Comment le Moyen-Orient veut devenir une oasis du cyclisme
Les championnats du monde de cyclisme, qui se déroulent au Qatar, et la formation d'une nouvelle équipe financée par le Bahreïn prouvent que ces Etats du Golfe cherchent à percer dans le monde de la petite reine. Même si l'engouement populaire ne suit pas.
Quand on pense "cyclisme", on associe aussitôt le Tour de France, Paris-Roubaix, un peloton compact vu d'hélicoptère au milieu des verts pâturages de l'Hexagone... Pourtant, le centre de gravité de ce sport se déplace vers l'Est et le Sud. Le Qatar accueille – sous une chaleur écrasante – la course en ligne des championnats du monde, bouquet final de la saison, dimanche 16 octobre. Et dès la saison prochaine, une équipe aux couleurs de Bahreïn entend bien faire son trou dans le peloton du Tour de France avec, comme tête d'affiche, l'Italien Vincenzo Nibali. Franceinfo revient sur la stratégie de ces deux pays.
Au Qatar, Mondiaux en fanfare mais engouement populaire faiblard
Il n'y a pas vraiment eu de suspense. Quand le Qatar a décroché l'organisation des Mondiaux de cyclisme 2016, en septembre 2012, les représentants de l'Emirat n'ont pas explosé de joie. Ils étaient assurés d'être choisis, après s'être arrangés avec les autres candidatures pour demeurer les seuls en lice. Et pour s'assurer un vernis de légitimité cycliste, ils s'étaient offerts le Belge Eddy Merckx comme tête de gondole, le plus beau palmarès de ce sport. C'était l'époque des belles promesses : "Nous aurons une équipe forte pour 2016", fanfaronnait (en anglais) Majed Al-Naimi, secrétaire général de la fédération qatarie. Quatre ans plus tard, aucun coureur qatari n'a été retenus pour l'épreuve reine.
Le Qatar (2,4 millions d'habitants) travaille depuis quinze ans à devenir un acteur majeur du vélo. Il dispose depuis 2002 de sa course, le Tour du Qatar. Une épreuve créée en 2002 par... Eddy Merckx, qui s'est vanté au site Cycling Weekly d'avoir obtenu en deux coups de fil la bénédiction de l'Union cycliste internationale et le renfort d'ASO – organisateur du Tour de France – pour la logistique. L'épreuve vient de gagner sa place au calendrier World Tour, donc les meilleures équipes devront y participer. Les bonnes années, il y a du vent pour semer la zizanie dans le peloton. Le vétéran espagnol Alejandro Valverde a notamment déclaré, après une étape mouvementée, qu'il était plus fatigué que s'il avait "grimpé cinq fois le Tourmalet".
N'empêche : vu la topographie des lieux – le sommet du pays culmine à 103 mètres au-dessus du niveau de la mer – on peut difficilement éviter une série d'arrivées au sprint. Et l'ennui profond qui va avec. Il est même arrivé aux organisateurs du Tour du Qatar de diffuser des applaudissements enregistrés à l'arrivée des étapes, rappelle Velo News (en anglais). Oui, comme dans les sitcoms américaines. Le maigre public sur le bord de la route n'était pas très coopératif. On a pu voir des images similaires pour les Mondiaux : ainsi UN spectateur, un seul, se trouvait à l'arrivée du contre-la-montre espoir mardi 11 octobre. Un Français, en plus.
UN SUPPORTER FRANÇAIS !!#UCIDoha2016 pic.twitter.com/wIgDRT5n4j
— La GazetteDes Sports (@GazetteDesSport) 11 octobre 2016
La petite reine peine à entrer dans les mœurs au Qatar. Ainsi, il a fallu mettre en garde les coureurs venus du monde entier lors de leurs entraînements, en raison des habitudes de conduite disons... sportives des automobilistes locaux. "Pour les cyclistes, aucune rue n'est sûre", a déclaré le président du comité d'organisation des Mondiaux, cité sur le site The Peninsula (en anglais). On s'étonne moins du faible degré de pratique des Qataris. John Lelangue, ancien directeur sportif, devenu conseiller des Qataris, manie la litote sur Cycling Tips (en anglais) : "Ce n'est pas exactement comme en Flandre où les enfants montent sur un vélo à 2 ou 3 ans."
Au Bahreïn, une équipe d'élite et un gros chèque sur la table
"Attaque de Vincenzo Nibali au pied du mont Ventoux, il est suivi par deux équipiers de sa formation Bahrein-Merida." Voilà ce qu'on entendra peut-être sur le Tour de France 2017. Le prince bahreïni Nasser Ben Hamad Al-Khalifa, fils aîné de la deuxième femme de l'émir, travaille depuis plusieurs mois à la formation d'une équipe de haut niveau. Peu d'informations ont filtré, mais on connaît le nom de son leader, l'Italien Vincenzo Nibali, vainqueur du Tour de France 2014, plusieurs de ses coéquipiers et son budget : environ 15 millions d'euros, ce qui la classe en milieu de tableau de l'élite. Une paille pour la famille Al-Khalifa, assise sur une fortune estimée à 3 milliards d'euros.
Si l'objectif est de faire de la bonne publicité pour le pays, le résultat n'est pas garanti. Le fan de cyclisme connaît déjà les équipes Astana (du nom de la capitale du Kazakhstan) et Katusha (l'équipe du pouvoir russe), qui s'est elle-même baptisée du nom des "orgues de Staline" – ces lance-roquettes multiples utilisés par les Soviétiques durant la seconde guerre mondiale. Mais la création de ces équipes n'a pas bouleversé la perception de ces pays à l'étranger.
En revanche, à l'annonce de la création d'une équipe bahreïnie, les ONG de défense des droits de l'homme ont pris la mouche. Leurs avocats ont exhumé le passé trouble du prince, accusé d'avoir torturé en personne des opposants lors de la déclinaison bahreïnie du printemps arabe, maté dans le sang dans l'archipel. Le co-sponsor, la marque de vélos taïwanaise Merida, parle sur son site "d'accusations infondées et faisant partie d'une campagne de dénigrement contre le prince Nasser".
Des associations d'exilés bahreïnis envisagent même de perturber le déroulement du prochain Tour de France en représailles. Tous les regards se sont tournés vers l'UCI, qui en vertu de son code éthique pourrait bloquer le processus d'admission de Bahreïn-Merida. Le conditionnel est de rigueur. Le président de l'Union cycliste internationale, le Britannique Brian Cookson, a déjà ouvert en grand le parapluie dans une interview à Velonews (en anglais) : "Si ça ne concerne pas le sport, ce n'est pas notre problème." L'UCI peut-elle vraiment fermer la porte à un milliardaire dans un sport exsangue financièrement et dont deux mécènes – le Suisse Michel Thétaz et le Russe Oleg Tinkov – viennent de se retirer ? La réponse est dans la question.
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