Ça s'est passé un 16 juillet 1961 : En jaune du premier au dernier jour, Jacques Anquetil remporte son 2e Tour de France
Nous sommes le 16 juillet 1961, et le Parc des Princes s’apprête à accueillir les premiers coureurs du peloton du Tour de France, pour l’arrivée finale. Un groupe de sept échappés déboule dans l’enceinte à toute allure, et tout devant... Le maillot jaune ! Jacques Anquetil himself, s’est mué en poisson-pilote de luxe pour son coéquipier Robert Cazala. Celui-ci passe la ligne en premier, mais tous les yeux se tournent vers le dauphin du jour, l’immense gagnant du Tour. Jacques Anquetil a remporté sa 2e Grande Boucle, en réalisant l’exploit de porter le maillot jaune du premier au dernier jour. Dans le public, des sifflets s’élèvent : les spectateurs en veulent à Maître Jacques d’avoir gâché le spectacle en écrasant ainsi la concurrence. Il faut dire que sa victoire s’est en effet très vite dessinée. Il a suffi d’un jour.
Un premier jour mythique
Ce Tour de France 1961 débute sous des auspices particuliers pour les organisateurs. Quatre ans après sa première victoire, la star du peloton Jacques Anquetil est enfin de retour et, cette fois, en pleine possession de ses moyens. Victime d’une congestion pulmonaire en 1958, 3e en 1959 mais victime d’une lutte intestine avec Roger Rivière, absent en 1960. On commençait à se demander si Anquetil n’était pas le genre d’animal à déserter ses territoires une fois la conquête passée. Il n'en était rien.
En cette année 1961, sûr de sa force, il claironne même à qui veut l’entendre qu’il l’emportera sans jamais lâcher son rôle de leader. Porter la tunique jaune du premier au dernier jour : seuls Ottavio Bottecchia en 1924 et Romain Maes en 1935 ont réussi cet exploit. Un autre temps, déjà.
Le 29 juin, il s’avance donc sur la ligne de départ avec le costume assumé d’homme à abattre. Parmi les prétendants aux dents longues, il y a bien sûr les Italiens, qui à l’époque constituent déjà une redoutable équipe de cyclisme, ou encore les Belges. Mais Jacques Anquetil a surtout un oeil sur le Luxembourgeois Charly Gaul. A 28 ans, il vient de boucler à la 4e place un Tour d’Italie pour lequel il n’avait aucune ambition. Gaul semble au sommet de sa forme et pourrait bien faire vaciller le capitaine français.
Cette première journée est assez particulière puisqu’elle se joue en deux parties, précise le site Lagrandeboucle. Le matin, les coureurs partent de Rouen et rejoignent Versailles, soit une bonne étape casse-pattes de 136 km. L'après-midi, les coureurs s'élanceront pour un prologue.
Sur l'étape en ligne, après 50 km de course, Jacques Anquetil plante une banderille. Déjà ! Ses adversaires ne réagissent pas, certainement surpris de voir que le Normand ne plaisantait pas du tout. Il pense vraiment gagner le Tour dès aujourd’hui. Il rejoint dans l’échappée deux de ses coéquipiers, André Darrigade et Joseph Groussard. Le premier ira remporter l’étape, puis le maillot vert 20 jours plus tard. Dès cette première course, l’équipe de France frappe très fort.
De son côté, Charly Gaul, très peu aidé par ses coéquipiers, n'arrive jamais à bouché le trou qui le sépare du groupe Anquetil. A l’arrivée, il accuse un retard de plus de 4 minutes sur le Français et ce, avant même le prologue, exercice dans lequel Anquetil brille.
"Les coureurs modernes (...), mis à part Anquetil, sont des nains"
Sans surprise, c’est Jacques Anquetil, alias Monsieur Chrono, qui remporte l'épreuve de vitesse de l’après-midi. Il enfile donc dès le premier jour, comme il l’avait promis, le maillot jaune. Mais ce qui frappe alors, c’est l’écart abyssal qu’il a déjà creusé avec ses principaux adversaires. Son dauphin et coéquipier Pierre Broussard est à 4 mins 46. Guido Carlesi, le premier favori est à 5’25. Charly Gaul, son grand rival... à 8’13. Et les coureurs n’ont parcouru qu’à peine 150 kilomètres.
Seul au monde
La suite du Tour s’annonce donc paisible pour Jacques Anquetil au soir du premier jour. Elle l’a été.
Pourtant, le coup d’éclat initial de l’équipe de France est un trompe l’oeil. Les coureurs français ont du mal à tenir le rythme dans les premières étapes de montagne. Jacques Anquetil se retrouve souvent esseulé, accompagné d’un ou deux coéquipiers mal en point. Collectivement, les Français n’y sont pas vraiment. Mais Anquetil, lui, surnage. Même dans le col du Granier, lors de la 9e étape, quand il est contraint de poser pied à terre pour changer à plusieurs reprises de vélo, moments que choisit Charly Gaul pour l’attaquer, Anquetil limite les dégâts et conserve son avance, relate le site Vélo101. Celle-ci s’annonce, jour après jour, irrémédiable.
La 17e étape, les cols de Peyresourde, du Tourmalet et de l’Aubisque sont au programme. C’est l’étape-reine, la dernière qui peut encore faire fondre les écarts et bousculer le roi Anquetil. Mais mis à part quelques peccadilles dans le premier col, les leaders n’attaquent pas. La concurrence est tout simplement résignée. Le spectacle, absent. Le lendemain, Jacques Goddet, le directeur du Tour, fulmine dans le quotidien L'Equipe: "Les coureurs modernes (…), mis à part Anquetil, sont des nains. Oui, d’affreux nains, ou bien impuissants, comme l’est devenu Gaul, ou bien résignés, satisfaits de leur médiocrité, très heureux de décrocher un accessit. Des petits hommes qui ont réussi à s’épargner, à éviter de se donner du mal, des pleutres qui, surtout, ont peur de souffrir".
De tout cela, Jacques Anquetil n’en a cure. Il est lancé comme un boulet de canon sur la route de son sacre. Sa trajectoire est irréversible : lors de la 19e étape, il creuse encore plus les écarts. Son dauphin Charly Gaul, pourtant solide 2e du contre-la-montre, se retrouve à plus de dix minutes au général.
Deux jours plus tard, Maître Jacques lève les bras. Son deuxième sacre sur le Tour de France ne fut pas le plus passionnant de tous, loin de là. Mais il restera, par l’impression d’invincibilité dégagée, l’un des plus mémorables.
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