Les critériums d'après-Tour, grands absents du nouveau calendrier
"Même si un Français gagne le Tour, il va manquer l'esprit fête qui règne après la Grande Boucle grâce aux critériums, ce serait bizarre pour lui de ne pas pouvoir faire la tournée des critériums ensuite", assure déjà Daniel Mangeas, mythique speaker du Tour de France, qui anime la plupart de ces épreuves. Organisés par des clubs cyclistes, des comités des fêtes, des villes, ou par les trois en même temps, les critériums d’après-Tour sont des courses sur de courts circuits en ville, où le sportif laisse la place au festif. "C’est très accessible au public, un critérium est basé sur la proximité, la convivialité : on peut aborder les coureurs qui sont plus détendus, c’est l’ADN du vélo", résume Francis Cantournet, président de l’association des critériums professionnels français. Mais sur les quatorze prévus cet été dans l’Hexagone, seulement deux auront lieu.
Sacrifice ou fatalisme ?
Organisés parfois dans de toutes petites communes de quelques centaines d’habitants, comme à Marcolès dans le Cantal, les critériums se rapprochent plus des kermesses que des grandes épreuves internationales. Une dimension populaire d’ailleurs pas étrangère aux nombreuses annulations. "Le calendrier est surchargé pour la fin de saison, c’est tant mieux pour le spectacle, mais nous on ne fait pas partie des priorités", reconnaît Francis Cantournet. "C’est vrai que les grandes courses ont pris leurs places. On ne fait pas d’omelettes sans casser d’œufs. Les instances ont dû recaser 6 mois de calendrier habituel en 3 mois", temporise Daniel Mangeas.
De là à penser que les critériums ont vite été sacrifiés à l’heure de repenser le calendrier face au Covid-19 ? Pas vraiment, assure Francis Cantournet : "C’est une décision qu’on a prise collégialement, même avec les élus locaux et les partenaires. Au niveau de la ligue, où je siège, on a toujours été consultés. C’est nous qui avons décidé d’annuler la plupart des critériums de nous-même, pour plusieurs raisons". Daniel Mangeas confirme : "C’est la sagesse qui l’a emportée. Une de sorte de fatalisme a fait accepter la situation".
Première raison invoquée, les bénévoles. Organisateur du critérium de Choisy-le-Roi, Eric Ramos explique : "C’est une question de date aussi. Normalement c’est l’été. Là, c’est reporté en septembre donc ce n’est plus les vacances, ce qui pénalise les organisateurs, les villes, le public". Daniel Mangeas ajoute : "Sur ces évènements, parmi les bénévoles, il y a beaucoup de personnes âgées, qui hésitent à sortir face au Covid, c’est difficile de les mobiliser. Et les plus jeunes seront au travail". Souvent programmés des jours de semaine, la plupart des critériums redoutaient de voir leur public habituel déserter les lieux. "Sans compter le problème des mesures sanitaires : un critérium amène beaucoup de monde, de proximité physique entre les athlètes et le spectateur, tout le contraire des mesures sanitaires", éclaire Daniel Mangeas.
Têtes d’affiches : l’impossible équation
Pour attirer les foules, les critériums s’appuient aussi sur des têtes d’affiches. C’est d’ailleurs une des autres causes des nombreuses annulations. "Or là, vu la densité du calendrier, c’était extrêmement difficile d’attirer des grands noms sur des critériums alors que des courses World Tour seront les mêmes jours", justifie Daniel Mangeas. "Si on n’a pas un grand nom, ce n’est pas pareil. Et là, les grands noms seront pris ailleurs. Or, les gens viennent pour ça, aiment ça", approuve Francis Cantournet. Quant à la possibilité de programmer les critériums avant le Tour, en reprise de la saison, elle n’a pas tenue longtemps : "On aurait eu des dates, mais ce sont des courses de 2 heures, 90 km : ce n’est pas sur un critérium qu’on va préparer un Tour de France. Or, l’objectif des coureurs en août c’est de se préparer", développe le président de l’association, également organisateur du critérium de Marcolès. Et pour les organisateurs, l'objectif est de passer dans les jours suivant le Tour pour surfer sur l'engouement autour de la Grande Boucle.
En plus du manque de bénévoles et de têtes d’affiches, les critériums redoutaient aussi un manque de moyens. Organisateur du mythique critérium de Lisieux, Bernard Aubril explique : "Dès le début du confinement, j’ai bien compris que les entreprises allaient souffrir. Je me voyais mal aller les solliciter pour nous aider à financer notre 39eme édition, alors qu’elles sont en pleine difficultés économiques. C’était un problème uniquement moral. On a pris cette décision à l’unanimité, je n’ai aucun regret". Mécène principal de la plupart des critériums, le secteur privé va aussi souffrir de leur absence selon Francis Cantournet : "A Marcolès, et à l’échelle du Cantal, c’est l’évènement de l’année. Cela rempli le camping et les hôtels pendant toute la semaine, mais il vaut mieux ne rien faire que de faire un évènement bancal”.
Choisy-le-Roi, Dole : les deux rescapés
En dépit de toutes ces difficultés, deux critériums ont réussi à maintenir leur rendez-vous. Paradoxalement, il s’agit des deux plus récents : celui de Choisy-le-Roi, dont c’est la cinquième édition, et le nouveau venu du Grand Dole Colruyt dans le Jura. "On a sollicité la ville pour savoir s’ils voulaient renouveler l’édition, sachant qu’on avait l'opportunité de se caler derrière le Tour. On a fait une demande à la Ligue pour être le lendemain de l'arrivée du Tour, la ligue nous a accordés ce droit", raconte Eric Ramos, dont le critérium de Choisy-le-Roi est financé "à 85% par les collectivités locales, ce qui est plus facile en ce moment que par les entreprises privées", reconnaît-il.
Du côté de Dole, dont ce sera le premier critérium, Franck Boudot explique : "On a commencé à travailler dessus en août dernier. Par rapport à certains critériums qui ont attendu février mars pour se relancer, c’est ce qui explique qu’on ait pu maintenir : on avait déjà les garanties financière pour pouvoir le faire". Décalé au mercredi 4 septembre, le critérium du Grand Dole Colruyt a aussi été porté par les partenaires privés, malgré la crise économique : "Aucun ne nous a lâché. On fait beaucoup tourner le tissu économique local. Il y a un dynamisme autour de l’évènement. Ça nous a portés", explique Franck Boudot, mécanicien dans l’équipe AG2R le reste de l’année, qui rêve de voir un Thibaut Pinot en jaune sur son critérium : "C’est un local, un jurassien. Il était d’accord pour venir le 4 septembre, là on va rediscuter".
A l’année prochaine
Tous les critériums n’ont pas eu la chance de Choisy-le-Roi et de Dole, qui seront cette année les seuls critériums d’après-Tour. "On est le lendemain de l’arrivée de la Grande Boucle à Paris, on espère en profiter pour attirer plus de monde, même si on sait que dès l’année prochaine on n’aura plus cette date", savoure Eric Ramos. Au-delà de l’aspect festif, un critérium aussi un moyen d’arrondir les fins de mois pour les cyclistes, puisque les vainqueurs y touchent de belles primes. "Même si aujourd’hui pour les stars du peloton, ça ne représente plus grand chose", nuance Eric Ramos.
Ces ambiances, ces primes et ces courses atypiques, les coureurs les retrouveront au grand complet l’année prochaine, sans aucun doute, selon Daniel Mangeas : "On retrouvera le parfum des critériums. Je suis persuadé que 100% des critériums seront de retour. Ceux qui ont annulé n’avaient pas encore engagées les sommes nécessaires, donc le danger économique est faible". A Lisieux, Bernard Aubril confirme au moment de raccrocher : "Je vous laisse, j’ai les documents pour retenir la date du mardi 27 juillet 2021 sur le bureau, faut que je les remplisse".
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