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Reportage Tour de France 2021 : pour les speakers, la fin de la peur du vide

Après un Tour de France 2020 à huis clos partiel, les quatre speakers du Tour de France retrouvent cette année le public sur la Grande Boucle. Pour leur plus grand bonheur.

Article rédigé par Adrien Hémard Dohain, franceinfo: sport - De notre envoyé spécial
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Au plus près du public, François Belay et Damien Martin assurent l'animation à chaque arrivée du Tour de France, comme ici à Fougères le 29 juin 2021. (AH)

Comme Mark Cavendish, vainqueur à Fougères mardi cinq ans après sa dernière victoire sur la Grande Boucle, ils sont en pleine renaissance. Après un Tour 2020 presque réduit au silence, ils ont retrouvé les spectateurs, leur enthousiasme. Eux, ce sont les yeux du public. Ceux qui bercent les tympans. Ceux dont la voix agit comme un phare guidant le public à l'approche de la ligne, qu'elle soit de départ ou d'arrivée. Ceux qui, sur le podium du village départ ou via les enceintes alignées le long des dernières centaines de mètres d'une étape, font du passage éclair du peloton un événement qui s'étale délicieusement sur plusieurs heures.

Eux, ce sont les quatre speakers du Tour de France, qui ont pris la suite du mythique Daniel Mangeas. L'exercice 2020 face à des tribunes au mieux clairsemées, mais le plus souvent vides à cause du Covid est derrière eux. Michel, François, Marc et Damien renouent cette année avec l'essence même de leur métier : le public.

"On est soulagés, parce que l'absence du public dénature notre métier. On est un trait d'union entre les spectateurs et les coureurs, ce qui n'était plus le cas au Tour 2020"

Marc Chavet

à franceinfo

Depuis le départ de Brest samedi 26 juin, leur vie sur la Grande Boucle a changé : "On a eu des jauges de 5 000 personnes avec pass sanitaire sur les premières étapes bretonnes, mais on les a à peine senties. La ferveur et le monde sont bien de retour", apprécie Damien Martin, 8 Tours à son actif, en désignant la foule déjà nombreuse ce midi-là à l'arrivée à Fougères.

La voix de nouveau libre

En ce début juillet, les jauges ne sont d'ailleurs plus obligatoires au départ et à l'arrivée, pour le plus grand bonheur de ces accros du micro, reconnaît François Belay : "Parler à des tribunes vides, comme on a pu le faire en 2020, c'est franchement déprimant".

"Le métier restait le même, on devait présenter les coureurs sauf qu'on parlait à une caméra plutôt qu'à des gens. Et puis, forcément, sans le répondant de la foule, on mettait moins d'intensité"

Marc Chavet

à franceinfo

La situation était d'autant plus difficile à vivre pour les speakers qu'elle évoluait d'un jour à l'autre, en fonction de la situation sanitaire du département visité : "Parfois, on avait des consignes différentes au départ et à l'arrivée. On passait du black-out total avec des murs noirs autour du podium à une belle foule comme à La Rochelle. Ça faisait bizarre", se souvient Marc Chavet, qui avoue avoir aussi eu plus de mal à reconnaître les coureurs avec le masque.

Pour contourner le problème, ils se sont basés sur la morphologie, la façon de pédaler, le numéro de dossard ou un détail vestimentaire. L'autre grand problème, c'est la distanciation sociale, comme l'explique  François Belay : "Avant on était mélangés avec les coureurs jusque dans les hôtels, maintenant ce n'est plus le cas, on a moins d'infos, d'anecdotes, de moments de partage".

François Belay et Damien Martin en action sur la ligne d'arrivée de la 4e étape du Tour de France 2021 à Fougères, le 29 juin 2021. (AH)

À ce travail dénaturé se sont ajoutées des difficultés économiques pour ces prestataires indépendants, embauchés pour le Tour, et qui ont chacun leur propre structure à côté. Franco-américain et donc parfaitement bilingue, Marc Chavet est ainsi la voix du tir à l'arc olympique, en dehors d'activités de doublage ou de traduction tandis que Damien Martin commente du football.

"C'était compliqué avec les annulations en cascade, mais les aides nous ont maintenus hors de l'eau même si j'ai dû mettre mes employés au chômage partiel. Ça nous a poussés à nous réinventer. Je fais par exemple de plus en plus de choses sur YouTube", sourit François Belay, qui gère une société d'organisation et d'animation.

Un équilibre entre spontanéité et rigueur

Le recours au streaming et à la vidéo est d'ailleurs l'un des rares héritages positifs de cette année et de ce Tour 2020 selon les voix du Tour. Le public est revenu, et avec lui les journées marathons : "Pendant trois semaines, on n'a pas le droit d'être fatigués. Le spectateur qui t'écoute, ce n'est pas son problème si ton grand-père est malade. On doit toujours être au top", assure Marc Chavet. Pour cela, le quatuor se prépare pendant des semaines, bien en amont du Tour.

Chaque jour, Marc et Michel animent la matinée jusqu'au départ fictif de coureurs. "On arrive 4h avant, on ouvre les micros 3h30 avant. La première partie c'est le tunnel d'animation des partenaires, puis on accueille les élus locaux et la caravane passe", détaille Marc Chavet. "Enfin, on ouvre la signature pour les coureurs qui arrivent, maintenant tous par équipes et plus de façon anarchique comme avant, grâce au Covid (rires). C'est le point culminant avant d'aller sur la ligne : les dix dernières minutes pour la mise sous tension, le point sur les porteurs de maillots, et le compte à rebours avec le public. Là, on est à 200 pulsations par minute". Les coureurs partis, Marc et Michel relâchent la pression et se dirigent vers le départ du lendemain.

La cabine des speakers du Tour de France lors de l'arrivée à Fougères, le 30 juin 2021. (AH)

En parallèle, sur l'air d'arrivée, Damien et François saisissent leurs micros sur les coups de 13h30-14h, selon les animations prévues par la mairie locale. Et chacun son rôle, développe François : "Damien assure la partie commentaire sportif, et moi plutôt les festivités autour de la course, le passage de la caravane,...". Le tout sans aucune note sous les yeux. C'est ainsi que, pendant tout l'après-midi, les deux complices donnent vie à l'arrivée, pendant 5 heures, et jusqu'à 7 heures un jour de contre-la-montre.

"La particularité du public du Tour c'est qu'il donne beaucoup. Partout où l'on s'arrête, c'est un peu le 14 juillet"

François Belay

à franceinfo

"On essaye de créer des moments de partage entre le public et les coureurs, qui peuvent utiliser l'énergie positive de la foule. Je pense par exemple à l'émotion de Mathieu van der Poel lors de la présentation des équipes", ajoute Marc Chavet, qui aime jouer avec le public via des poussées vocales dignes d'un stade de foot. Damien Martin fait pareil sur la ligne d'arrivée, avec des commentaires ciselés qui magnifient la course avant son dénouement.

Une fois la ligne franchie et le vainqueur connu, François Belay prend les commandes pour le protocole et le podium, avant de ranger les micros jusqu'au lendemain, sans jamais aucune lassitude, assure l'homme aux 19 Tours de France : "Le secret, c'est de ne pas s'enfermer dans une routine. Il faut toujours laisser place à la spontanéité pour surprendre". Comme sur le vélo, finalement.

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