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Nacer Bouhanni, le diable rouge

Avec trois victoires d’étapes au compteur, Nacer Bouhanni (23 ans) est la grande révélation du Giro 2014. Souvent présenté comme un espoir impulsif et caractériel, le jeune coureur révèle depuis deux semaines un nouveau visage, celui d’un jeune leader fédérateur et déterminé. Pour l’ancien coureur Jacques Decrion, son entraîneur à la FDJ.fr, l’explosion du Spinalien est "tout sauf un feu de paille", car le phénomène ne se fixe "aucune limite". Portrait.
Article rédigé par franceinfo
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Nacer Bouhanni et son "mental de patron" (DE WAELE TIM / TDWSPORT SARL)

Nacer Bouhanni aime prendre des coups. Le défi, le contact, le danger, il en redemande. Le 13 mai, à un peu plus de dix kilomètres de l’arrivée à Bari, sa roue avant crève et sa roue arrière se casse. Il attend sur le bord de la route et repart quelques instants plus tard, "foutu pour foutu". Sous la pluie, le phénomène refait son retard, passe entre les chutes et surclasse Tom Veelers au sprint. Trois jours plus tard, enfermé au moment du sprint final, il fait parler son explosivité : dans un trou de souris, le casse-cou fait la différence et lève à nouveau les bras, décrochant par la même occasion le droit d’enfiler le maillot rouge. "Quand on me met des barrières, ça me rend plus fort, je veux me défoncer", martelait-il mardi dans les colonnes de l’Équipe. Avec lui, plus qu’avec n’importe quel autre membre du peloton, on serait tenté de tisser un lien entre les derniers kilomètres d’une étape et l'atmosphère étouffante d'un ring de boxe.

Un mental de patron

Bouhanni a enfilé les gants à six ans pour ne plus jamais les enlever depuis. Pas même aujourd’hui en course, où il réalise le rêve inachevé de son père Karim qui n’avait pas eu les moyens de remplacer son vélo. La rage et l’agressivité contenue de son premier sport lui ont forgé un cran hors-norme. Jacques Decrion, qui a accompagné les progrès de son poulain à la FDJ.fr, évoque "un mental de patron". "Je crois que c’est inné, qu’il a toujours eu et qu’il aura à vie, explique-t-il. Il fait le job, il ne lâche jamais le morceau, il ne se trouve jamais d’excuse. Quand il faut prendre des risques, il les prend, sans botter en touche." "Nacer dit souvent ‘je maîtrise ce que je fais’, renchérit son coéquipier Sébastien Chavanel. Le mot ‘risque’ se justifie quand on ne maîtrise plus…"

Ses trois premiers Grands Tours (la Vuelta en 2012, le Tour d'Italie et la Grande Boucle en 2013), le Français ne les a jamais terminés. Il n’a d'ailleurs jamais passé le seuil de la 13e étape, incapable de survivre en haute montagne, et n’avait pas remporté le moindre succès avant le départ du Giro 2014. Cette fois-ci, Bouhanni compte bien aller au bout, maillot rouge sur les épaules, pour capitaliser ses trois succès. L’intéressé assure que les gros pourcentages ne l’effrayent pas. Decrion, "absolument pas surpris" par les performances de son élève, en est aussi convaincu. "Il est arrivé au Giro dans un climat de confiance totale, avec de bonnes capacités physiques, notamment au niveau de l’explosivité. Il récupère bien, il est serein dans sa tête. Il n’y a aucune zone d’ombre".

"Il est né pour diriger"

Et puis, il y a les coéquipiers, car si ses succès sont "le fruit d’un gros travail, d’entraînements costauds et poussés", Decrion reconnaît que "la mise en place d’une structure conquérante" a joué un rôle au moins aussi important essentiel. "Avec Nacer, il suffit de mettre une équipe à sa disposition, où tout le monde, jusqu’au chauffeur de bus, le met en confiance, explique-t-il. On s’en rend compte sur ce Giro, où ses coéquipiers abattent un énorme travail pour lui, et ça paye". Lors de la quatrième étape, le travail de Johan Le Bon n’est pas passé inaperçu. Mardi, c’est Sébastien Chavanel qui a joué un rôle primordial pour propulser son leader vers un troisième succès.

Loin d’être un solitaire renfermé et caractériel, Bouhanni est un meneur qui possède déjà une compréhension pointue de la course. "Sa principale qualité, c’est d’être un metteur au point : il sait ce qu’il veut, confirme Decrion. Lors d’un briefing, Nacer peut définir une stratégie de course. En course, il sait se placer et placer ses coéquipiers pour atteindre son but. C’est hyper-rassurant de courir avec lui. Il est né pour diriger." Tueur dans les derniers mètres, perfectionniste jusqu’au bout des ongles, c’est "un bonheur à l’entraînement", "un gars docile, fidèle et facile à vivre" dans la vie de tous les jours.

"Au même âge, Cavendish n'était pas au-dessus"

Pour toutes ces raisons, l’ancien coureur est convaincu que les résultats du Spinalien n’ont rien n’anecdotique ou de passager. Il pense même qu’en raflant trois étapes, Bouhanni a déjà franchi la marche la plus haute. "Le plus dur, c’est la première fois. Maintenant, c’est acquis et il saura réitérer ces performances". Le sprinteur, certain de ses qualités de puncheur, veut aller plus loin et assure qu’il pourra remporter un jour l’une des grandes classiques du début de saison, courses dont il a été écarté cette année au profit d’Arnaud Démare.

Les intérêts de ce dernier, qui se concilient difficilement avec ceux de Bouhanni au sein de la FDJ.fr, n’affolent pas Decrion. "Il faut des grands duels pour intéresser le public", tempère-t-il en rappelant celui qui a opposé Jacques Anquetil et Raymond Poulidor. La concurrence entre les deux coureurs, entraperçue lors des championnats de France 2012 remportés par Bouhanni (devant Démare) prend une nouvelle ampleur à l’approche du Tour de France et risque de donner du fil à retordre aux dirigeants de la formation française, qui n’ont visiblement pas anticipé l’explosion simultanée des deux potentiels. "Les consignes ne sont pas claires", regrette Bouhanni.

Visiblement peu marqué par ces palabres, le Français continue d’enquiller les succès. Depuis le début de l’année, il a décroché autant de victoires que Mark Cavendish. "C'est une icône dans le sprint, mais Nacer n'a que 23 ans et au même âge, Cavendish n'était pas au-dessus de lui", garantit Chavanel. "C’est une assurance tous risques pour les six prochaines années au moins, parie Decrion. En remportant ces trois étapes, il montre qu’il a trouvé la formule (…) Or, c’est un garçon qui va de l’avant et ne regarde jamais dans son dos. Après un succès, une seule chose l’intéresse : la prochaine montée d’adrénaline".

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