicyclette", martelait Antonin Magne, directeur sportif de Louison Bobet et de Raymond Poulidor. Nombre de destins de coureurs se sont brisés lors de la journée de repos. Alors que le peloton fait relâche en Dordogne, lundi 10 juillet, retour sur ces mémorables –et parfois tragiques– journées de repos.

 Engloutir une glace et se baigner juste après

Personne n'avait misé un kopeck sur les chances d'Adolphe Hélière au départ du Tour 1910. C'était même plutôt l'inverse : des lecteurs de L'Auto (l'ancêtre de L'Equipe) avaient misé sur le nombre d'étapes que le coureur breton, concourant sans équipe, allait pouvoir finir. Il faisait partie de ces coureurs que l'on appelait les "isolés" à l'époque, et le qualificatif sied parfaitement à Hélière. Il surprend les suiveurs en tenant son rang, dépannant ses compagnons d'infortune dans les cols alpins et résistant à une chute causée par un cheval. Le bizuth de 19 ans rallie Nice, où se déroule la première journée de repos. Sans soutien financier, sans prime car trop mal classé, il doit choisir entre un vrai lit et un vrai repas. Va pour une nuit à la belle étoile et un gueuleton au restaurant, conclu par une crème glacée. Pour digérer tout ça, direction la grande bleue, près de l'Opéra. La trempette est de courte durée : Adolphe Hélière est foudroyé par une hydrocution disent les uns, par la piqûre d'une méduse, affirment les autres

Il faudra attendre dix mois, et une quête auprès des autres concurrents et des spectateurs, pour qu'Hélière soit finalement inhumé près de Rennes.

Se prendre le bec avec beau-papa

Le coureur français Jean Robic embrasse sa femme, dans les années 1950. (ECLAIR MONDIAL/SIPA)

"Le Tour se gagne au lit. En dormant", martèle Antonin Magne, double vainqueur du Tour dans les années 1930, devenu directeur sportif tout-puissant des équipes tricolores au lendemain de la guerre. A l'époque, il est hors de question que les épouses rejoignent les champions lors des étapes de repos. La pratique ne se généralisera qu'au tournant des années 1980. Comme le note le livre Les secrets du Tour de France (éd. La librairie Vuibert, 2016), Félix Lévitan, futur directeur du Tour, a jeté l'anathème sur tout ce qui porte jupon dans un article resté célèbre : "Fi, mesdames ! Si vous saviez l'influence néfaste que vous aviez sur certains cracks, vous vous empresseriez de disparaître !" 

Alors forcément, quand Jean Robic, maillot jaune du Tour, reçoit Raymonde dans une chambre –"avec deux lits", précisera-t-il, prude(mment), c'est le scandale. Nous sommes en 1947, le coureur breton s'est marié juste avant le Tour, et faute de dot, a promis le maillot jaune à sa belle, raconte le journaliste spécialiste du Tour Christian Laborde dans son livre Robic 47 (éd. du Rocher, 2017). C'est le moment que choisit le beau-père de Robic pour faire un scandale dans le petit hôtel de Vannes (Morbihan) où fait étape le Tour. "Comment ! Tu vas coucher avec ma fille en plein Tour ? Pas question ! C'est moi qui vais dormir dans le second lit !" Robic, surnommé "Biquet", monte sur ses grands chevaux et éconduit son beau-père...

Il éconduira finalement sa femme aussi. Raymonde n'a pas sommeil et "se met à siffler avec des roulades de gorge de tourterelle énamourée" (l'expression vient du coureur, reprise par Jean-Paul Ollivier dans sa biographie Celui qui soufflait contre le vent). La récupération avant tout. Il faut croire que cela a payé, puisque Jean Robic a remporté le Tour cette année-là.

Boire de la sangria et manger un méchoui

Jacques Anquetil, vainqueur du Tour de France 1964, et son dauphin, Raymond Poulidor (à dr.) effectuent un tour d'honneur sur le vélodrome du Parc des Princes, à Paris, le 14 juillet 1964. (STAFF / AFP)

Jacques Anquetil plante ses dents dans une belle épaule d'agneau. Son directeur sportif, Raphaël Géminiani, l'imite. Ce 5 juillet 1964, le Tour effectue une halte à Andorre, et "Gem" veut distraire son coureur. Avant le début de la course, le mage Belline a prédit que le "Grand Jacques" trouverait la mort sur la route, près d'Andorre justement. Des paroles en l'air ? Pas pour Anquetil, féru d'occultisme. Plus la date fatidique se rapproche, plus il devient livide. Pour lui changer les idées, Géminiani l'invite au banquet organisé par Radio Andorre. Méchoui au menu. Pour arroser le tout, on découvre une baignoire de sangria à la cave. On leur amène des pailles, des bouts de tuyaux d'arrosage, puis une louche. Anquetil s'écrie : "Génial ! A la louche, comme le caviar !" 

Après les agapes, la nuit blanche. L'agneau rôti ou la prédiction gratinée de Belline qui lui pèse sur l'estomac. Dès le début de l'étape, Anquetil pédale dans la semoule. Poulidor attaque. Bahamontes s'y met, suivi par tout ce que le peloton compte d'outsiders. La nouvelle de la sauterie a fait le tour du peloton, et outré ses rivaux. "Faites-lui en baver", exhorte un directeur sportif. "Il veut nous faire passer pour des charlots ? Et bien ! On va lui faire sa fête…“. grommelle un coureur, cité dans le magazine Miroir du cyclisme en 1969. Dans le brouillard, Anquetil navigue avec 4 minutes de retard sur la tête de la course. Géminiani, qui raconte la scène dans son livre Mes quatre vérités (éd. Jacob Duvernet, mai 2010), se porte à sa hauteur. Et le tance : "Nom de Dieu ! Jacques, j'en ai marre ! Si tu dois mourir, meurs devant, pas devant la voiture balai !" Selon la légende, Géminiani lui tend un bidon (ce qui est formellement interdit à l'époque). A l'intérieur : du champagne. Anquetil rattrape Poulidor une fois passée la purée de pois. 

L'histoire du gueuleton orgiaque est-elle une invention de journalistes, ou une rumeur sciemment propagée par "Gem" pour déstabiliser l'adversaire ? Anquetil niera avoir touché à la viande –"le gigot, je déteste ça"– et un participant au fameux méchoui relativisera l'affaire de la baignoire : "Jacques avait certes bu un verre, mais il était parti à une heure raisonnable." Allez savoir... Une chose est sûre : Anquetil ne fait qu'une bouchée du Tour, qu'il remporte cette année-là.

Se friter avec les journalistes

Laurent Fignon portant le maillot jaune sur le Tour de France, le 12 juillet 1989, lors de l'étape Luchon-Blagnac. (AFP)

L'intello du peloton a la dent dure. Boudé par la presse pendant des années de vaches maigres, Laurent Fignon s'agace de devoir se frayer un passage au milieu des photographes après sa victoire sur le Giro 1989. "Comme à mon habitude, j'ai un peu râlé, ne montrant pas mon visage le plus sympathique, euphémise Fignon dans sa biographie Nous étions jeunes et insouciants (éd. Grasset, 2009). Mais quoi ? Non seulement, il faut se concentrer, être disponible, et il faudrait être content d'être soumis à pareille pression ?" Partie du mauvais pied, la relation entre le Fignon nouveau et la presse devient franchement exécrable. Lors de la journée de repos, le Normand, deuxième du classement général de cette édition 1989, refuse d'accorder cinq minutes aux photographes. Ces derniers répliquent en ne le prenant plus en photo pendant deux jours, raconte Sports Illustrated (article en anglais).

Candidat au maillot jaune et lauréat du "prix citron", Fignon s'épuise-t-il dans ce combat, en plus de devoir contenir Greg LeMond sur la route ? Il va même jusqu'à cracher sur une caméra, qu'il croit appartenir à une chaîne française hostile. Pas de pot : c'était la télé espagnole. L'image fera le tour du monde. Faut-il s'étonner que le coureur français perde la bataille de l'opinion et, finalement, perde le Tour sur le fil, après avoir échoué de 8 secondes lors de l'ultime contre-la-montre aux Champs-Elysées ?

 Refuser de prendre l'avion comme les autres

N'allez pas croire que les coureurs se la coulent douce pendant les journées de repos. Souvent, les organisateurs y glissent une liaison aérienne, pour traverser la France et changer de décor. En 1991, les coureurs quittent la plaine de Saint-Herblain, en Loire-Atlantique, pour Pau, au pied des Pyrénées. L'organisation du Tour a affrété un avion. Deux coureurs manquent à l'appel. L'un, Pascal Richard, brandit un certificat médical : il était chez le dentiste, et a rallié Pau par ses propres moyens. L'autre, Urs Zimmermann, a fait le trajet en voiture. Disqualifié. Le règlement du Tour est formel : les déplacements doivent être collectifs. L'idée est d'empêcher les stars de voyager en jet privé, avec des horaires sur mesure.

Son équipe argue que le 3e du Tour 1986 a peur de l'avion. "Si Zimmermann m'avait fait part de sa frayeur, je l'aurais laissé libre de ses mouvements", confie le directeur de l'épreuve, Jean-Marie Leblanc, dans L'Equipe. Là où le bât blesse, c'est que Zimmermann, exclu, est parti... attraper un vol à l'aéroport. En réalité, Zimmermann, coureur atypique, un peu seul dans le peloton, avait juste envie de rouler. Les coureurs, déjà en bisbille avec la direction du Tour sur le port obligatoire du casque, prennent le prétexte de défendre sa cause pour refuser de prendre le départ. Il faut aller rechercher dare-dare Zimmermann dans la salle d'embarquement de l'aéroport de Pau, lui dégoter un vélo. "Et quelques minutes après, j'étais dans l'échappée", se souvient le Suisse dans le livre Étapes (éd. Hugo Sport, mai 2015).

Se faire du mouron pour son chien mourant

Tyler Hamilton lors de l'étape du Tour de France entre Castelsarrasin et La Mongie, le 16 juillet 2004. (JOEL SAGET / AFP)

C'est l'histoire d'un bébé Armstrong qui n'a pas réussi à tuer le père. Formé à l'école de l'US Postal, le grimpeur américain Tyler Hamilton tente de voler de ses propres ailes. Leader de l'équipe suisse Phonak, il aborde le Tour 2004 avec de grosses ambitions. L'année précédente, Armstrong n'a-t-il pas peiné à ramener son cinquième maillot jaune à Paris ? Hamilton tient son rang au classement (11e, avec les favoris) jusqu'à la journée de repos, le 12 juillet. Le jour où il voit pour la dernière fois son chien, Tugboat, son "meilleur ami depuis neuf ans", atteint d'un cancer foudroyant. "Il était sous sédatifs, donc il ne pouvait marcher, mais il savait qu'il était avec des gens qui l'aimaient", raconte Hamilton dans une déchirante ode à son ami à quatre pattes, publiée sur Velonews (article en anglais). 

Tugboat dort une dernière fois à ses pieds, avant d'être emmené pour son dernier voyage, en Espagne. "C'était comme si j'avais perdu un membre de ma famille, confie Hamilton à Bike Radar (article en anglais). Forcément, je n'ai pas pu donner le meilleur de moi-même. J'aurais préféré courir le Tour avec deux côtes cassées [ce qu'il avait réussi en 2003, finissant 4e] que le perdre." Hamilton traverse la seconde partie de l'épreuve comme un fantôme, crêpe noir au bras et plaque d'identification canine sous son casque. Le chien a été enterré avec le maillot que portait Hamilton lors de la 9e étape, et avec à ses côtés une peluche du Crédit lyonnais, distribuée aux porteurs du maillot jaune.

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