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Christophe Bassons : "On peut être au plus haut niveau sans dopage"

Alors que s'est ouvert mardi la cinquième conférence mondiale sur le dopage, France tv sport a voulu interroger l'un des premiers lanceurs d'alerte, l'ancien coureur cycliste Christophe Bassons. En 1999, il avait osé dénoncer le dopage dans le peloton, au risque d'y perdre sa place. Vingt ans plus tard, il est aujourd'hui agent de l'État au ministère de la Jeunesse et des Sports et conseiller régional pour la lutte antidopage. Entretien.
Article rédigé par Romain Bonte
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
 

Quelle est votre mission aujourd'hui ?
Christophe Bassons : "Je suis conseiller régional antidopage pour le compte de l'état, au ministère de la Jeunesse et des Sports. Je m'occupe spécifiquement de la lutte contre le trafic de produits dopants, ceux qui dopent et non les dopés. Pour cela, j'ai été formé pour avoir des compétences en police judiciaire. Mon rôle est notamment de faciliter les informations entre les différents services de l'état. J'ai également une autre mission en tant qu'agent de l'État de prévention. Je suis également correspondant de l'Agence Française de la Lutte contre le Dopage. Là je suis chargé de la mise en place des contrôles, notamment sur certains sports comme le cyclisme, l'aviron, le canoë ou encore les courses de montagne. Nous sommes quatre correspondants en France, avec nos spécificités. Étant dans le Sud-Ouest, je m'occupe aussi évidemment du rugby."

Vous avez participé à une chanson avec des enfants, visant à lutter contre ce fléau dans la perspective des JO de 2024 à Paris. La sensibilisation des jeunes est-elle primordiale ?
CB : "C'est super important de donner la parole aux enfants. Ils vont moins calculer, avec eux c'est le cœur qui parle et ils ont des choses à dire. Le temps qu'ils ont eu pour travailler sur cette chanson, c'est mieux que s'ils avaient eu une discussion avec un sportif de haut niveau qu'ils auront oublié au bout de deux heures. Les enfants veulent qu'on arrête de leur mentir. On leur fait souvent la morale et c'est ce qu'ils disent : montrez-nous l'exemple ! Dans cette optique de prévention, on va se rapprocher des services de l'éducation nationale, car ce sont les jeunes qui changeront les choses."

"Ils se font d'abord du mal à eux-mêmes"

En 20 ans vous êtes passé quasiment du statut de banni à celui de référence… À quel moment ce statut a changé ?
CB : "Quand je l'ai quitté. À ce moment, je me suis retrouvé dans une population qui me disait que ce que j'ai fait c'était bien."

Auriez-vous étiez mieux entendu aujourd'hui qu'il y a 20 ans ?
CB :
"Honnêtement je le pense. La place de lanceur d'alertes est un peu plus reconnue. La médiatisation sur le sujet est différente aujourd'hui. Des médias, des journalistes osent un peu plus en parler. Sans tout ce qui s'est passé à la fin des années 1990, on serait encore dans la même situation de nos jours. Mais si on peut dire que je serais mieux entendu, je le ferais aussi différemment. En 1999, j'ai été bille en tête, j'aurais dû être plus adroit, moins parler avec le cœur, mais avec toujours autant de convictions. J'ai toujours fait ce que je souhaitais et j'ai continué à me laisser emporter par ce que je crois. Pour être heureux, il faut aussi pouvoir être capable de dire stop quand votre métier ne vous plait pas."

En plein Tour de France 1999, Lance Armstrong vous avait fortement critiqué car vous dénonciez ce dopage, ce qui avait fini par provoquer votre départ du peloton. En 2013, vous avez accepté de le rencontrer et il s'est excusé...
CB :
"La démarche est venu de lui. A l'époque j'avais fait le choix d'accepter de le rencontrer. Je considère que les choix à court terme ne sont pas toujours les bons. Le plus heureux c'est moi, car je me sens plus libre avec ma conscience. C'est super important. C'est aussi pour ça que j'ai accepté. Lorsque les sportifs se dopent, ils ne le font pas pour faire du mal aux autres. Ils se font d'abord du mal à eux-mêmes. Il faut d'abord comprendre pourquoi ils le font. J'ai eu cette chance d'être heureux et de ne pas avoir à me doper. "

Le cyclisme est-il aujourd'hui plus propre ?
CB :
"La lutte antidopage a fait son travail. On ne peut plus se doper comme on le faisait en 1998. Il y a une grosse progression, notamment en matière de lutte. Je ne suis plus assez dans le milieu pour connaître quelle est la mentalité dans le peloton. On parle de prévention des conduites dopantes. On cherche à identifier les limites qu'un sportif va se donner, jusqu'où il va se donner des excuses pour repousser la frontière. On n'a pas été encore assez bon pour travailler sur ces mentalités, la vraie bonne estime de soi."

"Pas sûr que les mentalités ont beaucoup changé dans le cyclisme"

L'AMA réunit aujourd'hui ses partenaires pour une conférence mondiale sur le dopage. Que pensez-vous de cette institution ?
CB :
"Honnêtement, mon choix n'a pas été de m'investir au niveau national, mon choix c'est d'œuvrer au niveau local. Ce n'est pas quelque chose qui me préoccupe. Ils font les choix qu'ils veulent. De mon côté, je trouverais toujours des solutions à mon échelle. Je n'ai donc pas d'avis sur l'AMA. Il y a un intérêt, celui de booster ceux qui sont en retard, mais aussi retenir ceux qui veulent avancer trop vite. Mais ça peut être un frein. L'investissement est différent selon les pays."

Justement où se place la France ?
CB :
"Ce que je peux dire c'est que je suis fier d'être en France car elle continue d'agir aussi bien au niveau professionnel qu'au niveau amateur. À l'échelle internationale, on s'intéresse surtout au sport de haut niveau. En France, nous avons une politique de santé publique très intéressante. Et nous avons également cette volonté au niveau des jeunes. Et la perspective des JO de 2024 peut donner un super élan."

Peut-on imaginer un monde sans dopage ?
CB :
"Oui, on peut l'imaginer. Après, le sport de haut niveau sans dopage, c'est comme l'agriculture bio, on ne pourra jamais l'avoir en 100% garantie. Ce qui est sûr, c'est que l'on peut être au plus haut niveau sans dopage. J'y crois. Si tu veux atteindre ton excellence, mets en place ton plan d'action pour y arriver. Je prends l'exemple de l'entraîneur d'un marathonien qui court sa distance en 2h20. L'année d'après, l'entraîneur lui dira soit: 't'es champion de France l'an prochain !', soit : 'tu fais 2h18'. La différence est de taille. Autant on peut maîtriser sa performance, mais comment peut-on maîtriser le résultat d'une compétition sachant qu'on ne maîtrise pas le niveau des autres ? Pour moi, le haut niveau c'est ça. Aider un athlète à aller chercher son excellence. La médiatisation du sport doit aussi être revue. On parle beaucoup trop du résultat. A France Télévisions, vous avez tendance à faire vivre les choses, et ça j'y crois beaucoup."

Malgré tout, quand l'AMA annonce 300 000 contrôles en 2019 et seulement moins de 2% de résultats positifs, on peut être surpris…
CB : "Mais vous prenez les mêmes contrôles en 1999, le pourcentage n'aurait pas été du tout le même. On ne voit pas l'impact du contrôle. Ceux qui sont pris le sont car ils font des bourdes. Les tricheurs, il a fallu qu'ils s'adaptent, ils le font moins facilement. Vous prenez les mêmes contrôles aujourd'hui dans le cyclisme, quasiment 100% des résultats seraient positifs. Cela veut dire que le dopage a reculé. Mais les mentalités, je ne suis pas sûr que les choses ont beaucoup changé."

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